1ère raison : un excès d’épargne
Aujourd’hui au niveau macroéconomique, grâce aux pays émergents et aux pays exportateurs de matières premières, le taux d’épargne mondial reste extrêmement élevé. Cela veut dire que ces pays ont une balance des paiements courants excédentaire et que ces surplus ne sont pas pour l’instant significativement réinvestis localement en infrastructures de développement. C’est au contraire une logique financière qui continue de prévaloir avec l’investissement de ces excédents en titres d’État libellés en USD, GBP ou € (les clients vers lesquels ces pays exportent) afin de maintenir l’avantage de compétitivité. La question est de savoir jusqu’à quand durera ce genre de phénomène ? Quelques signes avant coureurs d’évolution du modèle économique des émergents montrent que les choix de replacement des excédents de réserves de change se modifient
Mais pour l’heure, les taux à 10 ans US, UK et allemands volent de plus bas en plus bas historiques à respectivement 1.72%, 1.78% et 1.37% le 01 juin.
2ème raison : la monétisation des déficits publics.
Les déficits publics occidentaux continuent à être majoritairement financés (on dit « monétisés » en Europe) par les banques centrales domestiques des pays émergents et exportateurs de pétrole. On sait que les premières achètent des obligations des États de l’OCDE selon le mécanisme suivant : elles émettent leur propre monnaie pour la vendre contre le dollar, la livre et l’euro afin que leurs monnaies ne s’apprécient pas et que leurs économies restent compétitives (le modèle de croissance asiatique reposant encore sur les exportations). Quant aux banques centrales des pays exportateurs de pétrole, elles font de même en recyclant leurs excédents commerciaux.
La vraie question est alors de savoir si oui ou non ces programmes d’impression monétaire à partir de rien peuvent être éternels ? On y reviendra naturellement. Ce que l’on sait en tout cas , c’est que tous ces programmes auront tout simplement permis d’acheter du tempsMory Doré
Les banques centrales occidentales participent également à la fête en pratiquant la monétisation des déficits ou ce que l’on a aussi appelé le quantitative easing (QE), terme savant pour évoquer la planche à billets et l’impression de monnaie à partir de rien pour financer les déficits publics. Souvenez-vous du QE1 US en 2009, du QE2 US de novembre 2010 à juin 2011, du QE1 UK en 2009 et du QE2 UK depuis octobre 2011. Coté BCE, nous n’avons eu pour l’instant que des actions de quantitative easing indirect : achats d’emprunts d’état des pays vulnérables de la zone avec une stérilisation totale ou partielle de la liquidité créée par ces achats ; plus récemment opérations massives d’allocation de liquidité à 3ans (autour de 1000 Mds €) aux banques qui aura servi partiellement au financement de dettes publiques.
Ces phénomènes ont entretenu la surévaluation du prix de certains emprunts d’état (US, UK, Allemagne) et empêché les prix des emprunts d’état des pays périphériques de la zone Euro de s’effondrer encore plus. On comprend donc bien que nous avons donc là une seconde mauvaise raison du maintien durable des taux longs à bas niveau. La vraie question est alors de savoir si oui ou non ces programmes d’impression monétaire à partir de rien peuvent être éternels ? On y reviendra naturellement. Ce que l’on sait en tout cas , c’est que tous ces programmes auront tout simplement permis d’acheter du temps ; en d’autres termes , l’on a continué à donner des poissons à des gens qui avaient faim mais on ne leur a toujours pas appris à pêcher (on aurait pu au moins commencer)
3ème raison : les politiques monétaires des grandes banques centrales
Ces politiques monétaires semblent durablement très expansionnistes. Cela conduit naturellement les investisseurs du monde entier à accumuler des positions de transformation aujourd’hui très profitables. En effet, les investissements en titres d’État US, UK , français et allemands qui ont aujourd’hui un rendement à 10 ans compris entre 1.30% et 2.20% sont refinancés avec de la ressource de marché indexée sur des taux courts voisins de zéro (sans parler des achats de dettes périphériques européennes au-dessus de 6%) ; ceci procure non seulement une marge de transformation positive mais surtout une marge assurée de le rester longtemps puisque les banques centrales ont déclaré qu’elles maintiendraient très longtemps leur politique de taux court proches de zéro (très explicitement par exemple en ce qui concerne la FED avec un horizon fixé à fin 2014)
L’idée, partagée par de nombreux économistes selon laquelle une banque centrale ne peut plus faire aujourd’hui machine arrière en durcissant sa politique monétaire (retraits de liquidité, hausse des taux directeurs, refus d’accepter certains collatéraux aux appels d’offres) est excessivement dangereuse et perverse pour le système bancaire lui-même puisqu’il installe la profession dans une sorte de gestion de bilan passive. On y reviendra lorsque nous évoquerons dans un prochain papier les bonnes raisons qui risquent de faire violemment remonter les taux longs
4ème raison : l’aversion au risque qui entretient la très forte demande en emprunts d’état
L’aversion au risque entretient en effet pour le moment une situation de refuge vers les actifs supposés non risqués : emprunts d’État US, UK et core zone euro.
Mais qu’est-ce qui est sûr ? Est-ce la notation AAA ou AA par les agences telles que S&P et Moody’s ? Est-ce que « sûr » veut dire des obligations émises de bonne foi par des émetteurs souverains comme la France, le Japon, le Royaume-Uni et les Etats-Unis ? Peut-être, mais les (...)
Serait-il concevable que les entreprises de qualité supérieure remplacent les États au sommet du classement des investissements “sans risque” ? La protection contre le défaut de Nestlé coûte moins chère que celle de l’Allemagne, et la protection contre le défaut de Wal-Mart coûte (...)
5ème raison : l’évolution de la réglementation prudentielle qui entretient aussi la très forte demande en emprunts d’état
Les évolutions liées aux règlementations prudentielles (Bâle 3 notamment) encouragent les banques à accumuler des obligations souveraines. Verra-t-on les investisseurs professionnels continuer à se ruer sur ces papiers pour constituer une réserve de liquidité éligible au LCR (Liquidity Coverage Ratio). Ce ratio doit en principe s’appliquer en 2015 au monde bancaire européen mais est suivi dès à présent par les établissements bancaires
Le LCR est un ratio de court terme qui exige des banques de détenir un stock d’actifs dits sans risque, facilement négociables, au regard des flux nets décaissés stressés sur un mois. Ce ratio peut être défini comme un stress test au calibrage normalisé sur la liquidité à horizon de 30 jours.
Le LCR oblige les banques à constituer une réserve d’actifs liquides minimum et à restructurer les échanges de leurs cash flows ou à fixer des échéances tacites contractuellement.
Les actifs liquides de haute qualité de la réserve de liquidité sont classés en 2 catégories.
- Actifs de niveau 1 pondérés à 100% : Cash , Réserves BCE , Titres d’État, de banques centrales, de collectivités publiques,, du FMI, de la Commission Européenne pondérés à 0% dans Bâle II
- Actifs de niveau 2 pondérés à 85% : Titres émis par les souverains, Banques et entités du secteur public pondérés à 20% dans Bâle II, Obligations corporate notées ? AA- , Covered bonds notés ? AA-
La 6ème raison concerne spécifiquement le Bund allemand
Avec des flux encore plus violemment acheteurs que pour d’autres dettes publiques considérées comme refuges. Il faut suivre ici le comportement d’un acteur important la Banque nationale suisse (BNS). On sait que depuis le 06/09/2011, la Banque nationale suisse a officiellement décidé d’instaurer un plancher (le fameux peg) sur la parité Euro/Franc suisse ( CHF) à 1.20 pour éviter l’appréciation de la monnaie helvétique considérée comme valeur refuge en période de fortes incertitudes (cette parité avait effectivement atteint un record de faiblesse vers 1.01 en août 2011 au plus « fort » - ou tout du moins à l’ancien plus fort - de la crise des dettes souveraines de la zone Euro). Ainsi chaque jour, la BNS émet du franc suisse (chacun sait qu’il n’y a pas de limite technique à la création monétaire ex-nihilo d’une banque centrale), lequel franc suisse est vendu systématiquement contre achats d’euros. Et l’essentiel de ces euros achetés l’est sous forme de titres d’état allemands. Ainsi pour empêcher la parité Euro/CHF de casser ce plancher de 1.20, la BNS voit son bilan exploser : au passif du bilan la monnaie nationale émise et vendue contre euro ; à l’actif du bilan une accumulation de Bunds… Alors et après ? Le Bund 10 allemand, dans ces conditions, peut continuer à voir ses rendements baisser : 1% voire plus bas. Mais l’essentiel est ailleurs et il faut dès à présent se demander si et comment les six raison évoquées plus haut peuvent perdurer
Il faut dès à présent se demander si et comment les six raison évoquées plus haut peuvent perdurer
Raison 1 : celle-ci va perdre en intensité dès 2012. Il faut anticiper que le taux d’épargne mondial va baisser grâce ou à cause des pays qui possèdent aujourd’hui de larges excédents commerciaux. Sous la pression des populations, certains gouvernements mettront en place des politiques de revalorisation massive du pouvoir d’achat, il faut dès à présent se demander si et comment les six raisons évoquées plus haut peuvent perdurer.
Raison 2 : dans le prolongement précédent, cette raison va perdre aussi en intensité en 2012-2013. Il faut commencer à anticiper sérieusement le remplacement du modèle de croissance chinoise fondé sur les exportations (donc sur l’accumulation de réserves de changes) par un modèle assis sur la croissance domestique ; quand ces jours viendront, les rapatriements de capitaux de la Chine et de l’Asie émergente (ou ce qui revient au même, la forte réduction des investissements en titres d’état occidentaux) provoqueront une violente hausse des taux longs des emprunts d’État de part et d’autre de l’Atlantique.
Raison 3 : Si l’on s’en tient à l’exemple de la BCE, nous affirmons que la BCE ne peut brutalement mettre un terme à sa politique monétaire accommodante. En effet, durcir brutalement sa politique monétaire créerait les conditions d’un krach obligataire mondial (positions obligataires financées de plus en plus chèrement), l’insolvabilité des états de la zone Euro en situation de crise de liquidité plus ou moins officielle aujourd’hui et partant la faillite de systèmes bancaires nationaux. Pour autant, cela ne veut pas dire comme les marchés et beaucoup d’économistes l’anticipent naïvement que le statu-quo monétaire est désormais éternel.
Et la banque centrale ne peut installer le hasard moral systématique
- aussi bien vis-à-vis des banques en déresponsabilisant encore un peu plus la gestion bancaire : ce qui reviendrait à ne jamais s’inquiéter puisque la BCE serait le prêteur en dernier ressort et en quantité illimitée de liquidité interbancaire ?
- que vis-à-vis des états en déresponsabilisant cette fois-ci encore plus les gouvernements dans leur gestion des deniers publics : là encore à quoi bon serait-il nécessaire de mener des politiques d’austérité impopulaires puisque la BCE serait l’acheteur en dernier ressort et en quantité illimitée de papiers d’état ?
On doit donc anticiper que la banque centrale sortira progressivement de sa politique d’argent gratuit et combattra l’aléa moral. Timing : à partir du second semestre 2013 (ce qui n’empêchera pas la BCE de ramener son principal taux directeur de 1% à 0.25%-0.50% dès ses prochaines réunions de politique monétaire en 2 ou 3 fois)
Raison 4 : Qui peut nous garantir que l’obligataire souverain réputé sûr continuera de bénéficier du fly to quality ?
D’autres refuges, moins surévalués, peuvent prendre le relais :
- l’or encore et toujours. En tant qu’actif réel, il ne peut y avoir de bulle. L’or ne s’imprime pas, ne se crée pas à partir de rien et va re-bénéficier du monde de taux d’intérêt réels à court terme négatifs dans lequel nous sommes durablement rentrés.
- des obligations d’entreprises aux fondamentaux solides
- des supports indexés sur l’inflation (malgré l’illiquidité de certains d’entre eux)
- des titrisations adossées à des actifs tangibles décotés et bénéficiant d’un regain d’intérêt
- voire des actifs des pays émergents (dette souveraine, obligations d’entreprise, actions)
Raison 5 : Là encore qui peut nous garantir que les investisseurs accepteront d’acheter des titres d’État à 2% (ou moins), uniquement pour des raisons règlementaires ? Une fois les réserves de liquidité des grandes banques constituées (courant premier semestre 2013 ?), la demande d’obligations d’état devrait baisser et un des facteurs de soutien au maintien des taux longs à bas niveau disparaître.
Très difficile de se faire une opinion sur la permanence de la raison 6 car cela revient à anticiper le comportement de la BNS. On peut cependant affirmer que la pression pour que la Banque centrale continue à acheter du Bund sera moins forte si les conditions d’appréciation de la monnaie nationale suisse s’atténuent. Ceci ne se produira que dans un double contexte sur le marché des changes
- Stabilisation (même si cela est temporaire) de la situation de la zone euro avec de nouveaux achats de temps et qui aur pour conséquence de faire remonter la parité euro/dollar dans la zone 1.27-1.30 (contre un point bas annuel de 1.2280 vendredi 01/06). Pas impossible même si notre scénario moyen-long terme est franchement très baissier sur la parité €/USD. En tout cas le fort rebond technique de l’euro éloignerait la parité €/CHF de son « plancher » de 1.20 et donc le besoin pour la BNS d’accumuler des Bunds en euros
- Poursuite de la stabilisation de la parité USD/CHF dans la zone 0.95-0.97 (contre une zone de faiblesse entre février et avril 2012 dans un range 0.89-0.93). Une stabilisation de la parité €/USD vers 1.27 et de la parité USD/CHF autour de 0.96 ferait évoluer la parité €/CHF dans une zone de confort vers 1.22. Ce serait l’occasion pour la BNS d’arrêter pour l’instant ses achats de Bunds en Euros.