Ce règlement limitant la part de rémunération variable des banquiers avait été mis en place à la suite de la crise financière de 2008. Sans équivalent sur les marchés financiers internationaux, les banques européennes réclament son assouplissement auprès du conseil de stabilité financière, mettant en avant une perte de compétitivité face à leurs concurrents internationaux, notamment américains et asiatiques.
Alors que le nombre de banquiers millionnaires s’est élevé à 4 859 en 2017 en Europe, soit 262 de plus que l’année précédente, les griefs formulés par les grandes institutions financières en faveur d’un déplafonnement des bonus peuvent-ils être considérés comme légitimes ?
Le bonus dans l’industrie bancaire est une prime exceptionnelle et ponctuelle. Il ne dépend pas de la réalisation d’objectifs et relève du pouvoir discrétionnaire de l’employeur. En effet, son montant est variable et est décidé unilatéralement par l’employeur.
Pourquoi l’Union européenne a-t-elle fait le choix de plafonner le bonus de ses banquiers ?
Bruxelles a souhaité protéger les intérêts des clients. Certains banquiers et traders, pour gagner plus, pouvaient être incités à prendre de très gros risques, quitte à aller à l’encontre de leur intérêt.
La Commission européenne a mis en place une mesure instaurant qu’une partie du versement des bonus doit être différée dans le temps. Ces bonus dits récupérables, « claw back » en anglais, sont des bonus dont le versement est conditionné à des critères de performances étalés sur la durée. L’objectif est de limiter certaines prises de risques en introduisant un facteur d’incitation à la pérennisation des opérations projetées.
A contrario, si les performances sur le long terme ne sont pas atteintes, une clause de restitution (« clawback ») peut s’appliquer et le bonus peut être revu à la baisse ou être récupéré par l’employeur.
Traders : vers une rémunération basée sur le cahier des charges, au lieu de la prestation finale
L’objectif de cette démarche est de limiter les actes malveillants d’un intervenant, qui ferait le choix délibéré de s’exposer à des risques inconsidérés dans le but uniquement de toucher un bonus plus élevé. Le banquier ou trader serait évalué directement sur ses pratiques et le respect des règles mises en place par un cahier des charges précis. N’étant plus évalué sur la nature de sa prestation finale, il serait ainsi moins incité à contourner le règlement et davantage poussé à respecter un certain code de conduite.
L’encadrement des bonus des banquiers résulte d’une volonté ferme de Bruxelles de réguler la prise de risque des financiers, souvent jugée excessive. En plafonnant le bonus au double du salaire fixe, l’Union européenne fait un choix politique qui, selon certains experts, pourrait aboutir à l’effet inverse de celui escompté, notamment si les objectifs de rentabilité des banquiers et autres traders restent inchangés.
Selon l’Autorité bancaire européenne, les banques européennes, bien que vivement critiques à l’égard du plafonnement des bonus au double du salaire fixe, sont loin d’atteindre ce plafond. En effet, en 2017, aucune d’elles n’atteignait la limite maximale des bonus imposée par Bruxelles. La moyenne pratiquée par les banques est de 1,4 fois le salaire fixe, avec en France et au Royaume-Uni, un bonus qui s’élevait aux alentours de 1,6 fois, taux encore relativement éloigné de la limite maximale de deux fois le salaire fixe. Par ailleurs, en Allemagne, comme dans la majorité des autres pays européens, le bonus des banquiers n’atteignait même pas une fois le salaire fixe.
Le plafonnement soulève également certaines questions éthiques. Il pourrait dans une certaine mesure générer l’effet inverse de celui recherché par le régulateur. Il pourrait pousser les banquiers à prendre davantage de risques. Les dirigeants de banques se sont opposés à ce système ne tenant pas compte du caractère symbolique d’une telle mesure. Incitations au contournement venues d’en haut, dont les primes de fonction ont été un signal fort.
Par ailleurs, les banquiers considérant leur talent bridé par cette nouvelle réglementation n’ont pas hésité à quitter massivement les banques d’investissement pour aller vers les « hedge funds » ou fonds de pensions, par nature, beaucoup moins régulés. Ce comportement, éthiquement critiquable, amène à se poser la question des valeurs personnelles de certains banquiers ou traders, pour lesquels l’appât du gain reste le seul et unique moteur.
Le mouvement des gilets jaunes incrimine directement le système bancaire, représenté par les banques françaises, mais aussi les marchés financiers, selon eux, responsables de l’état des finances et de la situation économique du pays. Par ailleurs, le lien entre le pouvoir politique et l’institution financière dans son ensemble, est fortement critiqué par le mouvement social, dont la majorité des participants connaissent une situation financière personnelle difficile.
Dans ce contexte, le déplafonnement des bonus de banquiers, gagnant déjà pour la plupart relativement bien leur vie et jugés, par l’opinion publique, responsables de la crise économique de 2008, apparaît comme inopportun, voire « déplacé » aux yeux des Français les plus modestes.