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Credit Suisse : le fait du Prince

Selon Jérôme Legras, Associé Gérant et directeur de la recherche chez Axiom AI, on s’interrogera sur les raisons pour lesquelles les actionnaires ont été si bien traités et sur la possibilité que des actionnaires de premier plan aient utilisé leur influence en tant que clients pour modifier l’accord en leur faveur au détriment des détenteurs d’obligations...

I. Ce qu’il s’est passé

a) La prophétie auto-réalisatrice

Tout a commencé lorsque les fonds de capital-investissement de la Silicon Valley ont averti sur les pertes latentes du portefeuille obligataire de SVB. La prophétie auto-réalisatrice s’est enclenchée. La FDIC est intervenue et a organisé la résolution de la banque le dimanche 19 mars, mais, le lundi suivant, l’effet de contagion avait déjà atteint l’Europe. Credit Suisse a tout de suite été identifiée par les traders comme la plus faible des G-SIBs européennes (fuite des dépôts au T4 2022, longues séries de litiges et un plan de restructuration qui peine à convaincre), provoquant un stress sur cet acte financier. La courbe CDS s’est inversée, même si Credit Suisse ne présentait pas les caractéristiques de ses homologues américaines (pas d’exposition significative aux taux d’intérêt).

Mardi dernier, lors de la publication retardée du rapport annuel, le CEO de Credit Suisse a mentionné un retour des dépôts ramenant le niveau de LCR à 150%. Malheureusement, une déclaration de la part de l’actionnaire principal de CS, le président de la Saudi National Bank, a fait déraper la situation. À la question de savoir s’il comptait continuer à soutenir Credit Suisse, il a répondu qu’il « n’apporterai pas son aide à CS », car il ne souhaitait pas détenir plus de 9,9% du capital de la banque pour raison réglementaire. Les cours des titres Credit Suisse ont ainsi décrochés. Cet incident a amené la Banque Nationale Suisse et la FINMA à émettre une déclaration de soutien, confirmant que Crédit Suisse était conforme aux exigences réglementaires, et lui ont mis à disposition une ligne de liquidité de 50 milliards de francs suisses.

Jeudi, Credit Suisse a essayé d’appliquer la même stratégie que celle utilisée par Deutsche Bank il y a quelques années : des rachats d’obligations. Cependant, la transaction a été jugée décevante du fait de son envergure et de son champ d’application (uniquement les obligations les plus seniors). Dans la journée de vendredi, les rumeurs d’une opération d’acquisition ont commencé à circuler, et l’opération a finalement été annoncée dimanche soir.

b) L’opération annoncée

L’opération peut être synthétisée de la sorte :

  • UBS paie 3 Mds CHF en actions pour toutes les parts de Credit Suisse ;
  • UBS obtient une seconde garantie sur pertes sur les éventuels litiges et certaines réévaluations d’actifs (dérivés à long terme et actifs de niveau 3), pour la tranche senior de 5 à 9 Mds €.
  • UBS obtient une ligne de liquidité de 200 milliards, avec une marge de 150 points de base, dont 100 milliards pour CS et/ou UBS, non garantis mais privilégiés, et 100 milliards pour CS, garantis par le gouvernement suisse.
  • Les actionnaires ont été exclus du processus d’approbation par une loi adoptée hier soir.
  • Les détenteurs d’obligations AT1 ont été entièrement éliminés par la loi d’hier qui les mentionne explicitement. UBS dispose ainsi d’environ 16 milliards d’euros de fonds propres supplémentaires, ce qui revient à payer 3 milliards d’euros pour 45+16=61 milliards d’euros de valeur comptable des fonds propres.
  • UBS bénéficiera d’une exemption temporaire sur la surcharge en capital G-SIB.
  • Il n’y aura pas de restriction à l’utilisation de la reconnaissance du badwill.
  • D’autres obligations, y compris, si nous comprenons bien, la Coco Tier 2, n’ont pas été impactées.

II. Un accord qui soulève de nombreuses questions

Nous pensons que cet accord soulève de nombreuses questions et remet en cause la crédibilité des autorités suisses et de Zurich en tant que centre financier mondial.

1. Le processus de gouvernance a été désastreux : non seulement les actionnaires n’ont pas été consultés (UBS et CS), mais une loi de dernière minute a été adoptée à cet effet.

2. Le fait que les détenteurs d’AT1 aient été effacés alors que les actionnaires ont obtenu 3 milliards d’euros est une inversion évidente de la hiérarchie normale des créances et ne sera pas bien perçue par les investisseurs institutionnels. Le "Swiss finish", c’est-à-dire l’interprétation suisse des règles de Bâle, sera remis en question.

3. On s’interrogera sur les raisons pour lesquelles les actionnaires ont été si bien traités et sur la possibilité que des actionnaires de premier plan aient utilisé leur influence en tant que clients pour modifier l’accord en leur faveur au détriment des détenteurs d’obligations.

4. Les procédures judiciaires vont s’éterniser et les fonds "vautours" semblent déjà acheter les créances AT1 de Credit Suisse. Ce n’est ni le lieu ni le moment de procéder à une analyse juridique, mais les plaignants souligneront ce qui suit :

  • Les AT1 ont été conçus pour absorber les pertes, mais où sont ces pertes  ? Aucune n’a été divulguée.
  • Même dimanche soir (sans parler de la déclaration de soutien de mercredi dernier), la FINMA a confirmé que le Credit Suisse était solvable. Il est difficile d’affirmer que la situation des détenteurs d’AT1 n’est pas pire qu’en cas de faillite.
  • De nombreux documents commerciaux montrent que, dans le cadre du régime de crise suisse, les actionnaires sont subordonnés aux détenteurs d’obligations.
  • L’article 30.3 de la loi bancaire suisse stipule que seules les banques cantonales peuvent effacer les créances avant les actionnaires et seulement avec une compensation équitable.
  • L’article 40 de la loi suisse sur la faillite bancaire stipule que, dans le cadre d’une restructuration, le capital conditionnel ne peut être transformé en capital qu’après l’effacement des actionnaires.
  • La loi qui a permis l’effacement des obligations AT1 était entièrement sui generis et a été adoptée un dimanche soir.
  • Les conditions des obligations prévoient une dépréciation en cas de violation du ratio CET1 - ce qui ne s’est pas produit - et de non-viabilité qui est définie comme une situation où l’adéquation du capital ne peut pas être améliorée, et CS deviendra insolvable - mais la FINMA a confirmé que CS est solvable - ou CS a reçu un soutien public pour améliorer son adéquation du capital - mais la mesure adoptée n’a pas amélioré son adéquation du capital.
  • Il a été rapporté que d’autres acteurs travaillaient sur une offre pour l’acquisition de Credit Suisse mais n’ont pas été autorisés à aller de l’avant, ce qui suggère que toutes les options pour restaurer le capital et la viabilité n’ont pas été explorées.

III. Leçons à tirer et répercussions plus générales

Pendant la grande crise financière, la seule banque de taille mondiale qui n’a pas eu besoin d’être renflouée fut Crédit suisse. UBS a été sauvée de la faillite grâce à une intervention publique massive et les autorités suisses ont dégagé un bénéfice dans cette opération. La donne a changé : non seulement UBS achète CS à un prix très négatif, mais les suisses ont choisi d’apporter un soutien public et de laisser toute la marge de manœuvre à une autre banque. Y a-t-il des implications plus larges pour les banques européennes et la classe d’actifs AT1 ?

La plupart des crises bancaires sont très idiosyncrasiques et doivent être traitées comme telles. Et il est difficile de supposer que les histoires se répètent. Il n’y a pratiquement rien de commun entre la crise BES/Novo Banco, le plan de sauvetage de Monte Dei Paschi, la liquidation partielle de l’Österreichische Volksbanken, etc. Le Credit Suisse était unique dans son profil (fuite des dépôts, culture d’entreprise, litiges sans fins, faible rentabilité, etc.) et il existe des différences majeures entre les règles suisses et les règles de l’UE ou du Royaume-Uni :

  • La formulation des caractéristiques des AT1 suisses était très large et ne contenait pas de clause de reprise.
  • Les règles de résolution de l’UE sont énoncées dans la BRRD (directive sur la résolution et le redressement des banques), dont les articles 59 et 60 précisent :
    • Une conversion en actions ou une dépréciation partielle sont possibles
    • Les instruments ne peuvent être ramenés à zéro que si les actionnaires ont effectivement été entièrement éliminés. L’ABE, la BCE et le SRB ont publié une déclaration ce matin pour rendre cela encore plus clair si nécessaire ("En particulier, les instruments de fonds propres ordinaires sont les premiers à absorber les pertes, et ce n’est qu’après leur utilisation complète qu’il serait nécessaire de déprécier l’Additional Tier One. Cette approche a été appliquée de manière cohérente dans les cas précédents et continuera à guider les actions de la SRB et de la supervision bancaire de la BCE dans les interventions de crise"), et peut-être le plus important de tous :
    • Un exercice d’évaluation doit être effectué pour calculer la juste valeur des obligations.

D’autres implications à plus long terme pourraient être les suivantes :

  • Les régimes de résolution ont été mis en place pour isoler les banques en difficulté et éviter le sauvetage des banques avec de l’argent public. Toutefois, ils pourraient ne pas être totalement adéquats lorsque les pertes n’existent pas du côté de l’actif, mais qu’une panique déclenche une crise de liquidité. Les réseaux sociaux et la banque digitale sont des questions qui devront être examinées avec plus d’acuité.
  • Les décideurs politiques devront se mettre d’accord sur une application plus cohérente de leurs propres règles.
  • Le marché AT1 est là pour rester - la BCE, l’ABE et la SRB l’ont encore confirmé ce matin. Au cours des prochains mois, il sera plus coûteux pour les banques, mais elles devront également être claires sur la manière dont elles traitent les investisseurs et probablement faire preuve de plus de considération à leur égard.
  • Nous pensons que le risque systémique global a diminué. Le marché des obligations seniors a bien accueilli le plan de sauvetage des CS, l’indice des CDS financiers seniors ayant légèrement baissé malgré la faiblesse des actions et des obligations AT1.

Toutefois, il convient de souligner que l’élément déclencheur de cette crise est ce que les banques réclament depuis près d’une décennie : des taux d’intérêt plus élevés. Contrairement aux banques américaines, les banques européennes ont une exposition négative négligeable de leur bilan à la hausse des taux et une exposition positive importante de leurs résultats à la hausse des taux. Une fois que le brouillard se sera dissipé, nous pouvons nous attendre à ce que les résultats trimestriels des banques européennes reprennent le dessus dans les débats.

Jérôme Legras Mars 2023

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