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Annuler des dettes gratuites envers un créancier fictif, une aberration !

Alors que nous arrivons à la mi-année, date à laquelle nous proposons traditionnellement un premier bilan et quelques lignes directrices pour aborder le second semestre, il faut avouer que nous considérons aujourd’hui qu’il manque encore quelques informations pour passer à une nouvelle étape de gestion, à savoir les publications du second trimestre de l’année assorti...

Alors que nous arrivons à la mi-année, date à laquelle nous proposons traditionnellement un premier bilan et quelques lignes directrices pour aborder le second semestre, il faut avouer que nous considérons aujourd’hui qu’il manque encore quelques informations pour passer à une nouvelle étape de gestion, à savoir les publications du second trimestre de l’année assorti des discours de perspectives des entreprises cœur de la crise du coronavirus et du confinement dans la plupart des pays occidentaux.

Ces publications seront capitales à double titre : premièrement, elles permettront de connaître la situation bilantielle et de trésorerie en fin de pic de crise, après plusieurs semaines de restriction absolue d’activité entraînant les déséquilibres les plus soudains et les plus critiques pour les entreprises. Par ailleurs, on pourrait aussi se dire que les entreprises qui auront la possibilité de présenter leurs résultats seront finalement celles qui auront survécu à cet épisode et que, le plus dur étant passé, leur situation ne devrait forcément que s’améliorer… C’est ce que nous permettront d’appréhender les discours des dirigeants sur la sortie de crise, les premiers indices de regain d’activité des mois de mai et de juin, les carnets de commandes, les prévisions de chiffre d’affaires et d’investissements. En effet, jusqu’à présent, il est important de noter que les analystes économiques institutionnels, tout comme les chefs d’entreprises, naviguent à vue, et qu’il serait donc présomptueux pour un gérant d’actif de proposer des certitudes à trois ou cinq ans alors que les titres dans lesquels il investit ont, eux, dans la plupart des cas, suspendu l’essentiel de leurs prévisions…

Nous aborderons donc l’été dans une grande prudence, avec :

  • une pondération significative d’obligations souveraines puisqu’une des seules certitudes est que les banques centrales seront de véritables pompes aspirantes,
  • une maturité moyenne plutôt courte sur les obligations corporates,
  • des émetteurs ayant déjà annoncé une sécurisation de leur échéancier grâce notamment aux aides publiques comme le PGE en France,
  • quelques obligations dont la décote est restée significativement élevée parce qu’elles ne sont pas dans les indices, parce qu’elles sont un peu moins connues du marché, ou parce qu’elles se trouvent dans des secteurs ou des zones géographiques délaissés par les investisseurs.
  • Et nous profiterons donc de ce dernier Hebdo Crédit du semestre pour revenir sur des notions que nous avons entendues régulièrement durant ces quelques semaines de crise et qui nous semblent mériter un début de commentaire : l’annulation de la dette des Etats en Europe.

On pourrait écrire des livres entiers sur les fonctionnements et les rouages de la dette publique, mais nous essaierons simplement ici de dresser quelques constats qui permettront de se poser les bonnes questions.

Premièrement, d’un point de vue du timing, est-il opportun pour des responsables politiques – où certains briguant ses responsabilités pour les prochaines élections - de parler d’annulation de dette alors même que la plupart des Etats européens ont les besoins d’émissions les plus importants depuis des décennies ? Prêterions-nous volontiers à une entreprise qui nous dirait lors du roadshow de présentation qu’elle tentera bien évidemment de trouver un moyen pour effacer sa créance ? Si certains pays européens souhaitaient annuler leur dette, il faudrait pour cela qu’ils soient seuls décisionnaires, qu’ils le décident soudainement et sans les tergiversations institutionnelles habituelles qu’on voit dans l’Eurozone (et qui peuvent finalement éviter les décisions trop soudaines !) et qu’ils cèdent en amont l’essentiel de leur dette aux investisseurs privés afin de ne pas s’appauvrir eux-mêmes.

Car, le deuxième point est justement que l’essentiel de la dette publique est aujourd’hui acquis par le secteur public, en la personne des Banques Centrales nationales. Si le procédé est innovant par rapport à ce qui était réalisé dans les siècles passés, il s’agit bel et bien de création monétaire et c’est exactement comme si votre main gauche (la Banque Centrale) créait de la monnaie tandis que votre main droite (le gouvernement) créait de la dette, l’une prêtant à l’autre. A quoi bon annuler une dette qui est détenue par un organisme ayant la capacité de créer indéfiniment de la monnaie et qui, de toute évidence, acceptera indéfiniment de rouler ses positions ? Le procédé actuel de la BCE d’acheter les dettes d’Etats est comme une annulation de facto de leur dette. La seule différence avec ce qui était réalisé par les banques centrales par le passé est qu’on a ‘titrisé’ la création monétaire par des obligations d’Etat, ce qui permet 1/ de différencier, pour le moment, la création monétaire des pays : en isolant par exemple la dette italienne de la dette allemande ayant pourtant la même devise, on peut ainsi faire les bons comptes de création monétaire entre « bons amis » de l’Eurozone, 2/ de potentiellement annuler à l’avenir la création monétaire plus facilement, dans le cas où les Etats en aient moins besoin, grâce à la maturité naturelle des titres obligataires, la BCE pouvant détruire la monnaie qu’elle recevrait lors du remboursement.

Troisièmement, cette annulation de fait est renforcée par le fait que les banques centrales nationales, qui détiennent les dettes des Etats, rendent chaque année le bénéfice des intérêts qu’elles touchent à l’Etat lui-même. De plus, la dette ne vaut et n’est dangereuse que lorsqu’on est contraint de la rembourser sans avoir la possibilité d’en émettre une nouvelle plus longue. Or pourquoi la BCE ou les banques centrales nationales, totalement aux mains des Etats, les contraindraient-elles à rembourser leurs dettes existantes sans souscrire aux nouvelles dettes, les précipitant dans une situation de défaut technique ? Ce comportement serait uniquement celui d’un investisseur, mais pas celui d’une Banque Centrale dont l’objet n’est pas de rémunérer un risque mais de protéger et de solidifier sa zone souveraine, en l’occurrence l’Eurozone. La BCE et les banques centrales de l’Eurozone accpeteront donc, tant que nécessaire, de contracter de nouvelles dettes pour rembouser les anciennes. Entre intérêts nuls et roulement garanti à vie, c’est donc bel et bien un jeu à somme nulle.

Quatrièmement, en ce qui concerne les autres investisseurs à qui les Etats doivent réellement verser un intérêt, il est capital de noter que les intérêts négatifs, qui sont aujourd’hui la norme dans la plupart des pays européens jusqu’à des maturités de 5 à 10 ans (le taux français à 10 ans est actuellement de -0.12%), sont aussi une annulation de dette de fait puisque non seulement l’emprunteur ne paie pas d’intérêt au créancier mais il lui rembourse finalement moins que ce qu’il a emprunté ! En poussant donc le raisonnement, la France pourrait donc, en empruntant une somme gigantesque à moins de 10 ans (que nous ne nous risquerons pas à calculer !), rembourser l’intégralité de sa dette existante !

Cinquièmement, pourquoi, dans ce cas, alors même que l’on prête de l’argent plus que gratuitement et qu’il faut même payer pour le prêter, mettre en péril cette chance inouïe et sabrer le crédit de l’Eurozone, et de la France en particulier (puisque bon nombre de fervents admirateurs de l’annulation de dette se trouvent dans notre pays) en annulant une dette comme peuvent le faire les pays les plus risqués du monde tels que l’Argentine en ce moment ? L’Argentine doit annuler une partie de sa dette car personne ne veut lui prêter : d’une part sa banque centrale a trop tiré sur la corde de la création monétaire, ce qui a fait sombrer le peso et rendu l’économie exsangue, d’autre part les investisseurs internationaux ne trouvent plus aucun crédit dans la signature argentine et ne souhaitent plus justement lui faire crédit… Mais ce n’est absolument pas le cas pour l’Eurozone et c’est bien loin de l’être : la qualité de crédit est quasiment au plus haut comme en témoignent les notations d’agence ou les rendements absolus qui sont au plancher, la devise est plus haute qu’elle ne l’était lors des débuts de l’euro de 2000 à 2004, alors même que l’endettement affiché des Etats était largement plus bas…

Annoncer une annulation de dette aujourd’hui serait une aberration financière, monétaire et politique, les taux des pays européens bondiraient immédiatement sur les niveaux argentins, obligeant les Etats à être à l’équilibre budgétaire ou à sombrer, l’Euro se déprécierait violemment, la crise économique serait incommensurable.

Beaucoup peuvent alors se demander « mais pourquoi ? » : pourquoi l’Eurozone, surendettée, a-t-elle autant de crédit ? pourquoi la dette ne lui coûte-t-elle rien ? pourquoi l’Euro est-il si fort alors même que la situation économique est si morose ? Et n’y a-t-il enfin pas un risque non négligeable que les taux bondissent et que la situation devienne inextricable en quelques mois, comme ce fut le cas pour la Grèce ?

La première raison est assez évidente, c’est tout simplement que le plus gros investisseur des dettes souveraines européennes sont les Etats eux-mêmes par le biais de la BCE puis des banques centrales nationales : le rendement d’un émetteur grimpe et/ou sa qualité de crédit se dégrade lorsque moins d’investisseurs peuvent souscrire à ses nouvelles dettes permettant de rembourser les anciennes. Aucun risque avec l’Eurozone puisque, comme on le disait précédemment c’est sa main droite qui prête à sa main gauche ! La variable d’ajustement sera le niveau de l’Euro, qui, s’il plongeait car la BCE eût dépassé les limites, rendrait ce jeu à somme nulle impossible.

La seconde raison est la relativité : un des premiers mots que l’on entend lorsqu’on arrive sur le marché obligataire est le « spread » de crédit, c’est-à-dire l’écart, la prime. Cette notion de « spread » se définit forcément par rapport à une référence, qui peut être l’actif sans risque ou tout autre actif. Il ne faut donc pas voir l’Eurozone et les Etats qui la composent comme une zone risquée et de crédit risqué en soi, ce qu’elle pourrait être dans un univers illimité, mais comme une des zones les plus sécurisantes pour les investisseurs dans un univers limité et l’Euro comme une des devises les plus sûres et les plus échangées au monde. Cette sécurité relative très forte de l’Eurozone ne doit pas être appréhendée du seul point de vue des agrégats financiers ou économiques de court terme mais de tout ce qui fait la sécurité pour un investisseur : la stabilité du régime politique, la faible corruption, la liberté de circulation de la devise et des titres, le poids économique de la zone, la fiabilité juridique et judiciaire, l’intégration dans les normes et les systèmes internationaux, autant de facteurs extra financiers qui font de la Zone Euro une des rares zones les plus sécurisantes au monde pour un détenteur de capitaux, ce qui devrait rester le cas au moins pendant quelques années, sinon quelques décennies. C’est aussi cela la qualité de crédit et c’est pour cela que l’avenir de l’Eurozone, surendetté et sombre en absolu, reste de bonne qualité et serein en relatif.

Matthieu Bailly Juin 2020

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