Cela va bientôt faire un an que BP a perdu au bas mot une cinquantaine de milliards de dollars dans les eaux du Golfe du Mexique.
Alors que l’administration américaine a considérablement durci les conditions d’obtention de permis de forage sous-marins, la compagnie pétrolière britannique et l’ensemble de ses rivales ont accéléré leur stratégie au nord-est des Etats-Unis, ainsi qu’au Texas : les énergies non conventionnelles. Et parmi elles, au premier plan, le gaz de schiste.
Lors du dernier sommet mondial de l’Agence internationale de l’Energie, à Londres, au mois de novembre, son chef économiste Fatih Birol a rappelé l’importance majeure et absolument vitale de ce type d’énergie d’ici 2035. Selon les prévisions, “10% de la demande totale en pétrole et gaz sera satisfaite par les circuits non-conventionnels, dont le volume disponible représente plusieurs fois celui des ressources fossiles”. Seul défaut, majeur, il libère plus de CO2 (10 à 15% de plus).
C’est en partie pour cette raison que son exploitation effraie beaucoup en France, bien davantage qu’aux Etats-Unis, pionniers en la matière, où le gaz de schiste – qui est en fait du gaz emprisonné dans du schiste, roche sédimentaire la plus répandue sur la planète, d’apparence semblable à l’ardoise - représente 15 à 20% de la production totale. Les consommateurs ont préféré considérer que la forte baisse des prix était un critère majeur d’adoption. De fait, les prix sont passés de 13,69 dollars par million d’unité thermique britannique (BTU, l’unité de calcul en vigueur) à 3 ou 4 dollars ces derniers mois. En France, les permis ont été suspendus par le gouvernement après que des associations écologistes aient alerté du danger pour les nappes phréatiques et les besoins en eau.
Total & co devront attendre, en sachant que les permis accordés dans l’Hérault, dans la Lozère, dans la Drôme ou dans l’Ardèche pourraient représenter à eux seuls l’équivalent de dix à vingt fois la consommation annuelle de gaz en France.
Au-delà des barrières juridiques et psychologiques, la France et l’ensemble de l’Europe (notamment en Pologne, en Suisse et au Royaume-Uni), souffre d’un déficit d’installations adaptées. Selon Oswald Clint, analyste chez Sanford Bernstein, “seules 74 tours de forage adaptées existent en Europe, contre une estimation de 1500 aux Etats-Unis, a-t-il expliqué lors de la dernière conférence sur les gaz non conventionnels, qui s’est tenue à Londres.
Pour l’instant, le volume de trading sur les différentes bourses (Nymex à New York ; NBP à Londres ; TTF à Amsterdam) rejoint celui des autres ressources naturelles. Le produit étant relativement récent, la taxation est basse, avec d’importantes variations de prix. L’Union européenne envisage d’ailleurs de créer un marché unique pour rationaliser le trading.
L’absence de fondamentaux sur les marchés pourrait créer des difficultés à court terme, comme cela vient de se passer en France - en amenant les autorités à réguler, ce qui pourrait nuire à des acquisitions de grande envergure.
Selon Kenneth Medlock, du Baker Institute, l’avènement du gaz de schiste pourrait provoquer des bouleversements géopolitiques majeurs : “L’application des mêmes technologies en Europe et en Asie qu’aux Etats-Unis devrait changer substantiellement la donne de l’offre de gaz de schiste. Et au lieu de voir une dépendance accrue en Russie et au Moyen-Orient, nous devrions assister à une spectaculaire redistribution des cartes. La force de Gazprom pourrait ainsi être sérieusement altérée dans les phases de négociation. Le gaz de schiste a provoqué un bouleversement du marché nord-américain du gaz naturel, aussi chaque acteur doit avoir un maximum d’attention sur les prochains développements.”
Les principales firmes pétrolières continuent d’augmenter leur exposition au gaz de schiste, malgré des conditions de marché actuellement défavorables. Les progrès technologiques ayant rendu l’exploitation possible, des milliards de dollars ont été dépensés ces toutes dernières années, sans discontinuer. Parmi les accords marquants de ces derniers mois, on peut relever l’achat par ExxonMobil de XTO Energy pour 41 milliards de dollars, ce qui a permis de créer le plus important producteur de gaz américain ; mais aussi la prise de participation de BP dans Chesapeake Energy pour 1,75 milliards de dollars, accord significatif puisque British Petroleum est engagé dans un vaste programme de revente d’actifs. Lequel a donc des exceptions.
L’une des zones principales d’exploration est celle de Marcellus Shale, au nord-est des Etats-Unis. Mais ce type de zones existe partout dans le monde, en Amérique du Sud, en Chine, en Inde, en Australie, en Allemagne, en Suède et en Pologne.