Le Premier ministre a décidé de confier au Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) la réalisation de cette étude qui servira de référence au document que le Gouvernement s’apprête à remettre au Parlement. Tel est l’objet du présent rapport.
1 - La fiscalité affectée, aux contours mal définis, est une pratique ancienne et dérogatoire
Afin de permettre au Parlement de contrôler l’allocation et le bon usage des deniers publics, le principe de l’universalité budgétaire prévoit l’affectation des ressources fiscales au budget général de l’État.
Toutefois, et depuis longtemps en France, il a été procédé à des affectations de ressources fiscales, en dehors du budget général de l’État, à des tiers dotés de la personnalité morale, alors que cette pratique est globalement moins développée à l’étranger.
Faute d’une définition juridique précise, la fiscalité affectée est un phénomène mal connu. Pourtant, elle constitue aujourd’hui une importante catégorie de prélèvements : le CPO a ainsi recensé, pour l’année 2011, près de 309 taxes affectées d’un rendement agrégé de 112 Md€ (soit 5,2 % du PIB et 13 % des prélèvements obligatoires).
Conformément à la demande du Premier ministre, le CPO a concentré ses travaux et ses propositions sur un champ de taxes affectées excluant les impôts « sociaux » (CSG, CRDS et forfait social) et les taxes bénéficiant aux collectivités territoriales. En pratique, le périmètre retenu comprend, pour 2013, 214 taxes affectées à 453 organismes bénéficiaires pour un rendement total de 28 Md€. Il s’agit pour l’essentiel des taxes bénéficiant aux agences de l’Etat (14,6 Md€), aux chambres consulaires (1,9 Md€), aux organismes techniques ou professionnels (1,4 Md€) et aux dispositifs de solidarité nationale tels que la contribution au service public de l’électricité, le fonds national d’aide au logement ou le fonds national des solidarités actives (10 Md€).
2 - La fiscalité affectée a connu un développement significatif ces dernières années et se concentre sur un nombre restreint de secteurs d’activités
Les taxes affectées constituent des prélèvements particulièrement dynamiques : la fiscalité affectée a connu, entre 2007 et 2011, une croissance de 27,6 %, près de quatre fois plus importante que celle de l’ensemble des prélèvements obligatoires (7 %).
Prises individuellement, elles apparaissent généralement de taille modeste mais présentent parfois des coûts de gestion importants. La fiscalité affectée a probablement été utilisée comme vecteur « indolore » d’augmentation de la ressource fiscale. Le CPO relève ainsi l’existence de « micro-taxes » : 29 taxes ont un rendement inférieur à 0,5 M€ par an et 81 taxes un rendement inférieur à 5,5 M€.
Bien que très dispersée dans de nombreux secteurs, la fiscalité affectée se concentre dans le secteur financier, l’industrie pharmaceutique, l’agriculture et les transports, qui totalisent près de la moitié du nombre de taxes affectées sectorielles.
3 - Le développement de la fiscalité affectée finit par créer des difficultés budgétaires et économiques
La multiplication des taxes affectées se révèle globalement coûteuse pour les finances publiques compte tenu de la difficulté à maîtriser leur évolution : la dynamique d’une taxe peut être déconnectée de celle des besoins réels de l’entité qui en bénéficie.
De ce fait, les dépenses des bénéficiaires de taxes affectées (dépenses d’intervention, effectifs et masse salariale, notamment) apparaissent souvent plus dynamiques que les autres dépenses publiques, en particulier celles de l’État. En moyenne, on observe une tendance des bénéficiaires de taxes à mener une politique essentiellement pilotée par le niveau des recettes. Ainsi, les dépenses des opérateurs financés par taxes affectées ont augmenté, entre 2007 et 2012, de 4,5 % par an, contre 2,4 % par an pour les opérateurs non financés par taxes affectées et 1,2 % par an pour le budget de l’État.
À l’inverse, dans les situations où le rendement des taxes est insuffisant, il arrive que l’État soit contraint de verser ponctuellement des subventions d’équilibre.
L’autonomie de gestion des bénéficiaires de taxes affectées a tendance à affaiblir les pouvoirs de contrôle du Parlement et des administrations de tutelle.
Enfin, les effets économiques de la fiscalité affectée peuvent être importants. Le foisonnement de taxes affectées contribue à la complexité de la fiscalité française et à son instabilité ; par ailleurs, il peut perturber certains équilibres concurrentiels au sein des secteurs concernés.
4 - Le foisonnement de taxes affectées semble surtout traduire des phénomènes de débudgétisation
Les arguments avancés en faveur de l’affectation ne justifient pas, dans la plupart des cas, une dérogation au principe de l’universalité budgétaire.
Le recours à la fiscalité affectée s’explique généralement par le souhait de contourner les contraintes budgétaires. La norme de dépenses, en imposant une contrainte forte sur les crédits du budget général, a ainsi favorisé le développement des taxes affectées et la débudgétisation corrélative de certaines dépenses. Les taxes étant des ressources, elles n’entrent pas, en effet, dans la norme de dépenses. Dès lors, le financement des agences par des taxes plutôt que par des dotations budgétaires, qui sont, quant à elles, prises en compte dans la norme, permet de mieux respecter les engagements budgétaires.
Malgré les mesures récentes de plafonnement et d’écrêtement, les taxes affectées demeurent encore insuffisamment encadrées.
5 - Une rationalisation de la fiscalité affectée s’impose
Le respect des principes budgétaires et fiscaux fondamentaux doit conduire à réaffirmer le statut d’exception de la fiscalité affectée, sous la forme d’une stratégie de rebudgétisation ambitieuse. Dans cette attente, les taxes affectées devraient faire l’objet d’un contrôle budgétaire systématique, notamment sous la forme d’une généralisation du plafonnement de leur produit.
La collecte devrait être organisée par l’État, sauf lorsque l’affectataire est plus efficient. Dans les cas où une taxe affectée est maintenue, des modalités de contrôle strictes gagneraient à être mises en place.
La suppression de certaines « micro-taxes » à la collecte coûteuse, ou de certaines taxes particulièrement distorsives, pourrait également être envisagée. À moyen terme, une modification de la LOLF permettrait de mieux encadrer les affectations externes au budget général.
Au total, le CPO recommande la mise en œuvre d’une réforme en deux étapes :
- la première étape consisterait à rebudgétiser rapidement 33 taxes, d’un rendement agrégé total de plus de 2,2 Md€, et à généraliser le plafonnement de 127 autres taxes pour un enjeu financier représentant 5,9 Md€ ;
- la seconde étape aurait pour objet, à moyen terme, de rebudgétiser 47 taxes supplémentaires, représentant un volume de 20 Md€, qui, après réforme structurelle, auraient vocation à être remplacées par des dotations budgétaires. Il s’agit de 32 taxes affectées à des agences de l’État (5,6 Md€), de six taxes affectées à des chambres consulaires (1,9 Md€), de quatre taxes affectées à des dispositifs de solidarité (6,3 Md€) et de cinq taxes affectables à un compte spécial (6,2 Md€).
Les autres taxes resteraient affectées mais seraient plafonnées : il s’agit pour l’essentiel des taxes assurantielles ou relevant d’une logique de quasi-redevances (67 taxes, 2 Md€) et des taxes affectées aux organismes techniques ou professionnels (68 taxes, 1,3 Md€).
Conclusion
Compte tenu de son ampleur, la fiscalité affectée se révèle coûteuse pour les finances publiques. Son absence de contrôle par le Parlement porte atteinte au fondement de la démocratie parlementaire et ne contribue pas à une gestion rigoureuse des deniers publics. Dans ce contexte, une réforme de la fiscalité affectée apparaît nécessaire, sans toutefois remettre en cause l’ensemble des diverses politiques publiques qu’elle finance.