Une dizaine de pays principaux alimentent le reste du monde en céréales ou en huiles végétales. Au sein de ce marché international, l’Ukraine tient une place centrale : 3ème pays exportateur de maïs, 2ème pays exportateur de céréales (maïs, blé, orge) ou encore 1er pays exportateur d’huile de tournesol. Les bouleversements géopolitiques actuels ont ainsi une portée internationale sur le monde agricole et agroalimentaire, et les élections annoncées le 25 mai prochain pourraient accentuer une tendance déjà bien dessinée.
L’agriculture, un enjeu économique majeur
L’Ukraine a développé son agriculture autour d’une stratégie exportatrice : plus de 50 % de sa production agricole part vers l’Afrique du Nord (Egypte, Maghreb), le Moyen-Orient, l’Europe, ou l’Asie (Corée du Sud, Japon). En 2013, l’Ukraine a exporté presqu’autant de blé que la France et a rivalisé avec le Brésil en maïs. Ses terres noires parmi les plus fertiles d’Europe sont ainsi suivies de près. La production agricole ukrainienne représente plus de 10 % du PIB du pays, contre 2 % en France.
Un potentiel de production remis en question
L’analyse des résultats des élections présidentielles de 2010 montre que les régions ayant voté pour le pro-Russe Viktor Ianoukovitch représentent plus de la moitié de la surface des terres noires. Le basculement de ces régions aux séparatistes russes viendrait conforter la place de la Russie comme acteur incontournable en termes de volumes exportés en blé, et lui permettrait de donner un nouvel élan sur ses exportations de maïs. Signe de la portée économique de ces terres, le ministère de l’agriculture russe a d’ores et déjà intégré le potentiel de production de la Crimée dans ses estimations nationales.
Si la production agricole du grenier à grain de l’Europe est remarquable, les récents bouleversements et la dévaluation exceptionnelle de la monnaie locale freinent les investissements des agriculteurs. La grivna a perdu plus de 40 % de sa valeur depuis le début de la crise en février, entrainant des difficultés de trésorerie ainsi qu’une hausse du coût des semences et des intrants importés (engrais, produits phytosanitaires). Dans les régions séparatistes, où la monnaie locale reste encore la grivna, les agriculteurs subissent également ces conditions économiques difficiles. C’est donc bien toute la zone des terres noires qui voit son potentiel de rendement revu à la baisse. Le maïs, dont le coût de production à l’hectare est le plus élevé, est la culture la plus touchée. Ainsi, nous estimons une baisse de la production pour la campagne 2014 de céréales de près de 18 %, et ce malgré des estimations récentes du ministère de l’agriculture ukrainien, plus optimistes.
L’accès à la mer Noire : la porte d’entrée de l’ensemble du bassin méditerranéen
Le second enjeu est l’accès à la mer Noire : 97 % des exportations ukrainiennes passent par ses ports. Si les référendums du 16 mars et du 11 mai permettent à la Russie d’étendre sa zone côtière sur la mer d’Azov et sur les côtes de Crimée, ce sont bien les ports d’Odessa et de Mykolayiv qui constituent la zone stratégique pour les exportations. Les récents éclats qui ont eu lieu à Odessa en témoignent. En effet, ces ports bénéficient de tirants d’eau plus profonds qui permettent le chargement de cargos de plus de 50 000 tonnes de type panamax, optimisant les coûts logistiques. Or en mer d’Azov, seuls des bateaux de 5 à 10 000 tonnes peuvent être chargés. La zone d’Odessa et de Mykolayiv est donc le point de départ de la grande majorité des marchandises vers les pays importateurs (près de 80 %). Aucun des partis politiques n’a d’intérêt à bloquer les exportations, source de richesse pour leurs pays, et jusqu’à présent aucun ralentissement remarquable de chargement n’a été constaté. L’Ukraine est d’ailleurs en passe de réaliser un record en termes d’exportations. Si la zone portuaire Odessa-Mykolayiv venait à changer de gouvernance, la production ukrainienne risquerait d’être directement dépendante de la Russie pour les autorisations de chargement.
Des tensions sur le marché international
Aujourd’hui le marché international est en alerte. L’Ukraine voit son potentiel d’exportation revu à la baisse à cause d’un manque d’investissement dans les cultures. Par ailleurs, ces bouleversements géopolitiques, susceptibles d’être à nouveau remis au 1er plan dans le cadre des élections présidentielles du 25 mai, pourraient entrainer des perturbations sur la disponibilité en grain au départ des ports de la mer Noire. Couplé à des conditions climatiques très incertaines dans les différentes zones de productions internationales, ce contexte a déjà entrainé depuis début février une hausse des prix du blé de 15 %.