Deutsche Bank a annoncé un profit warning essentiellement dû à une forte augmentation des provisions (provisions sur goodwill, provision sur la participation dans la banque Hua Xia et provision pour contentieux pour un total de plus de 7 Mds€). Après discussion avec les relations investisseurs de la banque ce matin, nous pensons que la nouvelle est négative pour les AT1. En revanche, pour les actionnaires, elle pourrait être finalement positive car la volonté de ne pas payer un dividende illustre la résolution du management à éviter une augmentation de capital qu’une partie du marché anticipe. Le risque de dilution est ainsi réduit. Sur les titres Legacy Tier 1, dont le paiement de coupon ne suit pas les mêmes règles que les AT1, l’annonce est modérément positive puisque le ratio de CET1 – principal critère pour le paiement des coupons – est légèrement supérieur aux attentes du marché.
Vous trouverez ci-dessous une extraction de notre note interne. Le sujet est technique mais éclairant sur le fait que les enjeux réglementaires sont essentiels pour la banque et que les répercussions sur les différents actifs (actions, dette Bâle III, dette Bâle II) peuvent être différentes voire contradictoires. Axiom Obligataire ne détient pas de titres Deutsche Bank, Axiom Equity est légèrement sur-pondéré sur Deutsche Bank et Axiom Contingent Capital est sous-pondéré sur Deutsche Bank.
I. L’annonce du profit warning de Deutsche Bank
Tard mardi soir, Deutsche Bank a annoncé un profit warning, principalement déclenché par trois postes :
- Des provisions sur survaleurs (goodwill) et autres actifs intangibles pour 5,8Mds€ dont nous comprenons qu’elles sont notamment liées à un changement des seuils minimaux de CET1 des filiales.
- Une provision sur la participation dans la banque chinoise Hua Xia pour 600M€ (DB détient 20%)
- Une provision pour litige de 1,2Mds€
Le ratio de CET1 (11%) est plutôt meilleur que prévu, après prise en compte de l’effet prévu de -50bps lié aux nouvelles règles de valorisation des actifs financiers (la « Prudent Value Adjustement », ou PVA). Rappelons que les dépréciations sur les intangibles n’ont pas d’effet sur
le ratio CET1.
Il est difficile d’avoir une idée de la profitabilité intrinsèque au Q3, car les résultats sont sans doute
impactés par les effets des variations de spreads sur la dette émise par la banque elle-même
(quand les spreads montent, la banque enregistre un profit qui n’est pas inclus dans le
CET1). Même en utilisant la variation du CET1 pour recalculer la profitabilité, nous n’arrivons pas à
un chiffre précis faute de données sur les RWA (actifs pondérés par le risque).
II. Quel risque sur les titres hybrides ?
Sur les instruments hybrides (Legacy Tier 1 et AT1), le principal risque est selon nous la suspension du coupon. Le risque de conversion reste très faible, puisque le CET1 est satisfaisant. Nous donnons quelques pistes de réflexion ci-dessous :
1) Il y a une réelle différence de risque entre les AT1 et les Legacy
- Selon notre lecture du prospectus de la DB 8% et des principaux instruments Legacy, la banque peut (mais n’a pas d’obligation) choisir de payer le coupon si elle a des bénéfices distribuables (Bilanzgewinn). Ceux-ci sont définis au niveau non consolidé (entité Deutsche Bank AG) comme étant, grosso modo, le profit annuel (Jahresüberschussfehlbetrag), plus les profits passés accumulés (Ausschüttungsfähige Rücklagen) augmentés de transferts éventuels (mais non obligatoires) depuis les réserves de capital.
- Sur les titres AT1, en revanche, la banque doit suspendre son coupon si, au niveau non consolidé, elle n’a pas de bénéfices distribuables. A la différence des titres legacy, les bénéfices distribuables n’incluent PAS les possibles transferts de réserves de capital.
Enfin, l’annonce d’une possible (probable) suspension du dividende 2015 a été dans un premier temps mal prise par le marché actions, qui a finalement considéré que cette position du management témoignait d’une volonté d’éviter à tout prix une augmentation de capital, qu’une partie du marché anticipe. Le risque de dilution est ainsi réduit.
2) La volonté de Deutsche Bank, en tout cas telle qu’elle est affichée par les relations investisseurs, est clairement de payer les coupons tant que cela restera possible. Rappelons que les titres AT1 sont une composante essentielle du capital de DB en raison du ratio de levier qui est la principale contrainte capitalistique pour la banque.
3) Le risque sur les AT1 est donc qu’il n’y ait plus de bénéfices distribuables suite à la perte enregistrée. Le dernier chiffre publié (le calcul est annuel) était de 2,87Mds €. Au téléphone, Deutsche Bank a confirmé que le profit warning n’a pas éliminé les bénéfices distribuables des AT1 (ou ADI pour Available Distributable Items), mais ne veut pas donner le chiffre actuel ou estimé. Il faut souligner que, ni la provision sur goodwill, ni la provision sur participations, n’ont d’impact sur les ADI, en vertu des règles de comptabilité allemande. En revanche, les provisions pour litige ont eu un impact significatif. Selon les relations investisseurs de Deutsche Bank, de nouvelles provisions pour litiges importantes et enregistrées au niveau de Deutsche Bank AG (pas au niveau des filiales) pourraient entraîner une suspension « de force » du coupon des AT1.
4) Concernant les instruments Legacy, il faut souligner qu’au 31/12/2014 il existait 35,8 Mds€ de réserve de capital que Deutsche Bank pourrait choisir d’utiliser pour payer des coupons sur les titres hybrides, même s’il n’existe pas d’ADI pour les AT1. DB n’a pas d’obligation et pourrait décider de rendre les AT1 et les Legacy "pari passu, mais cela nous semble peu probable, compte tenu de la position plutôt favorable aux investisseurs affichée par la banque s’agissant du paiement des coupons. Le risque que le régulateur intervienne pour interdire le paiement du coupon sur les Legacy en raison d’un non-paiement sur les AT1 nous parait également faible tant que la banque est confortablement au-dessus de sa limite MDA. Autant le MDA est un sujet important pour le régulateur, autant une limite qui viendrait des ADI et qui serait donc déconnectée de la solvabilité réelle par les règles comptables allemandes, nous paraît peu pertinente pour la BCE.
5. Le risque sur les AT1 n’est pas négligeable. Il vient essentiellement d’un risque contentieux futur, payé ou provisionné par l’entité DB AG (la banque refuse de communiquer sur le partage des contentieux entre filiales et maison-mère.)
Les principaux contentieux identifiés sur Deutsche Bank sont les suivants :
a. Put-backs : risque nominal 55 Mds$, Bank Of America a transigé à 1,5% du nominal, Deutsche Bank
aurait provisionné 400M€
b. MBS, ex FHFA : 54 Mds$ d’exposition, JPM a transigé à 1,6% du nominal, Deutsche Bank aurait
provisionné 500M€
c. DOJ mortgage securities : Deutsche Bank a réalisé 155 Mds$ d’opérations. Les transactions aux US
étaient autour de 2% du nominal. Deutsche Bank aurait déjà provisionné 1,5Mds€
d. FHFA : transaction annoncée en 2013 pour 1,4Mds€
e. Kirch : transaction annoncée en 2014 pour 960M€
f. OFAC / sanctions embargo : difficile à chiffrer, la banque aurait provisionné 300M€ selon Spiegel
g. Dérivés avec MPS : transaction avec MPS réalisée, mais la fondation de MPS continue le
contentieux
h. CDS Antitrust, Class action aux US, montant inconnu.
i. Fonds "Esch" : contentieux lancé par des investisseurs pour 1,1Mds €. Une affaire perdue au tribunal.
Provisions inconnues.
j. Amendes Libor : 2Mds€ payé en 2015, transaction réalisée.
k. High Frequency Trading : très difficile à estimer, requêtes reçues de régulateurs.
l. Métaux précieux : très difficile à estimer, requêtes reçues de régulateurs.
m. Transactions russes : 6 Mds€ de transactions, probable infraction aux sanctions US. 4 Mds€
selon Spiegel (OFAC inclus). Il n’y avait pas de provisions - nous pensons que ce sont les principales
provisions prises dans ce profit warning.
n. Contentieux Libor : les principales affaires ont été déboutées pour l’instant, 2nd Circuit en cours.
o. Manipulation du FX : blanchi au UK, US en cours. Deutsche Bank n’est pas spécifiquement
mentionnée par les régulateurs.