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L’effet du télétravail sur les prix immobiliers est loin d’être anodin

La pandémie de Covid a provoqué une forte hausse du recours au télétravail, dont une part significative est permanente. De nombreux instituts statistiques ont démontré que cela a coïncidé avec le départ d’un certain nombre de personnes des grandes agglomérations vers des villes plus petites, pour y télétravailler...

La pandémie de Covid a provoqué une forte hausse du recours au télétravail, dont une part significative est permanente. De nombreux instituts statistiques ont démontré que cela a coïncidé avec le départ d’un certain nombre de personnes des grandes agglomérations vers des villes plus petites, pour y télétravailler. L’impact sur les prix immobiliers est loin d’être anodin, et pourrait même avoir des conséquences sur la politique monétaire.

L’exemple de la France

La crise du Covid a profondément modifié la façon de travailler. Il est désormais bien documenté qu’avec le télétravail, un certain nombre de personnes a quitté les grandes agglomérations pour aller vivre dans des plus petites villes et que cela a propulsé les prix immobiliers hors des grandes agglomérations. Si on prend le cas de la France, les chiffres de l’INSEE indiquent que le prix moyen des appartements à Paris a à peine bougé entre le début 2020 et le début 2022 alors qu’il a augmenté de plus de 8% en Ile de France hors Paris et de 15% en province. Cela a marqué un changement de dynamique par rapport aux années précédentes.

Aux Etats-Unis, plus de la moitié de la hausse des prix immobiliers

On sent bien avec l’exemple de la France que le télétravail a joué sur les prix immobiliers de façon différenciée selon les zones mais l’une des questions que l’on peut se poser est celle de l’impact sur les prix immobiliers au niveau national. Deux chercheurs de la Fed de San Francisco ont effectué ce travail dans le cas des Etats-Unis. Ils ont travaillé sur 895 zones géographiques d’au moins 10 000 habitants, ce qui couvre une très grande partie des Etats-Unis. Ils ont récupéré pour chaque zone l’évolution de la part des employés pratiquant le télétravail en permanence : au niveau national, cette proportion est passée d’environ 5% avant la pandémie à plus de 16% en 2020. Ils ont également récupéré pour chaque zone la migration nette de population, c’est-à-dire le solde de la population qui a emménagé dans la zone et de la population qui a quitté la zone. Enfin, ils ont aussi récupéré pour chaque zone l’évolution des prix immobiliers calculée par la société Zillow et pour un échantillon un peu plus restreint l’évolution des loyers calculée par la société Apartment List.

Un premier pan de l’étude montre que la part du recours au télétravail avant la pandémie est fortement corrélée à l’augmentation du recours au télétravail pendant la pandémie : autrement dit, ce sont dans les zones qui se prêtaient le plus au télétravail avant la pandémie que le télétravail a le plus augmenté, vraisemblablement en raison de caractéristiques spécifiques, comme le fait de disposer d’un cadre agréable ou de différentes commodités.

Ensuite, les auteurs montrent que les zones avec les parts de télétravail les plus élevées ont connu les hausses de prix immobiliers les plus importantes. En effectuant des régressions longitudinales, ils parviennent au résultat que chaque point de pourcentage supplémentaire de télétravail constaté en 2020 est associé à une hausse des prix immobiliers supplémentaire de 1,5% sur la période allant de décembre 2019 à novembre 2021.

Les résultats sont très proches pour les loyers. Un point intéressant ici est que les auteurs ne trouvent aucun lien entre la dynamique des prix avant la pandémie et la part de télétravail chez les employés, ce qui suggère qu’il y a bien eu un choc exogène en lien avec le télétravail au cours de la pandémie.

Toutefois, comme l’indiquent les auteurs, il est difficile d’extrapoler ce que représentent ces résultats au niveau national car la pression haussière sur les prix créée par des ménages qui arrivent dans une zone pour y télétravailler peut être associée à une pression baissière sur les prix dans la zone qu’ils viennent de quitter. Les auteurs ont donc cherché à neutraliser les effets liés aux migrations afin d’isoler un effet « purement » lié à la recherche de biens immobiliers dans des zones adaptées au télétravail. Ils concluent que les migrations nettes représentent environ un tiers de l’effet sur les prix évoqué tout à l’heure et qu’après avoir neutralisé l’effet des migrations nettes, un point de pourcentage supplémentaire de télétravail observé en 2020 est associé à une hausse des prix immobiliers de quasiment 1% sur la période 2020/2021. Pour les auteurs, la forte hausse du recours au télétravail permettrait ainsi d’expliquer 15 des 24% de hausse des prix immobiliers moyens observés aux Etats-Unis entre décembre 2019 et novembre 2021 : plus de la moitié de la hausse des prix immobiliers de cette période pourrait être ainsi expliquée par l’augmentation du recours au télétravail.

Les auteurs estiment donc que la hausse des prix immobiliers de 2020 et 2021 reflète davantage une évolution fondamentale qu’une bulle spéculative et que la politique monétaire de la Fed n’aurait eu qu’une importance secondaire. Ils émettent également l’hypothèse que l’évolution future des prix immobiliers dépendra beaucoup de l’évolution du télétravail. Si le télétravail périclite, on pourrait imaginer une annulation du phénomène observé… mais s’il persiste et se renforce, l’effet sur les prix immobiliers et donc sur l’inflation serait encore plus fort.

Un enjeu pour l’évolution de l’inflation sur les prochains trimestres…

Comme nous venons de le voir, la hausse du recours au télétravail semble avoir fortement contribué à la hausse récente des prix immobiliers aux Etats-Unis. Mais il est important de souligner que l’ampleur de la hausse des prix est extraordinaire. En considérant les séries longues compilées par Robert Shiller (qui remontent à 1890), on s’aperçoit que le seul moment où les prix ont augmenté aussi vite que sur les derniers trimestres était à la sortie de la 2ème guerre mondiale.

La valeur réelle de l’immobilier est quasiment 15% supérieure au pic de 2005/2006. La configuration est très différente de celle du cycle des années 2000, puisque ce dernier était caractérisé par une phase de surinvestissement alors que les années 2010 ont été marquées par un sous-investissement historique.

C’est un sujet que les banques centrales doivent suivre de très près. Aux Etats-Unis, les loyers (ou équivalent loyers pour les propriétaires) constituent une composante très importante des indices de prix à la consommation (CPI ou PCE). La forte hausse des prix des logements s’est accompagnée d’une forte hausse des loyers or celle-ci met généralement environ un an à être prise en compte dans les indices de prix. La composante « logement hors énergie » du CPI n’a cessé d’accélérer ces derniers mois et a atteint en juin son plus haut niveau depuis 1982. Un working paper du NBER publié récemment et co-signé par Larry Summers, prévoit que « même si le reste du panier CPI revient à la cible des 2%, le logement poussera le core CPI à près de 4% en décembre 2022 ». Selon cette étude, l’inflation sous-jacente devrait rester assez élevée en 2023 en raison de l’immobilier.

Les effets à long terme du choc de digitalisation qui a eu lieu lors de la crise Covid sont encore mal connus. Néanmoins, il semble que la forte hausse du recours au télétravail a eu un impact très important sur le marché immobilier dans différents pays, et en particulier aux Etats-Unis. La hausse des prix immobiliers qui en résulte va avoir un impact durable sur l’inflation et compliquer la vie des banquiers centraux pendant quelques temps. C’est un exemple clair que les changements sociétaux peuvent avoir des conséquences macro-économiques importantes.

Bastien Drut Juillet 2022

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