Pourquoi s’intéresser au marché de la dette hybride financière ?
Le marché des dettes hybrides financières est un marché de €650 Mds environ, soit plus de deux fois la taille du marché des obligations High Yield en Europe, et plus de six fois la taille du marché des obligations convertibles européennes. Souvent, les investisseurs institutionnels décident dans leur allocation d’investir sur une poche High Yield ou Convertibles à hauteur d’environ 5%, mais omettent dans leur processus le segment des dettes hybrides financières. La sous-estimation de ce marché est un tort selon nous, qu’il convient de corriger pour de multiples raisons, outre celle de l’importance de sa taille.
1) La diversification pour un couple rendement/risque intermédiaire
Pour simplifier, nous pouvons dire que tout investisseur dispose sur les émetteurs financiers de trois supports d’investissement possibles, par ordre décroissant de risque : les actions, tout en sachant que la moitié du système financier européen n’est pas coté, les obligations classiques dites « Senior Unsecured », et enfin, un compartiment dit « hybride » et regroupant tous les titres dits subordonnés ou contingents. L’immense avantage du segment des dettes hybrides est, selon nous, qu’il permet d’offrir aux investisseurs un compromis en matière de rendement, mais également de risques, entre des actions d’un côté et des obligations classiques de l’autre. Il permet également de construire un portefeuille beaucoup plus diversifié que sur les seules actions du secteur financier.
A fin juillet 2015, selon les indices JP Morgan et Barclays, les dettes Tier 2 bancaires ont progressé de +1,6% YTD, tandis que les « Additional Tier 1 » en euros de +5,7% YTD. Les rendements offerts par ces indices sont de 2,7% et 5,2% respectivement, soit des spreads de 240 bps et 530 bps pour des durations de 4,6 et 4,3 ans.
Ces titres ont donc surperformé le reste du marché obligataire grâce à leur portage et leurs spreads plus élevés mais aussi leur duration plus courte, les rendant ainsi moins sensibles aux mouvements de taux.
Si nous examinons la volatilité de la classe d’actifs, la volatilité annuelle tourne actuellement autour de 2 à 4% selon le type de dettes hybrides, soit 5 à 10 fois moins que sur le compartiment des actions bancaires. Ce niveau de volatilité est historiquement « normal », les pics de volatilité ayant pu monter jusqu’à 20 ou 40% selon les supports au paroxysme de la crise financière en 2008-2009.
2) Des valorisations attrayantes en rendement et en spread
Selon les émetteurs, les maturités et le type de titres, les rendements vont s’étaler de 2,5 à 5% sur les dettes Tier 2 et de 3 à 7% sur les « Additional Tier 1 ». En relatif, les dettes bancaires « Senior Unsecured » offrent un maigre 1,1%, tout comme les dettes Corporates Investment Grade, tandis que le High Yield offre près de 4% de rendement. Le rendement des dettes hybrides financières est donc supérieur pour des émetteurs de qualité comparable ou supérieure à celle des autres segments du marché obligataire.
Si l’on regarde les valorisations sous le prisme des spreads, la photographie est également plutôt assez prometteuse, puisque, sur le compartiment Lower Tier 2 par exemple, les spreads sont actuellement autour de 240 bps, près de 10 fois supérieurs au niveau le plus bas prévalant avant la crise. Sur les « Additional Tier 1 », les spreads moyens se situent entre 400 et 650 bps selon les émetteurs. Le principal risque supplémentaire de ces titres par rapport aux Tier 2 est le risque de nonpaiement du coupon. Cela signifie donc que pour supporter ce risque additionnel, un investisseur sur une dette hybride « Additional Tier 1 » recevra un supplément de 160 à 400 bps par rapport à une émission de type Tier 2.
3) Les facteurs techniques de l’offre et la demande
Les banques émettent des dettes hybrides parce que la réglementation les y oblige. Chaque établissement doit disposer d’au moins 1,5% de dettes dites « Additional Tier 1 » (AT1) et 2% de dettes dites « Tier 2 ». Certaines banques émettront davantage, mais globalement le marché primaire actuel tourne autour de €50 à 70 Mds d’émissions par an, niveau tout à fait absorbable par le marché. Il assure ainsi le renouvellement régulier du stock existant.
Du côté de la demande, celle-ci est très hétérogène : de nombreux investisseurs institutionnels sont positionnés sur le compartiment « Tier 2 », pour des considérations de notation notamment et de plus faible complexité par ailleurs.
Sur les titres les plus risqués, comme les « Additional Tier 1 », les investisseurs les plus nombreux sont les banques privées, les fonds spécialisés sur la thématique, les fonds de « Total Return » et les Hedge Funds, soit l’ensemble de la communauté des investisseurs sans contrainte particulière en capital ou en notation des titres sous-jacents des portefeuilles.
Ces derniers titres offrent les meilleures perspectives de rendement et de performances, mais leur complexité a conduit de nombreux investisseurs à repousser à plus tard leur achat. Nous pensons cependant qu’au vu de la qualité des émetteurs actuellement présents sur ce segment, les investisseurs devraient reconsidérer la question, tout en confiant à un tiers, expert sur ces titres, la gestion et le suivi de cette poche.
4) La qualité des émetteurs et des émissions sous le prisme des notations
L’essentiel du stock de dettes Tier 2 est noté en catégorie BBB, voire A. Du côté des Tier 1, la plupart des titres sont en catégorie BB. Par conséquent, un portefeuille essentiellement constitué de dettes hybrides Tier 2 disposera d’une notation moyenne autour de BBB, tandis qu’un portefeuille essentiellement constitué de dettes AT1 sera noté en moyenne autour de BB.
Ce point est important car il explique l’essentiel du clivage actuel des investisseurs par catégorie de titres. Nous considérons cependant peu pertinent de s’appuyer exclusivement sur les agences de notation pour la sélection de ses supports d’investissement, tout comme de ne s’appuyer que sur les notations des titres pour apprécier le risque réel porté par l’investisseur.
En effet, le risque sous-jacent du titre est bien celui de l’émetteur. Nous pensons qu’il vaut mieux investir sur un support émis par un émetteur solide, noté en catégorie A ou BBB, mais dont l’émission est notée plus bas, plutôt que d’investir sur un émetteur et un support de notation identique mais tous deux en catégorie High Yield. La probabilité de défaillance, et par conséquent de pertes pour l’investisseur est bien plus faible sur un émetteur de bonne qualité. Nous pensons qu’un portefeuille géré de façon active et suivi quotidiennement offrira ainsi un meilleur couple rendement / risque. Il paraitrait intéressant pour les investisseurs institutionnels de reconsidérer la question sous cet angle là et de profiter des nombreuses opportunités offertes par le marché de la dette hybride financière.
5) Une amélioration des fondamentaux
Sous l’impulsion de la nouvelle réglementation (Bâle III et Solvabilité II), mais également sous la pression des investisseurs et des concurrents, les émetteurs du secteur financier n’ont cessé de renforcer leur qualité de bilan depuis la crise financière. La quantité mais également la qualité de leurs fonds propres n’a cessé de croître avec plus de €1 000 Mds d’augmentation des fonds propres durs des banques européennes depuis fin 2007, soit +70% en 7 ans. Les tailles de bilans ont été placées sous contrainte et n’augmentent plus, voire diminuent pour de nombreux établissements.
Conséquence : une diminution du ratio de levier, au plus bas depuis 20 ans pour les banques européennes. Les institutions financières sont donc aujourd’hui non seulement plus solides mais également moins risquées. Cette tendance est structurelle et n’a pas vocation, selon nous, à s’inverser pour les 2-3 prochaines années grâce à la vigilance des superviseurs et des marchés.
Le secteur financier est par conséquent l’un des rares secteurs à offrir de la visibilité sur la poursuite de l’amélioration de ses fondamentaux. C’est une qualité rare et appréciable pour les investisseurs institutionnels.
Comment profiter de ce marché et éviter les principaux risques ?
Les dettes hybrides ne sont pas dénuées de risques qu’il convient de rappeler. Il est donc important de s’attacher à connaître non seulement les risques propres au secteur financier en général, aux émetteurs, mais également et surtout aux caractéristiques des différents titres sur lesquels un investisseur institutionnel sera positionné. Chaque émission est différente de par ses caractéristiques selon sa catégorie d’appartenance, ses coupons, ses dates de remboursement anticipées, son mode de fixation du coupon en l’absence de remboursement anticipé, ses risques de paiement sur les coupons, de perte en capital selon certaines circonstances liées à la solvabilité de l’émetteur ou les risques liés aux clauses de disqualification réglementaire du titre.
Les investisseurs qui ont navigué au travers de la crise financière l’ont bien appris. Certains titres d’une banque en détresse ont payé leurs coupons, d’autres du même émetteur ne l’ont pas fait. Certaines émissions ont été remboursées par anticipation comme prévu, d’autres non. Des dettes hybrides ont généré une perte en capital pour leurs détenteurs, d’autres du même émetteur ont pu y échapper.
La connaissance des caractéristiques de chaque titre est par conséquent clé. La lecture des prospectus d’émission, documents particulièrement denses et abscons, est donc une étape obligée pour comprendre les risques auxquels chacun s’expose. L’univers des dettes hybrides financières comprend plus de 2 000 émissions différentes. Par conséquent, bâtir une expertise sur ce compartiment n’est guère aisé et ne peut s’improviser.
Certains investisseurs institutionnels achètent de la dette hybride financière en l’utilisant comme un support offrant du bêta par rapport au marché. C’est une excellente idée, mais nous pensons qu’il y a moyen d’aller au-delà, en effectuant le tri des risques que l’on souhaite éviter et des opportunités que l’on peut saisir au gré des valorisations de marché. La génération d’une performance supérieure à celle du marché en général est donc possible à condition de disposer des atouts suivants :
- 1) Une capacité de recherche et d’analyse fondamentale de type « Equity » des émetteurs financiers afin d’anticiper les tendances sur les fondamentaux de chaque émetteur
- 2) Des outils d’analyse et de suivi des marchés obligataires spécifiquement orientés sur la dette hybride afin de détecter rapidement tout changement de tendance sur le secteur ou les marchés
- 3) Une connaissance approfondie des caractéristiques de l’ensemble des titres présents en portefeuille ou pouvant être investis afin de sélectionner les titres en connaissant leurs risques mais également leur valeur relative au sein d’un univers vaste et comprenant plus de 2 000 émissions différentes
- 4) Un suivi régulier de la réglementation afin de mesurer son impact sur le secteur financier, sur les émetteurs, mais également sur les émissions
- 5) Une gestion multidevises du portefeuille afin de bénéficier de la diversification apportée par des titres en devises et profiter des différences de valorisations
- 6) Une gestion active, afin d’être souple et réactif dans des marchés obligataires devenus durablement moins liquides
Outre une gestion fondamentale permettant de sélectionner les bons risques et d’éliminer les mauvais, le dernier point est d’importance. La solidité d’un émetteur n’est jamais figée et évolue au gré de l’environnement macroéconomique, mais également des décisions managériales. Un portefeuille de dette hybride financière ne peut par conséquent être statique et doit pouvoir évoluer afin de sortir tôt des titres émis par des institutions dont les fondamentaux se dégradent. La seconde motivation derrière une gestion active est l’optimisation d’un portefeuille, cette fois-ci non plus sous le seul angle des fondamentaux, mais également des valorisations ou des facteurs techniques. Sur un même émetteur, deux émissions peuvent être valorisées ponctuellement différemment, créant des opportunités. Ces opportunités sont d’autant plus nombreuses que les marchés obligataires se caractérisent parfois par une certaine illiquidité, qui est certes une source de risque, mais également de valeur ajoutée, notamment pour l’investisseur de long terme.
En conclusion, que retenir de ce segment de marché de niche ? A l’heure où les opportunités sur les marchés obligataires se font plus rares et où les rendements risquent de demeurer durablement bas du fait du contexte économique, le secteur financier offre, selon nous, un alignement parfait d’étoiles :
1) des fondamentaux solides et en nette amélioration sous l’impulsion de la nouvelle réglementation,
2) des valorisations très attrayantes pour un risque modéré,
3) une offre raisonnable sur un marché déjà conséquent et bien développé, avec une demande en croissance notable depuis quelques trimestres de la part des investisseurs institutionnels qui reconsidèrent ce segment attirant.
Les dettes hybrides financières (aussi appelées dettes subordonnées) se classent en deux compartiments :
Dettes Tier 2 : ces titres sont les plus proches des titres obligataires classiques en matière de paiement des coupons et de remboursement du
principal, sauf en cas de sauvetage de la banque émettrice, ces titres peuvent alors supporter des risques de pertes élevées.
Dettes Additional Tier 1 : ces titres sont les plus proches des actions de par leurs caractéristiques. Elles sont perpétuelles, les coupons
peuvent ne pas être versés tout comme les dividendes, mais leurs détenteurs ont droit chaque année à un coupon fixé par avance selon un
calendrier et une formule précisés dans le prospectus d’émission. Tout comme les Tier 2, en cas de sauvetage de la banque émettrice, ces
titres peuvent alors supporter des risques de pertes élevées.