Les marchés frontières offrent des rendements élevés qui compensent leurs désavantages sur les plans de la liquidité et de l’accessibilité à l’information. La diversification sur ces marchés, qui sont un sous-ensemble de l’univers des marchés émergents, est fondée sur leurs idiosyncrasies. Les particularités propres à chacun d’entre eux permettent en effet de circonscrire leurs risques, ce qui constitue un avantage clé de la gestion active.
L’époque de l’argent facile et la performance sans peine est bien révolue. Cependant, l’environnement difficile auquel nous sommes confrontés aujourd’hui regorge d’opportunités, notamment pour les gérants actifs capables de détecter les gisements de valeur dans l’univers des investissements risqués et donc de dégager des performances exceptionnelles. Les marchés frontières se prêtent particulièrement bien à cet exercice : leurs valorisations très attrayantes et leurs profils de risque idiosyncrasiques représentent un terrain idéal pour la quête de « diamants bruts ».
Les marchés frontières se caractérisent par des notations de qualité moindre, presque exclusivement « B » ou inférieures. Ils sont illiquides et, en général, les emprunts d’Etat sont les seuls actifs disponibles pour l’investissement. Cela expliquen que la plupart d’entre eux ne sont pas inclus dans les indices, ce qui accentue le besoin d’une approche active. Cependant, ces difficultés sont très largement compensées par des rendements extrêmement élevés qui dépassent les 10% pour les titres libellés en euros ou en dollars et qui atteignent parfois le double pour ceux libellés en devises locales.
Au-delà de ces caractéristiques communes, les marchés frontières constituent un ensemble très hétérogène. Il s’étend sur l’ensemble de la planète et regroupe des économies de toutes tailles et toutes sortes, qui vont de géants en grande difficulté tels que le Nigeria ou le Pakistan à des états minuscules vivant du tourisme tels que les Bahamas, en passant par le Mozambique, un géant émergent du secteur des hydrocarbures. Ces idiosyncrasies sont source de diversification et de réduction des risques pour cette classe d’actifs.
Pour évoluer dans cet univers, il est indispensable de disposer d’une recherche dédiée ainsi que d’une méthodologie ESG exhaustive. La capacité à extraire de l’alpha repose, en effet, sur le manque généralisé de couverture de ces marchés par les analystes, une lacune qui se traduit par des valorisations excessivement basses pour des titres dont les caractéristiques varient fortement, soit en termes de risque crédit ou de change.
A ce propos, il est important de souligner le fait que les notations de crédit reflètent bien davantage la capacité à emprunter plutôt que le seul risque de défaut. Elles ne sont donc pas fiables pour la valorisation de ces obligations. Par exemple, le Ghana, actuellement en phase de restructuration de sa dette souveraine, bénéficiait jusqu’en août dernier de la même notation S&P que la Papouasie Nouvelle-Guinée. Or, cette dernière n’était que faiblement endettée et n’avait qu’une seule euro-obligation en circulation n’arrivant à échéance qu’en 2028.
Dans un tel environnement, il est indispensable d’adopter une approche analytique approfondie qui permet d’identifier les gisements de valeurs d’un côté et d’éviter les acteurs dont la valorisation ne compense pas les risques parfois excessivement élevés de l’autre. Une telle approche devrait s’appuyer sur une grande diversité de sources, qui vont des fournisseurs de données officiels aux banques locales, en passant par le FMI et les contacts au niveau gouvernemental, aux visites régulières sur le terrain dans les pays où sont localisés les investissements.
Lorsqu’on envisage d’investir sur les marchés frontières, la priorité est d’identifier les risques de baisse et en particulier l’éventualité d’une faillite de l’Etat ou d’une crise de la balance des paiements. Cela signifie qu’il faut analyser les besoins et les sources de financement sur le moyen terme et de les mettre en perspective avec les réserves de change disponibles. Cette approche permet parfois de remettre en valeur des débiteurs souverains dont les fondamentaux laissent par ailleurs à désirer. Le Nigeria, par exemple, est faiblement endetté et l’échéancier de ses remboursements est tout à fait soutenable. De ce fait, malgré les graves difficultés économiques et politiques que traverse ce pays, les rendements élevés de ses euro-obligations méritent d’être pris en considération.
Le deuxième impératif est l’évaluation des atouts politiques et institutionnels d’un émetteur souverain, évaluation dont la nature qualitative exige essentiellement une approche terrain. Cette dernière permet d’identifier les facteurs critiques d’économies fondamentalement fortes. Ainsi l’Equateur, pays exportateur de pétrole dollarisé, apparemment bien placé pour tirer parti de la hausse des prix des matières premières, souffre de la radicalité politique de sa population. Cela entrave la moindre tentative de réforme et alimente le climat d’instabilité et d’incertitude du pays. A l’opposé, le Benin, l’une des économies les moins développées du continent africain, présente une trajectoire de développement crédible, soutenue par une administration hautement technocratique.
Ces stratégies d’investissement permettent d’extraire de la valeur dans des situations de stress financier élevé, voire même de défaut, chez des émetteurs souverains tels que le Salvador, le Sri Lanka ou la Zambie. Il est, en effet, possible de tirer parti du fait que le cours de ces obligations souveraines tend parfois à surestimer les besoins de restructuration de ces pays et donc à sous-estimer la valeur intrinsèque de leurs emprunts. L’investissement dans les marchés frontières représente un élément critique de nos stratégies sur les marchés émergents dans la mesure où il permet d’extraire de l’alpha et de diversifier, tout en tirant parti des points forts de l’approche active.