Depuis le début de l’été, les investisseurs commencent à douter des retombées financières de l’intelligence artificielle (IA). Son développement exige d’importants capitaux pour des résultats futurs et incertains. D’un côté les apporteurs de capitaux qui souhaitent savoir si l’intelligence artificielle ne pourrait se transformer en deuxième bulle digitale après celle d’Internet au début des années 2000 ; de l’autre les dirigeants des entreprises de haute technologie qui demandent des fonds pour mener leurs recherches. Sundar Pichai, le directeur général d’Alphabet, propriétaire de Google, a ainsi déclaré récemment que « le risque de sous-investir est considérablement plus grand que le risque de surinvestir ». Les dépenses en capital d’Alphabet devraient augmenter d’environ de 50 % en 2024 pour atteindre 48 milliards de dollars, une grande partie de cette somme sera consacrée à l’IA. Satya Nadella, le PDG de Microsoft, a également réaffirmé son intention d’accroître ses investissements dans l’IA. Alphabet, Microsoft, Amazon et Meta, dépenseront 104 milliards de dollars cette année pour construire des centres de données d’IA, selon « New Street Research, un cabinet d’analystes américains. Entre 2024 et 2027, les dépenses pour les centres de données pourraient dépasser 1400 milliards de dollars, à moins que les investisseurs mettent fin à la fête.
L’ampleur de cet investissement et l’incertitude inquiètent les actionnaires. Le cours des actions des valeurs technologiques est orienté à la baisse depuis deux mois. Du 7 juillet au 7 août 2024, l’indice Nasdaq a reculé de 11 % après avoir battu record sur record du mois d’avril à juillet. Depuis le début de l’année 2023, le cours moyen des actions des entreprises spécialisées dans l’IA a augmenté de 103 %, contre une hausse de 42 % de l’indice S&P 500. La chute des cours ne conduit pas pour le moment les entreprises du secteur de l’IA à réduire leurs investissements. Elles se plaignent de rencontrer des goulots d’étranglement au niveau des équipements. Elles prévoient une augmentation de leurs ventes en matière d’intelligence artificielle de 14 % en 2025, croissance nettement supérieure à celle de l’ensemble de l’industrie qui s’attend qu’à une hausse de 1 % de ses ventes. La demande reste importante pour les semi-conducteurs et pour les serveurs, soit plus de 20 % d’augmentation en 2025. Pour le moment, les grands gagnants de l’engouement pour l’intelligence artificielle sont, en effet, les fabricants de micro-processeurs et de serveurs. Nvidia est à l’origine de près d’un tiers de la hausse des ventes attendue des entreprises spécialisées dans l’intelligence artificielle. Cette entreprise devrait vendre pour 105 milliards de dollars de microprocesseurs d’IA et d’équipements associés en 2024, contre 48 milliards de dollars en 2023. AMD, son plus proche rival, vendra cette année environ 12 milliards de dollars de puces pour centres de données, contre 7 milliards de dollars, l’année dernière. En juin, Broadcom, un autre fabricant de microprocesseurs, a déclaré que ses revenus trimestriels liés à l’IA avaient progressé de 280 % sur un an, pour atteindre 3,1 milliards de dollars. Cette entreprise aide ses clients, notamment les fournisseurs de cloud, à concevoir leurs propres puces et vend par ailleurs des équipements réseau. Dell et Hewlett Packard Enterprise (Hpe) ont doublé au cours du deuxième trimestre leurs ventes de serveurs IA. Foxconn, une entreprise taïwanaise, a multiplié par trois ses ventes de serveurs ces douze derniers mois.
Pour faire face à la demande, l’ensemble des entreprises de la chaine de valeurs de l’IA construisent de nouvelles usines. Elles augmentent leurs dépenses d’investissement afin de maintenir leur compétitivité. Elles recourent également à la croissance externe en acquérant d’autres entreprises du secteur. Le fabricant américain de semiconducteurs, AMD, a annoncé l’achat de Silo AI, une startup. En janvier dernier, HPE a indiqué qu’il dépenserait 14 milliards de dollars pour acquérir Juniper Networks, qui fabrique des équipements réseau. En décembre dernier, Vertiv a décidé le rachat de CoolTera, spécialiste du refroidissement liquide. Les serveurs d’IA nécessitent des systèmes de refroidissement de plus en plus puissant ce qui génère des coûts importants.
La chaine d’approvisionnement au niveau de l’IA est une source d’inquiétudes en raison notamment de la forte dépendance du secteur à Nvidia. Avec ses microprocesseurs, cette entreprise impose ses règles aux entreprises en aval. Elle les oblige en fonction des changements de modèles de puces à revoir leur chaine de production. Le secteur est sujet à d’importants goulots d’étranglement. L’approvisionnement en l’électricité constitue un enjeu majeur. D’ici 2030, l’IA pourrait provoquer une hausse de la consommation d’électricité de 7 % aux Etats-Unis par an quand celle-ci n’a augmenté que de 0,2 % entre 2010 et 2022. En Californie, des investissements importants en matière de production d’électricité doivent être réalisés en urgence compte tenu de la multiplication des centres de données IA. Des entreprises se spécialisent dans la fourniture hors réseau d’énergie électrique. Talen Energy a vendu, pour 650 millions de dollars, un serveur alimenté par une de ses centrales nucléaires. OreWeave, un fournisseur de cloud d’IA, a récemment conclu un accord avec Bloom Energy, un fabricant de piles à combustible, pour produire de l’électricité sur site.
Tous ces investissements n’ont de sens que si la demande en outils IA augmente de manière exponentielle. Or, des doutes apparaissent sur ce point. En juin dernier, la banque Goldman Sachs et la société de capital-risque Sequoia ont publié une étude mettant en question les avantages des outils actuels d’IA générative. Le ratio cours/bénéfice a progressé de neuf points de pourcentage pour les entreprises du secteur de l’IA. Sans amplification de la diffusion de l’IA dans l’ensemble de l’économie, le risque d’une correction massive en bourse n’est pas nul. Pour le moment, malgré les récentes turbulences, la tendance demeure néanmoins porteuse pour l’IA.