Le 09/08/2007 peut-être considéré à juste titre comme la date officielle du début de la plus grande déflagration financière de l’histoire post-seconde guerre mondiale. Bien sûr vous trouverez toujours des contradicteurs pour vous expliquer que le début d’une crise ne peut avoir de date officielle et d’autres contradicteurs pour vous dire qu’il existait des signes avant coureurs explicites ou même implicites. Peu importe, il faut dater les événements surtout lorsque ceux-ci ont profondément transformé le mode de fonctionnement de nos économies et de nos marchés financiers.
En tout cas, ce 09/08/2007, nous assistons à la réalisation d’un risque extrême : les détenteurs de parts de fonds dits monétaires dynamiques de BNP PARIBAS investis pour l’essentiel sur des supports monétaires sans risque et marginalement sur des supports type ABS (asset backed securities ou encore pour les francophones de la finance titrisations) officiellement pour doper la performance des fonds vont apprendre subitement et brutalement que leur asset manager suspend la valeur liquidative des fonds et gèle par conséquent les actifs des investisseurs. Pour la première fois de son histoire, la BCE dirigée à l’époque par Jean-Claude Trichet va mettre en place un dispositif d’urgence d’injections de liquidités. On est encore loin des mesures non conventionnelles tardives mises en place entre fin 2011 et 2015 sous les acronymes VLTRO, TLTRO et QE mais nous avons, à l’époque, un avant goût de ce que peut faire une banque centrale – même conservatrice, car à l’époque la BCE est encore sous l’influence doctrinale de la Bundesbank – lorsqu’elle est confrontée à une crise de liquidité dans un environnement devenu systémique et mondialisé.
Pour être totalement transparent et ne pas accabler la seule institution BNP PARIBAS, encore faut-il souligner que des institutions aussi respectables que AXA IM et ODDO AM avaient gelé, dans de moindres proportions, les fonds d’investisseurs en juillet 2007. Ce qui est sûr, c’est qu’à l’époque, les positions marginales de titrisations devenues totalement illiquides (car adossées aux crédits subprime des ménages US surendettés et mal-endettés) sont venues contaminer les positions essentielles de ces fonds.
On voit que l’investisseur ne doit jamais perdre de vue la déconnexion entre les actifs financiers qu’il détient et le risque sur la banque (ou plutôt sa filiale d’asset management) qui a commercialisé les parts de fonds. En fait, il n’y a rien de plus simple pour récupérer son cash puisqu’il suffit de passer un ordre de rachat de ses parts. Et c’est là que la vérité apparaît. Ou le mensonge.
Le mensonge, c’est par exemple l’existence de risques de marché cachés comme nous venons de le voir avec les épisodes de l’été 2007 (parts de fond totalement invendables qui ne permettent pas de rendre la liquidité à l’investisseur ; valeurs liquidatives complaisantes qui sont étonnamment stables et qui chutent brutalement dès qu’un investisseur un peu moins moutonnier que la moyenne demande le rachat partiel ou total de ses parts). Mais le mensonge, c’est aussi la fraude. Souvenons-nous par exemple de l’affaire Madoff (le dixième anniversaire c’est pour dans 16 mois puisque l’affaire avait été révélée en décembre 2008) : un nombre significatif d’OPCVM français avaient été investis dans des "parts de fonds d’investissement" touchés par la fraude Ponzi de Bernard Madoff ; parmi ces fonds d’investissement, on peut citer le fonds Lux Alpha, géré par la banque UBS, et le fonds irlandais Thema Fund International. L’AMF avait reconnu la complexité de la situation pour les clients investis sur des OPCVM de droit français et n’avait pas clairement évoqué les conditions d’indemnisation "L’incertitude sur l’existence d’un impact et son ampleur sur ces deux fonds ou sur d’autres rend délicate l’appréciation de la situation des OPCVM de droits français eux-mêmes", expliquait alors le gendarme de la bourse français. La belle affaire pour les investisseurs.
Je parle de cette période en connaissance de cause. En fait, l’on ne parle très bien et l’on écrit très bien que sur des situations que l’on a vécu ou des contextes qui nous ont conduit à gérer des « crises ». A la différence de ceux qui parlent comme des livres et qui ne se trompent jamais car leur métier est de commenter, pour ne pas dire analyser, les décisions et actions des autres. J’ai été personnellement très concerné par cette journée du 09/08/2007 d’un point de vue professionnel car investi et bien investi dans l’un des fonds de BNP PARIBAS.
C’était le début de mes vacances d’été – naturellement les pires vacances de ma vie professionnelle. Le plus grand cauchemar d’un investisseur n’est pas forcément une position perdante car vous avez toujours les moyens d’agir : conserver, couper totalement ou partiellement, couvrir plus ou moins efficacement par des instruments dérivés. Tout ceci suppose qu’il y ait une liquidité minimale et un marché (organisé ou même de gré à gré). Mais lorsque l’on vous annonce que l’on gèle vos avoirs, vous savez que vous êtes en train de perdre de l’argent, peut-être beaucoup d’argent mais le plus stressant est que vous ne savez pas combien vous perdez : 10%, 20%, 30% …. ??
Ce dixième anniversaire doit permettre de prendre un recul - les marchés le peuvent-ils ? Je crains que non – et de comprendre la propagation des crises financières.
Première étape, un certain nombre d’investisseurs institutionnels se retrouvent dans l’incapacité de vendre des actifs pourris et illiquides alors qu’ils sont confrontés à des besoins de liquidités pour des raisons diverses et variées :
- respect de ratios réglementaires
- seuils d’alerte atteints sur stop loss et financement d’appels de marge
- anticipations de demandes de cash de la part de clients
- raisons comptables qui conduisent à vouloir réaliser des plus values qui viendront financer les moins-values latentes ou réalisées sur d’autres actifs.
Seconde étape, ces investisseurs seront alors lors forcés de vendre des actifs sains et liquides, accélérant la déconnexion entre le prix de tel actif et sa valeur fondamentale. Exemple : j’ai en portefeuille un actif A devenu pourri et illiquide, or j’ai besoin de liquidités pour une des raisons évoquées plus haut ; je vais donc être forcé de vendre mon actif B plutôt sain fondamentalement voire mon actif C encore plus sain.
On peut aussi citer dans des périodes de grand stress type faillite de Lehman à l’automne 2008 la situation de fonds spéculatifs à fort effet de levier qui, confrontés à une forte sous performance de leurs stratégies, devaient rembourser par anticipation les financements octroyés par les primes brokers et répondre à des appels de marge ; cela revenait donc à vendre à n’importe quel prix leurs actifs et arbitrages ; sans parler de la faillite de certains fonds qui ont conduit certains établissements bancaires à vendre les Mds de USD de titres qu’ils avaient reçus en garantie de la part de ces fonds.
En fait, l’histoire des crises des marchés financiers et de leur amplification depuis près de 20 ans ne peut absolument pas être comprise si l’on s’en tient aux purs fondamentaux. Il faut intégrer le phénomène de contagion entre actifs financiers et de ventes forcées pour des raisons commerciales, prudentielles, réglementaires ou comptables.
Ne croyez pas que tout ceci appartient au passé. Le phénomène des ventes forcées – pour de bonnes ou de mauvaises raisons, c’est le futur des marchés qui jugera – est inhérent à la vie des marchés financiers. En tout cas, les marchés, comme les hommes, apprennent très peu, en général, de leurs erreurs. Ainsi une crise de liquidité se transformant en crise financière généralisée peut arriver très subitement en dépit de la solidité des réglementations prudentielles. Naturellement, il faut qu’il y ait des catalyseurs pris au sérieux par les marchés : choc macroéconomique, crise géopolitique, défaut d’une grande banque ou d’un grand corporate, que sais-je encore mais s’il faut être plus explicite, les cygnes noirs potentiels dans toutes ces disciplines ne manquent malheureusement pas : Corée du Nord, krach économique en Chine, crise politique aux Etats-Unis, retour du risque bancaire en Italie ou en Espagne, choc pétrolier (soit avec une forte hausse des prix et un fort retour de l’inflation en Europe, soit avec une forte baisse des prix et une crise violente des économies émergentes), pour l’instant le risque d’implosion de la zone euro est quasi-inexistant ( ce n’est pas ce que nous aurions écrit il y a 6 mois).
Rappelons-nous qu’il y a un peu plus d’un an, les premières conséquences négatives du Brexit se firent déjà sentir sur la liquidité de fonds. Incapables de faire face aux demandes d’investisseurs désirant récupérer leurs parts, trois fonds de Standard Life, d’Aviva Investors et de M&G Investments gérant au total plus de 9 MdsGBP d’actifs dans l’immobilier commercial (bureaux, magasins...) avaient été contraints de fermer temporairement. D’autres maisons comme Henderson Group, Columbia Threadneedle, Canada Life et Aberdeen Asset Management suivirent en gelant là aussi temporairement quelques uns de leurs fonds investis dans l’immobilier britannique (pour un total de 18 MdsGBP). Certes tout ceci ne fut que temporaire et sans conséquence systémique mais personne ne peut vraiment savoir à l’avance quelles seront les conséquences systémiques ou non d’une crise de liquidité.