Des mesures de relance budgétaire ont été accordées par les gouvernements centraux aux particuliers et aux entreprises par l’intermédiaire des systèmes bancaires, sous la forme de moratoires, de garanties de prêts, de soutien direct aux liquidités et d’une pression accrue en faveur d’une augmentation des prêts aux PME.
Afin de renforcer et d’amplifier le rôle des banques dans cette crise, la Banque centrale européenne (BCE) a été d’un grand soutien, décidant de permettre temporairement :
- Un allègement des exigences en capital : plus de 120 milliards d’euros libérés pour absorber les pertes (environ 500 milliards de dollars au niveau mondial), grâce à l’utilisation temporaire de réserves de capital et de liquidités, à l’application de l’article 104.a (permettant aux banques d’utiliser des obligations AT1 et Tier2 pour constituer des réserves de capital), et en demandant aux banques de ne pas verser de dividendes ni de racheter d’actions (environ 30 milliards d’euros d’économies de capital).
- Soutien à la liquidité : assouplissement des conditions du TLTRO 3 afin de soutenir les prêts aux PME, en bénéficiant de la marge d’intérêt nette (jusqu’à -1% d’intérêt appliqué). En septembre 2020, l’utilisation totale des fonds de la BCE a atteint le nouveau record de 1750 milliards d’euros (contre 1260 milliards d’euros pendant la crise de la dette souveraine de 2011/2012).
- Allègement comptable : Flexibilité de l’application de l’IFRS9 pour la reconnaissance des prêts non performants garantis par des mesures publiques.
- Allègement réglementaire : report des stress tests, délais dans la mise en œuvre de Bâle IV et modification du cadre temporaire pour les aides d’État destinées à soutenir l’économie.
Le secteur bancaire est très sensible aux tensions économiques et géopolitiques. Bien que la qualité des actifs des prêts semble sous contrôle pour l’instant, la COVID-19 a eu un impact sévère sur l’environnement macroéconomique, entrainant une détérioration de la qualité des actifs au cours des prochains trimestres. Tandis que la baisse durable des taux d’intérêt aura un impact sur la génération de revenus. Le coût du risque a atteint environ 88 points de base au premier semestre 2020 (soit près de 4,4 fois plus qu’à la même période l’année dernière, où il était de 20 points de base) et le consensus du marché prévoit une hausse du coût du risque jusqu’à plus de 100 points de base en moyenne pour les banques de l’UE d’ici la fin 2020. Toutefois, même si les provisions ont augmenté, les chiffres provenant des bilans comptables ne fournissent pas suffisamment de précisions sur l’afflux de nouveaux prêts non productifs, principalement en raison du soutien fiscal aux économies et aux mesures de tolérance des dettes adoptées par les banques. Les prêts de catégorie 3 (prêts non performants) sont presque stables, tandis que les prêts de catégorie 2 (prêts avec une augmentation significative du risque de crédit depuis leur émission) ont augmenté modérément, ce qui crée des doutes sur la solidité du secteur bancaire ; la qualité des actifs de certaines banques pourrait s’avérer beaucoup plus faible que prévu au cours des prochains trimestres. En moyenne, les banques européennes ont une exposition de 15 à 20 % aux prêts vers les secteurs les plus touchés par la COVID 19. La transparence et l’analyse de sensibilité du bilan et des performances des banques sont essentielles pour répondre aux préoccupations des investisseurs concernant la viabilité des activités bancaires.
Dans certaines régions européennes, où le rythme de croissance des prêts non productifs est généralement plus élevé, les risques ne doivent pas être sous-estimés. Récemment, l’association bancaire italienne ("Associazione Bancaria Italiana") a souligné que le niveau moyen des prêts non productifs en Italie est toujours supérieur à l’objectif de 5 % fixé par l’Autorité bancaire européenne, malgré la réduction de 130 milliards d’euros atteinte au cours de la période 2015-2020. Cette tendance positive risque fort de s’inverser, ce qui compromettrait les efforts déployés jusqu’à présent. Sur une note plus positive, la création d’une « bad bank » européenne commence à se concrétiser et le marché des prêts non productifs est toujours en vie malgré la pandémie : Unicredit vend pour 1,5 milliard d’euros de ces prêts tandis que BPER achève une titrisation de 1,2 milliard d’euros.
Depuis le début de la crise COVID-19, les actions de notation négative sur les banques ont été assez intenses par rapport au secteur des entreprises, avec une migration importante vers les notations BBB+/BBB et une dégradation des perspectives vers le négatif. Dans certains cas, cette situation a également été exacerbée par le risque souverain, comme on l’a vu, entre autres, avec l’Italie, la Belgique, la France et le Royaume-Uni.
Dans ces circonstances fragiles, les banques européennes détruisent clairement de la valeur avec un rendement des fonds propres inférieur à leur coût. La réduction des coûts ou les fusions et acquisitions sont les deux options possibles dans ce contexte de taux d’intérêt bas et de contraction de l’environnement économique (PIB de l’UE : -21,1 % au deuxième trimestre de l’année). Grâce à une approche favorable de la BCE (pas de majoration de capital et utilisation de « badwill », la condition qui se présente lorsque le prix payé pour des actifs identifiables est inférieur à leur juste valeur marchande nette), la consolidation nationale et transfrontalière s’accélère.
L’écart de rentabilité avec les banques américaines se creuse clairement et, bien qu’elles aient mis de côté environ 35 milliards de dollars pour d’éventuels prêts défaillants, les six plus grandes banques de Wall Street ont quand même réalisé près de 13 milliards de dollars de bénéfices au cours du deuxième trimestre. La consolidation transfrontalière est donc le principal moteur pour créer des champions européens capables de rivaliser au niveau international. Ces dernières semaines, plusieurs titres ont fait la une des journaux pour de potentielles activités de fusions-acquisitions des champions européens : le PDG de la Deutsche Bank considère les fusions-acquisitions comme une option pour l’année prochaine ; UBS est un candidat possible pour des fusions-acquisitions nationales et transfrontalières ; BBVA s’intéresse à Sabadell et le Crédit Agricole est susceptible de développer ses activités en Italie. La Commerzbank est également un candidat solide pour la consolidation. Toutefois, l’avancement incomplet du système européen de garantie des dépôts (EDIS), également appelé troisième pilier de l’union bancaire européenne, reste le principal obstacle.
En Italie, en Espagne et en Allemagne, le secteur bancaire est encore trop fragmenté, ce serait pourtant le bon moment pour résoudre les inefficacités des secteurs bancaires nationaux. En Italie et en Espagne, les banques de taille moyenne/petite sont fragiles, ont une faible rentabilité, une base de coûts relativement élevée et un niveau important de prêts non performants. En outre, le coût élevé et l’accès limité au marché compromettent leur capacité à émettre des obligations susceptibles d’être renflouées, avec le risque que le contribuable soit une nouvelle fois appelé à supporter les pertes des banques en faillite ou susceptibles de l’être. Selon moi, la consolidation est également un moyen d’établir des banques solvables en Europe, de créer des institutions plus fortes, capables d’attirer l’intérêt des investisseurs institutionnels et de disposer de fonds propres et de réserves de passif plus importantes.
À cet égard, les consolidations d’Intesa et d’UBI en Italie et de Caixa et Bankia en Espagne peuvent être considérées comme un élément déclencheur d’une plus grande activité de fusions-acquisitions en Europe.
Les obligations émises par le secteur bancaire représentent environ 27 % de l’indice Iboxx Euro Corporate Investment Grade, ce qui en fait le secteur le plus important. L’exposition aux banques est donc inévitable pour les investisseurs en titres à revenu fixe. Après un élargissement massif en mars-avril 2020, les spreads des banques se sont rapidement redressés, principalement grâce au soutien de la BCE et aux mesures budgétaires des gouvernements nationaux. En septembre 2020, la part des obligations à rendement négatif dans l’univers des titres Investment Grade était de 22 % pour les institutions financières contre 20 % pour les entreprises, alors qu’en décembre 2019, elles étaient de 13 % contre 14 % respectivement. Au vu des spreads actuels, les obligations seniors et subordonnées (Tier2) émises par les banques sont selon moi intéressantes. Les dettes subordonnées semblent chères par rapport aux hybrides d’entreprises avec un rendement de 1,16% contre 2,33% (2,35% et 3,17% en avril 2020). L’offre est par ailleurs supérieure au niveau de l’année dernière, 25,1 milliards d’euros contre 19,2 milliards d’euros, suite à l’application de l’article 104.a.
Les obligations perpétuelles supplémentaires de Tier 1 des banques (AT1) ont une valeur relative supérieure aux obligations de Tier 2 et aux obligations BB à haut rendement. Cependant, les AT1 bénéficient du soutien temporaire des régulateurs, qui privilégient le coupon par rapport aux dividendes, ainsi que de l’application de l’article 104.a, qui permet aux banques d’émettre davantage d’AT1 pour augmenter leur capital, ce qui se traduit par un coupon plus faible et un risque de non-rachat. Cependant, les AT1 sont des produits plus complexes et seuls les investisseurs spécialisés devraient se risquer sur ce segment.
Je m’attends à ce que les spreads des obligations bancaires soient sous pression dans les mois à venir, en raison de la deuxième vague de COVID- 19, des perspectives économiques générales et des résultats des élections présidentielles américaines.
Le niveau des prêts non performants dépendra également de l’extension des programmes de soutien budgétaire et des moratoires sur le paiement de la dette. Le consensus de Bloomberg prévoit une baisse des bénéfices de -48% en 2020 et un rebond d’environ +58% en 2021. Néanmoins, les réserves de fonds propres ordinaires de catégorie 1 (CET1) par rapport aux exigences (%RWA) est pour la plupart des banques supérieur à 3 %, y compris pour les champions nationaux italiens (Unicredit est aux alentours de 4 % et Intesa est bien au-dessus de 4,5 %).
Il est donc préférable de favoriser les éléments les plus sûrs de la structure du capital (obligations seniors, bien que la part des obligations à rendement négatif soit importante) et les banques ayant une meilleure rentabilité et des niveaux de prêts non productifs plus faibles. Les banques nordiques et les banques de détail du noyau dur européen (principalement les banques françaises, du Benelux et suisses) ont notre préférence, tandis que le Royaume-Uni et les banques périphériques sont les moins bien lotis, au vu de l’évaluation actuelle. Ces dernières ont obtenu d’assez bons résultats grâce à des consolidations et de bonnes performances des obligations souveraines. Ainsi, la probabilité d’un nouveau catalyseur est limitée au second semestre 2020.
De l’autre côté de l’Atlantique, les banques américaines prévoyaient déjà des provisions moins élevées au troisième trimestre de 2020 et des revenus toujours importants pour les marchés des capitaux grâce au trading. Dans des proportions gérables, je m’attends à des signes d’augmentation des retards de paiement dans les portefeuilles de prêts aux consommateurs et de prêts immobiliers commerciaux, étant donné la bonne rentabilité des banques de Wall Street. Un autre élément positif pour les détenteurs d’obligations est l’annonce par la FED, invoquant la nécessité de conserver le capital, de restrictions sur les versements de dividendes et les rachats d’actions pendant trois mois supplémentaires pour les plus grandes banques américaines.
La conservation du capital est et continuera d’être un objectif clé pour les détenteurs d’obligations aussi. Un rendement moyen des capitaux propres d’environ 5 à 6 % est non seulement trop faible pour attirer les investisseurs en capitaux propres, mais aussi pour générer des capitaux internes destinés à protéger les détenteurs d’obligations.
Par ailleurs, un coût du risque supérieur à 150-200 points de base pendant une période prolongée entrainerait des pertes importantes pour le secteur, compte tenu de la faiblesse des taux d’intérêt. Le secteur bancaire est une fois de plus confronté à des temps difficiles.
La conservation du capital est et sera également une priorité pour les détenteurs d’obligations. Un rendement des capitaux propres moyen d’environ 5-6 % est non seulement faible pour attirer les investisseurs en actions mais aussi pour générer des capitaux internes afin de protéger les détenteurs d’obligations. En outre, un coût du risque supérieur à 150-200 points de base pendant une période prolongée entraînera des pertes importantes pour le secteur, compte tenu de la faiblesse des taux d’intérêt. Le secteur bancaire est une fois de plus confronté à des temps vraiment difficiles.
Points clés
- Le secteur bancaire est très sensible aux tensions économiques et géopolitiques. En conséquence, les décideurs ont temporairement fourni des liquidités et des capitaux au secteur bancaire afin de préserver la stabilité du secteur et de s’assurer que les banques fassent partie de la solution à la crise COVID-19.
- D’une part, des moratoires sur le paiement de la dette et d’autres mesures favorables aux emprunteurs ont soutenu la qualité des actifs des prêts. Mais ces mesures ont d’autre part masqué la situation de détresse sous-jacente des emprunteurs. Il en résulte que la qualité des actifs des banques pourrait s’avérer bien plus faible que ce que les chiffres montrent aujourd’hui. En moyenne, les banques européennes ont une exposition de 15 à 20 % aux prêts des secteurs les plus touchés par la COVID 19.
- Le risque élevé de détérioration de la qualité des actifs, combiné à un environnement de taux bas et à un accès difficile au marché primaire (actions et obligations) pour certaines institutions financières, pourrait mettre en péril la stabilité des secteurs bancaires nationaux en raison de la présence de banques déjà affaiblies.
- La consolidation, dans le contexte actuel du marché, semble être l’une des rares options disponibles pour préserver la stabilité, améliorer l’efficacité des banques européennes et créer des champions internationaux.
- En ce qui concerne les investissements à revenu fixe, je suggère une approche prudente pour la deuxième partie de l’année. La deuxième vague de COVID- 19, les perspectives économiques générales et l’élection présidentielle américaine entraîneront probablement une volatilité et des risques accrus dans le secteur bancaire, c’est pourquoi il est préférable d’investir dans les éléments les plus sûrs de la structure du capital (obligations seniors, bien que la part des obligations à rendement négatif soit importante) et les banques ayant une meilleure rentabilité et des niveaux de prêts non productifs plus faibles.