L’ancien président de Lazard International promeut autant l’œuvre de Dieu qu’il débloque les négociations des plus grandes opérations financières.
Alors que la Qatar Investment Authority (QIA) vient très discrètement d’annoncer qu’elle allait concentrer l’essentiel de ses efforts d’acquisition aux Etats-Unis dans les cinq ans à venir, mettant du même coup en pause ses investissements colossaux réalisés au Royaume-Uni et en France depuis le début de la décennie, elle sait qu’elle pourra compter sur un homme pour résoudre les négociations les plus tendues qui l’attendront Outre-Atlantique. Cet homme est Ken Costa, 65 ans, dont le dernier coup est l’acquisition des parts majoritaires de Songbird Estates, la firme propriétaire de Canary Wharf, la "deuxième City de Londres", par une joint-venture menée par le fonds souverain du Qatar.
Comme souvent, ce vieux loup de la finance a été appelé au dernier moment pour trancher le noeud gordien, cinquante jours après une première offre qui avait été refusée.
L’intervention de Costa a permis à QIA et à son partenaire américain de voir leur participation passer de 28,6% à 86% et de conquérir ce qui est devenu depuis vingt ans l’un des symboles de la puissance financière du Qatar à Londres, au même titre que le Shard, la plus haute tour de bureaux d’Europe, qui a été financée également par le Qatar.
Ken Costa avait par ailleurs été décisif dans l’acquisition du magasin Harrods, dont la profonde transformation a permis, depuis 2010, de booster les ventes et d’octroyer 100 millions de dividendes par an à l’actionnaire qatari. Installée depuis quelques semaines à New York, QIA va s’appuyer sur l’expérience de Costa, qui a par ailleurs été président de Lazard International entre 2007 et 2011. Il avait auparavant été vice-président d’UBS Investment Bank.
La finance au service d’une mission
Son parcours universitaire ne le prédisposait pourtant vraiment pas à faire carrière dans la finance. Né en Afrique du Sud, il a d’abord étudié la philosophie à l’Université de Johannesburg, avant de rejoindre la prestigieuse Université britannique de Cambridge pour être diplômé en droit et en théologie.
Sa carrière a été en adéquation avec cette formation initiale, puisque Ken Costa est devenu un banquier qui a clairement utilisé la finance pour servir une mission. Il l’a lui-même expliqué dans son livre "God at work" : "J’ai été un meilleur banquier en tant que chrétien que si je n’avais pas été chrétien. Mon espace de travail est aussi mon lieu de culte. Le talent et les dons, je les utilise en tant qu’apports divins. Nous devons constamment gérer des situations complexes et prendre des décisions difficiles. Comment pouvons nous gérer le stress, l’échec, les interrogations… "
Son prosélytisme a pu agacer, comme à l’automne 2011, au moment du mouvement Occupy Wall Street. A Londres, c’est le parvis de la cathédrale Saint-Paul qui fut le terrain de revendication des altermondialistes, dont les pancartes figuraient parfois de véritables interrogations philosophiques et existentielles. Ken Costa fut, là aussi, une personnalité de choix pour jouer au médiateur entre les campeurs, le monde de la finance et l’Eglise d’Angleterre. Ses tribunes publiées dans le Financial Times marquèrent une étape importante et transformèrent le rapport houleux des premières semaines entre les différentes parties.
Les titres "Pourquoi la City doit écouter les voix discordantes de St Paul" et "La City doit redécouvrir sa morale" ne pouvaient pas passer inaperçus, ni être accueillis avec un haussement d’épaules, Ken Costa étant depuis le début des années 80 l’un des banquiers d’affaires les plus en vue de la City.
L’Eglise (d’Angleterre) aime la finance
Son discours est d’autant plus écouté que le monde de la finance entretient un rapport décomplexé à la religion outre-Manche… tout autant que la religion y entretiennent un rapport décomplexé à la finance.
L’archevêque de Canterbury, Justin Welby, principale autorité de l’Eglise anglicane, est lui-même un ancien trader dans l’industrie du pétrole. L’Eglise a même des actifs dans des hedge funds.
"L’argent est il bon ou mauvais ? demande Costa. Nous ne pouvons pas faire ce chemin seul. Ce que j’aimerais vraiment voir, c’est que tout le monde, soit en mesure de vivre chaque jour avec un objectif qui a du sens sur son lieu de travail."
Difficile de définir avec certitude les raisons de l’attraction entre deux univers que tout sépare. L’explication la plus probable est que l’Eglise anglicane - fondée par Henry VIII au 15e siècle afin de lui permettre de divorcer et de se remarier sans se soucier du jugement de Dieu et des menaces du Vatican, a grandi à l’époque où le commerce moderne, puis la finance, prenaient leur essor, à Londres en premier lieu.
Des personnalités comme Ken Costa, qui est actif quotidiennement sur les réseaux sociaux (pour y parler de Dieu, beaucoup moins de finance), contribuent à honorer ce qui est à la fois un mariage de raison et de passion. L’Eglise est ainsi au service de la finance, et inversement.