Tout d’abord, la valeur de cette classe d’actifs est considérable. Au niveau mondial, le marché immobilier était estimé à 325,000 milliards de dollars en 2020, contre « seulement » 109,000 milliards pour les marchés actions [1]. Le marché résidentiel constitue la partie la plus importante mais il faut aussi penser à l’immobilier de bureau. Depuis 10 ans, la valeur immobilière de ces deux segments n’a fait que monter et parfois dans des proportions très élevées.
La raison principale de cette hausse est bien documentée : pendant dix ans, les banques centrales ont maintenu artificiellement des taux d’intérêts proches de zéro, que ce soit aux Etats-Unis, en Europe ou en Angleterre. L’immobilier a une caractéristique particulière par rapport aux autres classes d’actifs : pour acheter, il est possible d’emprunter des sommes très importantes, qui représentent parfois 100% de la valeur du bien. Plus les taux sont bas, plus il est facile d’emprunter une somme importante, l’immobilier a donc amplement profité de ces taux très faibles.
Mais depuis plusieurs mois, la situation a radicalement changé. L’inflation est de retour, au plus haut depuis 40 ans. Les banques centrales, initialement surprises et attentistes, montent désormais les taux rapidement et agressivement. Le 30 ans américain, taux de référence pour fixer le taux des emprunts immobiliers, est passé de 3% à près de 7% en un an.
Un ménage, avec une capacité de remboursement de 2000 dollars par mois, peut désormais emprunter seulement 272000 dollars contre 400000 dollars il y a un an, soit une baisse de plus de 30% de son « pouvoir d’achat ». Les primo-accédants, qui peuvent représenter près de la moitié des transactions, sont les plus touchés.
Déjà le nombre de transactions baisse, -20% sur un an en août aux Etats-Unis. Les propriétaires qui ont emprunté à taux variables sont aussi les victimes de ce changement de paradigme. Avec les taux qui montent, leur pouvoir d’achat baisse. Au Canada et en Suède, deux pays où les emprunts à taux variables représentent plus de la moitié des prêts immobiliers, les prix sont en baisse de 8% depuis février.
Le marché de l’immobilier de bureau est aussi en train de corriger. Déjà affaibli par les conséquences du COVID (télétravail), il fait désormais les frais d’un problème de liquidité. Ces dix dernières années, les fonds immobiliers ont connu un développement très rapide et sont maintenant des acteurs importants dans l’immobilier de bureau. En Angleterre, confrontés depuis quelques temps à des rachats, ils se retrouvent vendeurs forcés, une situation qui accélère la baisse du prix des actifs.
Aux Etats-Unis, trois universitaires américains [2] estiment que l’immobilier de bureau pourrait baisser de 28%. En Europe, les analystes de Bank of America anticipent une baisse de 12%.
Une baisse du marché immobilier entraîne des conséquences dans de nombreuses industries. Par exemple, en Chine, l’effondrement du marché a provoqué un arrêt des constructions de nouveaux logements, ce qui a déclenché une baisse annuelle de 15% de la production de ciment, une ampleur jamais vue historiquement. Pour maintenir leurs marges, les industries touchées risquent de réduire leurs effectifs, ce qui augmentera le chômage. Dans le secteur bancaire par exemple, Wells Fargo diminue la taille de certaines équipes car les demandes de refinancement ont quasiment disparu.
Pour résumer, le marché immobilier a connu une décennie « dorée ». Mais la hausse des taux rapide et brutale fragilise ses fondations. Cette nouvelle décennie s’annonce bien plus risquée.