Né en 1942, l’américain Jim Rogers est le co-fondateur, avec George Soros, du fond d’investissement Quantum Fund. La performance, de plus de 4 000% de ce fonds en une décennie, a permis à Jim Rogers de prendre sa retraite à seulement 37 ans. Depuis, il en a profité pour enseigner la finance, gérer son propre portefeuille ou bien encore entamer en 1990 un tour du monde en moto de plus de deux ans, qu’il a mis à profit pour analyser les possibilités d’investissement dans chacun des pays parcourus. Il reste, encore aujourd’hui, un investisseur éclairé sur la situation économique mondial. Il nous livre d’ailleurs, à l’occasion de cette interview pour Next Finance , son point de vue sur la crise financière ainsi que son opinion sur les marchés et l’économie, souvent à contre tendance de l’opinion générale.
Que pensez-vous de la crise financière que nous venons de traverser, et notamment du sauvetage par les Etats des principales institutions financières ?
Je pense que les gouvernements auraient dû laisser faire le marché. En clair, il aurait été préférable que les institutions financières fragiles fassent tout simplement faillite, sans recevoir d’aides de toutes sortes. Si l’on prend l’exemple des Etats-Unis, l’Etat a préféré sauver « ses amis de Wall Street » plutôt que ses 300 millions d’habitants. Je vais d’ailleurs rappeler quelque chose d’essentiel à ce sujet. Au sein de l’administration du président Obama, Tim Geithner, l’actuel Secrétaire au Trésor des États-Unis, remplaçant Henry Paulson, ex patron de Goldman Sachs, était auparavant président de la Federal Reserve Bank de New York. Quant au chef du Conseil économique national du président, Larry Summers, il avait aidé au sauvetage du hedge fund LTCM en 1998. Pour les responsables économiques au sommet de l’Etat, ayant un lien évident avec Wall Street, la seule solution possible à leurs yeux était, bien évidemment, le sauvetage du secteur financier. Mais je pense qu’il ne s’agissait pas du bon choix. Si plusieurs banques d’envergure internationale avaient fait faillite, les détenteurs d’actions et d’obligations de ces entreprises auraient sans doute tout perdu. En conséquence, le marché serait devenu bien plus exigeant à l’avenir à leurs égards. Or, dans le cas présent, il n’est pas sûr que les leçons de cette crise soit retenues. D’ailleurs, le risque, aujourd’hui, serait de se retrouver dans un scénario à la japonaise où la plupart des banques seraient maintenues artificiellement en vie, conduisant à une décennie de croissance économique molle. J’espère que cela n’arrivera pas.
Pour éviter de nouvelles faillites bancaires à l’avenir, préconisez-vous un retour des structures en « partnership » ?
Tout d’abord, je souhaiterai préciser deux points essentiels, sur lesquels presque tout le monde est d’accord au sujet des récentes faillites bancaires. Premièrement, la plupart des banques ont sans doute pris trop de risques. Deuxièmement, certaines d’entre elles sont devenues trop importantes pour faire faillite (« too big to fail »). Transformer les banques en « partnership » pourrait être évidemment une solution. Même si pour leurs responsables, cela ne changerait probablement pas grand chose au problème pour la simple raison qu’une grande partie de leur patrimoine y est souvent investi. Par contre, ce n’est pas toujours le cas d’une partie du personnel pouvant tout de même prendre des risques inconsidérés. De plus, en utilisant de telles structures, les banques n’auraient pas eu les mêmes capacités pour « lever » de l’argent, ce qui aurait sans doute limité leur taille. De la sorte, aucune d’entre elles, en cas de faillite, n’aurait été capable de faire disparaître le système financier.
En matière d’économie, vous avez récemment émis des réserves sur l’endettement public en Grande Bretagne, pouvez vous nous en parler plus en détails ?
Je ne suis pas, en effet, très optimiste pour l’économie britannique qui croule sous les dettes : je conseille d’ailleurs aux investisseurs de vendre leur livre sterling s’ils en possèdent. D’ailleurs, je ne suis pas le seul à avoir des doutes. Fitch a récemment averti que la Grande Bretagne pourrait perdre sa notation AAA. Il faut dire que le déficit budgétaire est désormais supérieur de 10% à son produit intérieur brut ! Quant aux obligations d’Etat, quel serait l’appétit des investisseurs, si la Banque d’Angleterre se mettait à arrêter son programme d’achat de Gilts ? Je ne suis pas le seul à émettre des doutes. Bill Gross, dans une récente note publié sur le site de PIMCO a déclaré « the UK is a must to avoid. Its Gilts are resting on a bed of nitroglycerine. High debt with the potential to devalue its currency present high risks for bond investors”.
Par contre, quel est votre point de vue sur l’économie Chinoise ?
Je pense que la crise actuelle va favoriser la Chine dans sa course au leadership économique mondial. A mon avis, le pays a de fortes chances de devenir la prochaine superpuissance dans les prochaines années. Après la seconde guerre mondiale, le pouvoir s’était déplacé de l’Europe vers les Etats-Unis. Au 21è siècle, ce pouvoir risque de basculer à nouveau mais vers la Chine cette fois. Cette évolution fait partie de notre histoire, comme l’Egypte ou Rome, qui ont été en leur temps le centre du monde.
Partagez-vous d’ailleurs le point de vue assez répondu dans la communauté économique qu’il existe une bulle en Chine prête à exploser ?
Je ne crois pas que l’on assiste actuellement à la création une bulle en Chine. Comme je vous l’ai dit, pour moi, la Chine va devenir la super puissance économique mondiale du 21è siècle. Si, par exemple, vous prenez les cours des indices boursiers Chinois, vous constatez que les prix sont inférieurs d’environ 50% par rapport à leurs plus hauts historiques. Par contre, les prix de la pierre connaissent effectivement une progression impressionnante, notamment dans des villes comme Hong Kong et Shanghai. Si vous pensez à l’existence de bulles spéculatives en Chine, c’est plutôt vers des micros-bulles qu’il faut se tourner, comme dans le domaine de l’immobilier. Mais l’économie du pays pris dans son ensemble n’est pas une bulle à mon avis.
Êtes-vous toujours aussi optimiste sur l’évolution des prix des matières en 2010 ? Quel est votre secteur favori au sein de cette classe d’actifs ?
Effectivement, je suis toujours optimiste sur l’évolution des prix des matières premières pour une raison simple. Si une reprise économique a lieu, le monde devra vraisemblablement faire face une situation de pénurie. Par contre, dans le cas inverse, je continue à penser que les matières premières sont une classe d’actifs incontournable, surtout à l’époque où nos gouvernements impriment tant de monnaie pour essayer de faire face à leurs montagnes de dettes.
Parmi les différents produits, je tends à privilégier les produits agricoles alimentaires pour la simple raison que des problèmes d’approvisionnement ne sont pas à exclure dans les années à venir avec des stocks mondiaux qui ont tendance à baisser. Le sucre, par exemple, dont le prix a fortement monté l’an dernier, reste toujours à un niveau inferieur à 70% à son plus haut historique.
Peut-on encore espérer vous voir prendre la tête d’un fonds ou bien cette période est définitivement révolue ?
Effectivement, cette époque est désormais révolue. Je ne gère plus que mon propre argent.