Comme anticipé, seules 7 banques sur 91 ont été recalées (5 caisses d’épargne espagnoles , 1 landesbank allemande et 1 banque grecque) Les marchés ont apprécié sans trop s’interroger sur la crédibilité des hypothèses retenues sur le scénario
On sait aujourd’hui que les deux événements systémiques récents de l’histoire récente des marchés n’ont pas été stressés...
1/ tout d’abord, on n’a pas imaginé un seul instant une crise de liquidité du genre de celle post-Lehman vécue en septembre- octobre 2008 ; celle-ci paralysa l’intégralité du marché interbancaire (les établissements bancaires ne se prêtaient pas au-delà de la journée et les banques centrales devaient se substituer au marché en injectant des liquidités en quantité illimitée). Certes les stress ont pris indirectement en compte le risque de liquidité en aplatissant la courbe des taux vers le haut : +125 bp sur les taux à 3 mois (Euribor) et + 75 bp sur les taux à 10 ans (CMS pour constant maturity swap) ; tous ceux qui travaillent sur les marchés de dette interbancaire ou corporate à court , moyen ou long terme savent que pour mettre en place un stress de liquidité, il ne suffit pas d’imaginer un scénario d’évolution de la courbe dite benchmark (Euribors pour les maturités 1mois-1 an et CMS pour les matrurutés 2-10 ans) mais de supposer un niveau d’évolution justement du coût de liquidité pour les banques , donc de spread par rapport à la courbe benchmark. Cet exercice n’a pas été fait.
2/ on n’a pas imaginé non plus ce que l’on a failli connaître au T2 2010, à savoir le défaut d’un souverain pour des raisons de crise de liquidité ou/et de crise de solvabilité. On a certes supposé des haircuts conséquents sur les cours des emprunts d’état de la zone Euro et donc des remontées significatives des rendements longs à 10 ans : par exemple autour de 4.80% sur le 10 ans allemand contre 2.75 % aujourd’hui et autour de 15% sur le 10 ans grec contre 10.30% aujourd’hui.
Ce qui est réducteur, c’est que ces hausses de taux ne s’appliquent qu’aux portefeuilles de souverains classés comptablement en trading et donc impactant directement les comptes de résultat ; or l’on sait que ces portefeuilles ne représentent qu’une faible part (entre 20% et 25% selon différentes sources- intuitivement, j’ai personnellement tendance à penser que ce % est même plus bas) de l’ensemble des dettes souveraines détenues à l’actif des banques. Certes les positions qui sont classées non en trading mais dans ce que l’on appelle le banking book (donc de 75% à 80% des emprunts d’état détenus) vont se retrouver en normes IFRS dans les catégories comptables AFS pour available for sale et HTM pour hold to maturity ; à la différence du classement en juste valeur ou en trading, les chutes de valorisation des emprunts gouvernementaux suite aux remontées de taux n’ont pas d’impact négatif sur le compte de résultat mais seulement sur les capitaux propres (sans affecter pour autant les fameux ratios de solvabilité).
Par contre un défaut ou quasi défaut voire un événement de crédit sur un souverain « fragile » de la zone Euro obligerait sans doute un établissement bancaire à déclasser en créances douteuses les titres du souverain en question, y compris ceux logés dans le banking book ; dans ce cas de figure toutes les positions détenues sur cet émetteur impacteraient négativement le résultat net comptable par la hausse de provisions pour dépréciations durables et donc négativement les fonds propres et les ratios de solvabilité.
Le problème ne se pose pas avec ces stress tests qui ont décidé de se simplifier la vie en évacuant l’hypothèse d’un défaut souverain.
On m’avait appris qu’un stress test avait pour objectif de mesurer les impacts défavorables sur le résultat et les fonds propres dans des circonstances extrêmes (encore faut-il que les queues de distribution statistiques ne soient pas trop « complaisantes ») et hautement improbables ; ceci étant, nous avons vu tellement d’événements hautement improbables survenir ces 10 dernières années sur les marchés financiers ... avec souvent des explications académiques brillantes ex post par ceux-là même qui n’avaient rien vu venir.
Sur ce qui nous intéresse ici, nous avons des stress tests étranges qui évacuent des événements que nous avons quasiment frôlé ou failli voir survenir
Pas de réelle crise de liquidité supposée comme si la banque centrale pouvait éternellement remplacer le marché monétaire en cas de regain de crise de confiance et de dysfonctionnement des échanges interbancaires
Pas de défaut d’un souverain comme si les souverains les plus solides de la zone Euro, l’UE et le FMI allaient pouvoir mobiliser de manière permanente ressources et garanties pour sauver tel ou tel pays (c’est vrai qu’avec le plan des sauvetage de mai 2010 nous avons une meilleure visibilité à horizon 2011-2012) ; comme si également la banque centrale européenne pouvait monétiser éternellement les dettes de certains pays périphériques de la zone en achetant ces actifs sur le marché secondaire et en faisant acheter aux banques la dette primaire (mise aussitôt en pension à la BCE justement) .... Certes rien ne s’oppose à l’émission illimitée de monnaie par la BCE sauf peut-être à terme la confiance dans cette monnaie
3/ Pour le reste des hypothèses du scénario adverse, on sera moins choqué et l’on accordera une certaine crédibilité aux variations défavorables retenues :
En partant d’une base fin 2009 déjà fortement dégradée sur le plan macroéconomique , le fait de retenir sur un horizon de 2 ans une croissance moyenne du PIB en zone euro de -0.2% en 2010 et de -0.6% en 2011 me semble suffisamment conservateur et adapté à un stress . Encore que nous ne connaissons rien du modèle économétrique retenu (si tant est qu’un modèle ait été retenu) pour mesurer les impacts de ce niveau de décroissance sur le PNB prévisionnel des banques. Pour avoir pratiqué il y a assez longtemps ce type de travaux assez académiques, je peux vous assurer que les résultats peuvent varier sensiblement suivant le type de modèle mathématique retenu
En partant également d’une base fin 2009 fortement dégradée sur le marché immobilier, il faut considérer comme prudentes et raisonnables les hypothèses d’évolution de ce marché. Surtout dans un pays comme l’Espagne, pays de la zone le plus fortement impacté par la crise immobilière : immobilier commercial supposé décrocher de 35% en 2010 et de presque autant en 2011 avec -30%. Petite parenthèse pour saluer en plein marasme économique et social dans ce pays l’impressionnante série de succès et réussites du sport espagnol depuis quelques années qu’il s’agisse de sports individuels ou collectifs (euro 2008 et mondial 2010 en foot, Nadal en tennis, Contador en cyclisme, Alonso en F1). Pas de quoi résoudre les problèmes de compétitivité et de productivité de l’économie espagnole, mais de quoi maintenir les indices de confiance des ménages, entreprises et autres agents privés de ce pays à un niveau appréciable pendant un certain temps ..Je n’achèterai pas pour autant des Bonos (emprunts d’état espagnols) demain encore moins des actifs financiers titrisés adossés à de l’immobilier résidentiel et commercial espagnol, dont ces fameux Cedulas qui pourrissent les portefeuilles financiers des établissements bancaires (on ne saura jamais si ces titres ont été correctement évalués et dépréciés lors des stress)
Moins professionnel et moins transparent, nous apprenons en ce début de semaine que plusieurs établissements bancaires allemands ont oublié de publier leur risque sur la dette souveraine des états de la zone Euro. On découvrira peut-être d’autres oublis ici ou là dans les prochaines semaines
4/ Comme nous l’écrivions la semaine dernière, le juge de paix reste l’évolution de la réglementation prudentielle et l’on sait que le système bancaire devra quoi qu’il arrive (et même dans un environnement de marché pacifié avec une conjoncture macroéconomique stabilisée) poursuivre sa recapitalisation et renforcer sa solvabilité.
Nous apprenons, à l’heure ou nous écrivons ces lignes, que sous la pression des banques et gouvernements, le Comité de Bale a décidé d’être un peu moins restrictif sur certaines nouvelles contraintes
déductions réglementaires assouplies en prenant en compte la qualité de capitalisation des filiales bancaires détenues par une banque. Il faut savoir que jusqu’à présent un établissement bancaire voit ses ratios de solvabilité être calculés sur la base des fonds propres réglementaires ; ceux-ci s’obtiennent en déduisant des fonds propres économiques les participations détenues dans des établissements bancaires. Normal puisqu’il s’agit de ne pas comptabiliser des fonds propres deux fois dans le système bancaire ; ce qui l’est moins c’est de déduire du capital indistinctement et de ne pas tenir compte du niveau de solvabilité des filiales détenues
un autre assouplissement concerne la non mise en place de ce que l’on avait appelé le ratio de leverage et qui aurait obligé de manière pro-cyclique les banques à réduire la taille de leurs bilans et donc à accentuer les tendances récessives dans l’économie. On parle de mise en place vers 2018, histoire de ne pas perdre la face
Il n’est pas envisagé de revenir au mode de calcul antérieur au 30/06/2010 sur le coefficient de liquidité à 1 mois. Ce coefficient qui mesure la capacité d’un établissement bancaire à assurer dans des conditions de stabilité systémique le refinancement de son activité courante a vu ses règles de calcul être durcies à la fin du T2 2010. Mon expérience de trésorier de banque me conduit à penser que ce durcissement est salutaire : il ne met pas en péril le financement de l’économie réelle par les banques et il a des conséquences négatives limitées sur le PNB bancaire puisque au lieu de se refinancer sur des durées infra-mensuelles , là ou le loyer de l’argent est le plus faible, le trésorier de banque sera contraint de rallonger un peu la maturité de ses refinancements ( en payant quelques points de base supplémentaires , pas de quoi pleurer- au fait un point de base pour les non initiés , c’est 0.01%)l
par contre, remise en cause du net stable funding ratio visant à garantir la liquidité de la banque à 1 an en adossant des ressources à plus de 1 an à des emplois longs ; ce qui revenait à créer un ratio de liquidité à1 an, négation même du métier de base de la banque qui consiste à financer l’économie en recyclant les ressources court terme en emplois et crédits à moyen et long terme. On nous dit que tout cela devra être revu d’ici 2016-2018 ... Soit
Ces ajustements et assouplissements doivent être salués et sont intelligents : révision bienvenue du calcul des déductions réglementaires sur fonds propres économiques ; abandon à court terme du leverage ratio et du coefficient de liquidité à plus de 1 an, ratios absurdes et anti-économiques ; maintien du durcissement du coefficient de liquidité à 1 mois, garde fou contre les errements d’une gestion de trésorerie bancaire aventureuse.
Mais indépendamment de ces évolutions, il apparait aujourd’hui irréversible pour les banques de solidifier leur base de capital et donc de renforcer leurs fonds propres et leur solvabilité. Passé l’autosatisfaction de stress tests qualifiés de réussite, le vrai juge de paix reste Bale 3. Pour l’instant, on est plutôt sur Bale 2.5 qui cherche à concilier la pérennité du business model bancaire de transformation et la nécessité d’éviter toute crise systémique.