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Air France sous l’eau, des arbres qui vont finalement au ciel... L’ère post-covid et ses paradoxes alarmants...

Alors que la saison des résultats se poursuit, aucune surprise de taille ne vient troubler les marchés de crédit, les tendances de fond poursuivant leur sillon. L’analyse de Matthieu Bailly, Directeur général délégué et gérant obligataire chez OCTO AM...

Alors que la saison des résultats se poursuit, aucune surprise de taille ne vient troubler les marchés de crédit, les tendances de fond poursuivant leur sillon :

  • Les entreprises peu touchées par la crise sanitaire ou s’y étant adaptées continuent de creuser l’écart avec leurs comparables.
  • Les entreprises ayant accès aux marchés financiers, et donc aux liquidités des banques centrales, accumulent la trésorerie ou se lancent dans des plans d’investissements massifs, en particulier aux USA ou en Chine.
  • Les banques, pas directement touchées par cette crise et ayant pendant une décennie réduit le risque et accumulé les réserves de fonds propres, poursuivent dans cette voie et ne montrent aucun signe de faiblesse, limitant encore leur exposition aux actifs et prêts risqués et laissant de facto la place à la désintermédiation et aux solutions innovantes de stockage et de gestion de l’argent.
  • Enfin, les entreprises capitalistiques touchées par l’arrêt d’activité (tourisme, transport de personnes,…) s’engluent dans un endettement dont elles auront bien du mal à se relever.

Nous mentionnerons, pour cette dernière catégorie, l’exemple d’Air France dont on s’étonne que la capitalisation boursière et les rendements soient encore si optimistes pour la compagnie, déjà mal-en-point pré covid, qui a dû creuser son puits de dette à la hâte pour ne pas sombrer. Rappelons ici quelques ordres de grandeur de bon sens plutôt que de réaliser une analyse financière approfondie :

Fin 2013, la compagnie réalisait un chiffre d’affaires de 25 milliards d’euros et se trouvait alors en plein plan de restructuration « Transform 15 », lancé en 2012 pour réduire la dette grâce à une amélioration des cash-flows et à un plan de cessions d’actifs : réduction des capacités, baisse des investissements, économies de coûts.

Ainsi, Air France se trouvait dans la situation suivante :

  • Chiffre d’affaires : 25 mds€
  • EBITDA : 1.8 md€
  • Résultat net : -1.5 md€
  • Cash Flow Opérationnel : +1.5 md€
  • Free Cash Flow : +476 mds€
  • Dette nette : 7 mds€
  • Dette Nette / EBITDA : 3.9x
  • FCF / Dette Nette : 6.60%

A l’époque, la capitalisation boursière du groupe s’élevait à 2.3mds d’euros et son spread de crédit sur son obligation 5 ans (maturité 2018) était d’environ 330bps soit un taux global de 4.2% et une duration de 3.5 (les coupons étant plus élevés à l’époque, les durations étaient plus faibles qu’actuellement pour une maturité équivalente)

Aujourd’hui, Air France est dans une situation tout aussi complexe qu’en 2013, que ce soit en termes de situation instantanée ou de perspectives, entre trafic réduit à néant, reprise lente du transport international de personnes, coût de la transition écologique, réduction imposée du transport aérien national par la loi climat, concurrence croissante des compagnies low cost ou étrangères (notamment asiatiques). Ainsi Air France réalise-t-elle un chiffre d’affaires autour de 12 milliards en moyenne sur les deux ans 2020/21 et prévoit-elle un retour à la barre des 25 milliards pas avant 2023 ou 2024, dans le meilleur des cas (puisque c’est celui qu’elle a vendu aux marchés financiers…), le tout avec un endettement qui a bondi et des contraintes largement supérieures en termes de concurrence et de réglementation écologique à celles qu’elle connaissait en 2013.

Voici les chiffres de Air France estimés pour la fin 2021 :

  • Chiffre d’affaires estimé : 14 mds€
  • EBITDA : -1.4 md€
  • Cash Flow Opérationnel : -3/4 mds€
  • Free Cash Flow : -5 mds€
  • Dette nette : 13 mds€
  • Dette Nette / EBITDA : NA (EBITDA négatif)
  • FCF / Dette Nette : NA (FCF négatif)

En termes de perspectives, nous avons clairement donné notre point de vue ci-dessus et Air France devra conjuguer un retour incertain aux chiffres pré covid, des investissements lourds dans sa flotte, une concurrence accrue, le tout dans un climat d’entreprise exécrable puisqu’il faudra aussi en passer par des économies de coûts drastiques et une pression sans doute massive sur les 85 000 salariés de cette entreprise de services.

Actuellement, la capitalisation boursière d’Air France s’élève à 2.9 milliards d’euros et son spread de crédit sur l’obligation 2025 est de 390bps pour une duration de 3.5 (duration équivalente à l’obligation 2018 en 2013), soit un rendement de 3.6%.

Soit les mêmes niveaux qu’en 2013…

Ainsi, au vu de ces niveaux, les investisseurs pensent encore aujourd’hui qu’Air France a la même valeur qu’en 2013 et approximativement la même capacité à honorer ses dettes pour les cinq années à venir, alors même que les grands équilibres de chiffres ne peuvent laisser aucun doute : des revenus au mieux plafonnés à ceux des années passées mais pour l’instant réduits de moitié, une dette nette qui a doublé (et donc des intérêts qui doubleront aussi), des actifs vieillissants vu les programmes de réduction des investissements passés, un résultat net et des cash flows négatifs pendant au moins 3 ans à venir…

Trois axes sont à prévoir pour Air France : des augmentations de capital, un accroissement de la dette et des soutiens de l’Etat Français si ce dernier est encore en mesure de justifier de telles opérations alors même que de multiples autres secteurs sont en crise et ne sont pas le puits sans fond qu’est Air France depuis des années. Le risque de restructuration de dette ou de faillite dure à long terme s’est fortement accentué pour Air France et ses investisseurs se mettent aujourd’hui à la merci du gouvernement français et de l’humeur des marchés financiers, aujourd’hui favorable, plus que dans une situation de créancier classique.

A long terme, nous conseillons donc tout autant aux créanciers de céder leurs dettes qu’aux actionnaires de vendre leurs actions… Et nous rappellerons qu’après la sidérurgie ou l’agriculture européennes au vingtième siècle, de nouveaux secteurs ou typologies d’entreprises se trouvent aujourd’hui dans des situations de déclin inexorables aidées par les distorsions massives de concurrence, de réglementation, de normes, de fiscalité et de coûts. Les compagnies aériennes en font partie, les banques et équivalents, plus occupées à s’efforcer de satisfaire leur régulateur que leurs actionnaires ou leurs clients, en font partie aussi, comme en témoigne cette semaine la cession de la banque HSBC France à Cerberus pour un prix négatif de -1 milliard d’euro, vingt ans après l’acquisition du réseau CCF par HSBC pour un prix de 11 milliards d’euros…

Et de l’autre côté de la chaîne, l’investissement ESG continue son inexorable route vers la bulle, comme en témoigne cette semaine ce graphique du prix du bois, alimenté depuis quelques mois par la spéculation des financiers et qui cause bien des tracas à la filière et aux entreprises de l’économie réelle, en même temps qu’il favorise certainement la déforestation de pans entiers de la planète… Et parallèlement à ce graphique, nous remarquions justement cette semaine la promotion pour un fonds dédié au bois d’une grande banque de gestion privée, utilisant les mots magiques de la bio-économie, du cercle vertueux et de développement durable… Le monde est donc un éternel recommencement et, voyant ce type de graphique parmi tant d’autres hiatus, on se demande bien comment le fonctionnement de la finance contemporaine peut se combiner avec la démarche ESG qu’elle commercialise si activement …

Matthieu Bailly Mai 2021

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