Eh !oui, depuis maintenant 5 ans, la Grèce (et avec elle les institutions et états de la zone Euro) achète du temps. D’ailleurs, la plus belle illustration de cette situation est l’éternelle et insupportable annonce dans les médias depuis juillet 2011 de « réunion de la dernière chance » (quelle chance ? celle de renflouer la Grèce jusqu’à la prochaine fois). Ce qui est par contre certain, c’est que chaque jour nous rapproche de la dernière réunion de la dernière chance
Les sauvetages grecs n’auraient finalement servi à rien
Avoir fait contribué pour les plans de sauvetage de mai 2010, juillet 2011-octobre 2011 le FESF (Fonds européen de stabilité financière), c’est avoir sollicité la dette publique des états (Allemagne pour 25% des montants empruntés, France pour 20%), donc avoir fait payé les contribuables. C’était l’époque « insouciante » des bails out.
Toujours dans le cadre des bail-out, c’est aussi avoir mobilisé des ressources du FMI pour 1/3 de ses plans de sauvetage. Le FMI a des ressources monétaires — les fameux quote-parts des Etats sous forme de DTS. Chaque pays dispose au FMI, en fonction de son poids économique, de DTS. Nous avons un total de 58 milliards d’euros de DTS dans la Zone euro. Il existe une règle qui fixe à 10 fois les quotas la limite de financement : cela signifie que la Zone euro a théoriquement la capacité de lever jusqu’à 580 milliards d’euros ; le FMI a ainsi utilisé la quote-part des états de la zone Euro pour financer au compte-gouttes la Grèce.
Et puis les bail-in devant remplacer progressivement les bailout, il a fallu faire appel aux créanciers privés (banques, assureurs et investisseurs institutionnels) pour finaliser le plan de restructuration de mars 2012.
Pour ceux qui auraient oublié, revenons sur la saga de l’insoutenabilité de la dette grecque
1/ Mai 2010 : premier plan de sauvetage. L’Europe décide d’accorder 110 milliards d’euros à la Grèce, financés pour les 2/3 par le FESF et l’Union européenne et pour 1/3, par le FMI. Rappelez-vous : ce plan était censé couvrir les besoins de la Grèce sur 2011-2014… Sauf que l’on s’est rendu compte, au printemps 2011, que ces besoins étaient plutôt de l’ordre de 120 milliards d’euros de plus. Des impôts qui ne rentrent toujours pas, des dépenses inutiles qui ne baissent toujours pas, une croissance économique toujours pas au rendez-vous et une situation déflationniste qui n’arrange rien.
2/ Donc second plan d’aide le 21 juillet 2011 avec cette fois-ci deux volets : nouveau plan de 109 milliards d’euros selon la formule 2/3 FESF et 1/3 FMI avec déblocages successifs. Et puis nouveauté, on instaure une contribution dite “volontaire” des créanciers privés avec abandon de créance de 21% — soit une contribution de près de 50 milliards d’euros. Un petit ilôt de bail-in dans un océan de bail-out.
Mais ce plan ne suffit pas pour venir à bout de l’insolvabilité grecque (le problème c’est que l’on cherche à venir à bout de l’insolvabilité comme si l’on était face à une crise classique de liquidité et c’est encore le piège dans lequel les responsables européens se débattent). Donc second plan bis du 27 octobre 2011 avec toujours les deux volets :
- les 109 milliards d’euros (2/3 FESF et 1/3 FMI) ;
- et cette fois, les créanciers privés abandonnent toujours “volontairement” 50% de leurs créances — soit une contribution cette fois-ci de près de 100 milliards d’euros.
3/Nouveau rebondissement puisque ce deuxième plan bis ne suffira toujours pas et les conditions exigées par la troika Union européenne/BCE/FMI sont de plus en plus pressantes avec l’idée d’une mise sous tutelle. Le second plan bis est donc remplacé par un second plan ter le 20 février 2012 :
les 109 milliards d’euros se transforment en 130 milliards d’euros ; la contribution (toujours “volontaire”) des créanciers privés passe à 53,5% (soit 107 milliards d’euros). Avec l’allongement significatif à 30 ans de la dette portée par les investisseurs et les abaissements de coupons sur les nouveaux papiers échangés, la perte économique réelle pour les créanciers et privés se situera entre 75% et 80% selon la maturité des titres apportés.
A l’époque, nous écrivions déjà que l’on ne faisait qu’acheter du temps (l’actualité récente nous le démontre dramatiquement). Résoudre la situation de la Grèce aurait supposé que l’on identifie la vraie crise : une crise de solvabilité et non une crise de liquidité.
Or l’on résout une crise de solvabilité du type de celle de la Grèce avec des véritables réformes de structure, une revitalisation de l’économie nationale de nature à renforcer la spécialisation productive (on reviendra sur ces solutions).
Que de temps perdu… Ce n’est quand même pas en juin 2015 que l’on découvre l’insolvabilité de la Grèce
On a donc surmédiatisé l’échéance du 30/06/2015 avec les 1,6 Mds€ à rembourser au FMI. Mais il ne faut pas oublier qu’après cette échéance, deux dates importantes seront scrutées par les marchés : le 20/07/2015 avec un remboursement de 3,6 Mds€ à la BCE et le 20/08/2015, échéance d’un autre remboursement à la BCE pour 3,1 Mds€. Sans perdre de vue que d’ici la fin 2016, la Grèce doit refinancer autour de 18 Mds€ (alors certes cette somme « existe : les institutions européennes et le FMI disposent de 7,2 Mds€ en reliquat du programme de sauvetage-restructuration de 2012 et le fonds de recapitalisation des banques est capitalisé à hauteur de 10,9 Mds€).
Peu importe, un peu d’arithmétique budgétaire simple permet de voir rapidement si un pays est solvable ou non. Prenons l’exemple d’un pays qui aurait une dette publique équivalant à 90% de son Produit Intérieur Brut, une croissance en valeur de 2% (1% de croissance réelle en volume et 1% d’inflation par exemple), un taux d’intérêt à long terme (considéré comme représentatif du côut moyen de refinancement de la dette publique nationale) de 4%.
La solvabilité publique sera assurée si et seulement si Excédent budgétaire primaire > Dette publique en % du PIB x (taux d’intérêt - croissance en valeur) dans cet exemple, l’excédent budgétaire primaire minimal devrait être de 90% X (4% - 2%), soit 1.8% du PIB. En d’autres termes, l’excédent primaire est une grandeur macroéconomique de bon sens et très intuitive : il s’agit de la différence entre les charges d’intérêts sur la dette de ce pays (90% x 4%, soit 3.6% du PIB) et la capacité à rembourser cette dette par la croissance (90% x 2%, soit 1,8% du PIB).
On comprend mieux, à travers cet exemple, la sensibilité de certaines variables à la solvabilité budgétaire d’un pays :
- Une baisse de la croissance en valeur de 2% à 1% ferait passer l’excédent budgétaire primaire minimal nécessaire à la solvabilité de 1.8% à 2.7%
- Une hausse des taux longs de 4% à 4.5% ferait passer l’excédent budgétaire primaire minimal nécessaire à la solvabilité de 1.8% à 2.25%
- Une hausse du ratio dette/PIB de 90% à 100% ferait passer l’excédent budgétaire primaire minimal nécessaire à la solvabilité de 1.8% à 2%
Appliquons notre formule de la solvabilité publique minimale pour l’économie de la Grèce :
- Ratio dette sur PIB à 175%
- Croissance en valeur nulle
- Taux long à 3% par exemple (qui est le taux long « subventionné » des programmes d’aide et non le taux long auquel la Grèce se refinancerait sur les marchés)
Donc l’excédent budgétaire primaire minimal devrait être assez considérable à 5.25% du PIB : 175% x (3%-0%)
En prenant un ratio dette sur PIB à 200%, une croissance en valeur à -1% et un taux long à 10% (dans l’hypothèse de la disparition des programmes de refinancement « subventionnés suite à une sortie de la zone Euro), l’excédent minimal nécessaire devrait être de 22% !!
Quand finira-t-on par comprendre que ce n’est donc pas en proposant un nième plan de « sauvetage » par apport de liquidités que l’on diminuera l’excédent primaire nécessaire et que l’on améliorera la solvabilité de la Grèce ?