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Quelques scenarios "values" sur les obligations d’Etat dans un contexte plus mitigé sur les corporates

Les investisseurs que nous sommes garderont sans doute toujours leurs paradoxes… Il y a quelques semaines, alors que les performances sur les obligations corporates ne cessaient de croître, on entendait bon nombre de gérants se plaindre que les rendements étaient trop bas et qu’il était compliqué de trouver des opportunités pour placer sa trésorerie…

Depuis quelques jours, alors que les rendements ont sensiblement grimpé, que ce soit par les taux souverains ou par les primes de crédit (le crossover est passé de 235bps à 265bps début octobre), le monde financier se fige et devient craintif, considérant que ces hausses de rendement augurent d’un danger imminent et préférant éviter de se positionner sur ces rendements plus rémunérateurs alors qu’il se ruait sur les mêmes actifs à des taux plus serrés, il y a seulement quelques jours…

Les changements significatifs des craintes des investisseurs au fil des semaines montrent surtout que le brouillard est épais et que les circonstances actuelles, entre effet de base, politiques monétaires et économiques jamais poussées aussi loin par le passé, modifications de fond des principes de consommation, rendent les pronostics extrêmement complexes à élaborer…

On est ainsi passé en quelques mois, de manière plus ou moins marquée entre les zones économiques, d’un arrêt total de tout, à une crainte déflationniste, puis à la surchauffe inflationniste pour arriver aujourd’hui à la crainte de la stagflation, mot que l’on voit fleurir dans bon nombre d’articles de perspectives. Ces changements extrêmement rapides de scenarios économiques montrent surtout que nous sommes encore dans les répliques du séisme provoqué par la Covid en 2020 et qu’il est trop tôt pour en établir les conséquences à long terme.

Concernant la stagflation, n’oublions tout de même pas que les hausses de prix actuelles sont généralement dues à des pénuries, provoquées elles-mêmes par les engorgements dans les usines ou surtout dans le fret maritime. Certains produits sont donc inconsommables, temporairement, parce qu’ils sont, ou certains de leurs composants, moins disponibles immédiatement et donc, de facto, plus chers. On se rend compte ici que le phénomène semble temporaire puisqu’il vient essentiellement de l’acheminement, de stoppage d’usines en Chine en raison de retours de crise sanitaire ou de rattrapage de consommation créant un effet rareté après 18 mois de confinements divers par-delà le monde.

Il est logique également que les entreprises industrielles, prudentes, ne souhaitent pas répondre à cet engorgement temporaire par des investissements structurels de production, au risque de se retrouver en surproduction d’ici quelques mois.

On est donc, selon nous, bien loin d’un phénomène de stagflation mais plutôt dans une nouvelle phase d’ajustement.

Mais la crainte de la stagflation n’est pas la seule à freiner quelque peu les investisseurs en cette fin d’année : les banques centrales, corne d’abondance des marchés financiers depuis plusieurs mois, réduisent, sinon leurs actions, du moins leurs annonces ; certains pays moteurs, comme l’Allemagne ou la Chine, font preuve de quelques statistiques économiques médiocres ; les entreprises publient des résultats globalement en ligne avec les attentes, plaisant évidemment moins au marché que les retours à meilleure fortune violents qu’on connaissait en début d’année alors que les estimations étaient au tapis et les publications souvent au-dessus du consensus ; quelques évènements comme Evergrande en Chine ou Adler en Europe font craindre une propagation du risque de crédit à certaines catégories obligataires ; les entreprises, craignant aussi que le marché du financement se referme, émettent pléthore de nouvelles obligations, souvent high yield, qui contribuent à peser sur le marché…

Une parenthèse tout d’abord concernant Adler : sujet de rumeurs depuis plusieurs mois, l’entreprise immobilière allemande, à l’endettement lourd et largement dépendant du marché obligataire, a fini par décrocher en septembre puis subir le coup de grâce cette semaine par la publication, le 6 octobre, d’un rapport acerbe de Viceroy Research, le même fonds activiste qui avait mis à jour les pratiques de Steinhoff et de Wirecard…(rapport ici).

S’il est trop tôt pour tirer une conclusion sur le dossier nous signalerons que :

  • Las que l’entreprise ne réponde pas aux rumeurs depuis plusieurs mois et traîne à finaliser des cessions d’actifs ou à clarifier certaines questions d’analystes, nous avions cédé nos positions sur l’émetteur (représentant 0.43 % de nos actifs totaux) courant septembre, avant la débandade de début octobre.
  • Le rapport de Viceroy est construit et argumenté, les réponses de Adler sont pour le moment évasives, voire inexistantes. Peut-être n’ont-ils pas eu encore suffisamment de temps pour étayer des arguments, nous attendrons donc leurs réponses prochainement.
  • Echaudée par l’affaire Wirecard qui avait fortement entachée sa crédibilité, la Bafin a, cette fois, annoncé qu’elle prenait le rapport au sérieux et examinerait le dossier.
  • Le temps joue à plein contre Adler, qui est dépendant des marchés financiers et son financement obligataire pour son activité. Avec une LTV entre 60% et 80% selon les analystes, un rapport à charge affirmant que l’essentiel de l’entreprise est une fraude et un contrôle de la Bafin, il sera très compliqué pour Adler de trouver une banque à même de proposer une ligne de crédit, même gagée, pour faire face à ses engagements. Comme il lui est quasi-impossible également d’émettre de nouvelles obligations, le salut ne passera donc que par une solution drastique pour rétablir la confiance : cessions d’actifs significatives et respectant le prix de valorisation au bilan, adossement à un actionnaire solide… Autant de scenarios dont la probabilité de réalisation est faible à très court terme…A l’heure où nous écrivons, l’un des principaux actionnaires d’Adler vend une option de call à Vonovia à maturité 1.5 ans à un prix largement supérieur au cours actuel, ce qui pourrait être une porte de sortie ; rappelons néanmoins que 1/l’option est aujourd’hui quasi gratuite et donc une aubaine pour Vonovia plus qu’une solution pour Adler, 2/ l’échéance de 18 mois montre bien qu’elle sera sujette à toutes les levées de doutes sur l’entreprise, notamment de la Bafin, 3/ en tant que tel ce mouvement montre surtout qu’Adler et ses principaux actionnaires sont au bord de la rupture, 4/ un call n’est pas un put…

Revenons donc sur le climat global pour noter que le contexte a radicalement changé depuis quelques jours, tous les actifs se recorrèlent et il devient plus difficile de diversifier efficacement ses portefeuilles. En dehors des actifs alternatifs ou de ceux qui ne publient pas de valorisation quotidienne et font croire à la stabilité, voici quelques propositions basées sur les primes de risques entre émetteurs obligataires, stratégies que nous avons mis en place dans certains de nos portefeuilles sous forme de pair trade et qui permettent de contrecarrer les scenarios négatifs qui pourraient survenir pour les marchés de taux, sans exposer un portefeuille à des scenarios trop directionnels. Dans un souci de synthèse, nous les résumerons à l’essentiel :

  • Découplage temporaire de la FED et de la BCE, la première sortant progressivement de sa politique accommodante tandis que la seconde la poursuit : scenario d’écartement entre les taux longs américains (cession du future 10 ans américain) et les taux longs européens (achat du 10 ans Bund) pour viser un retour du spread à 200 points de base à court terme au lieu des 170 points de base actuels. A plus long terme, nous considérons que la décennie à venir pourrait largement ressembler à la décennie passée entre les USA et l’Eurozone, l’écart de croissance et donc de politique monétaire continuant à s’accentuer ; dans ce cadre, l’écart de taux entre les USA et l’Allemagne pourrait revenir sur les niveaux de 2018, soit 250 points de base.
  • Mécanisme de solidarité européenne qui se renforce avec le temps : poursuite du scenario d’achat d’obligations italiennes à 10 ans à 0.9% de rendement et de cession des obligations allemandes de même maturité à -0.2% de rendement, soit une prime de 110bps.
  • En cas de reprise économique douce en Europe ou de stagflation, il est probable qu’on puisse observer une repentification de la courbe européenne, négative pour les portefeuilles obligataires positionnés au-delà de 5 ans. Positionner son portefeuille uniquement sur les maturités courtes est évidemment une protection mais son coût est élevé car les rendements y sont nuls voire négatifs. Il peut donc être envisagé de conserver des positions plus longues et plus rémunératrices tout en réalisant un pair trade entre les maturités courtes (achat des futures 2 ans et 5 ans) et les maturités longues (cession du future 10 ans) de la courbe européenne, France ou Allemagne par exemple.
  • Enfin, nous proposons un scenario basé sur une plus grande solidité, à long terme, des obligations européennes, qui n’ont pas encore pris le statut d’obligations de référence de la zone Euro pour les marchés internationaux, sur les obligations allemandes : actuellement les obligations allemandes sont le « safe heaven » de l’Eurozone, offrant la rémunération la plus basse, significativement négative et plus basse même que les obligations qui combinent la solidarité de l’ensemble de la Zone Euro. A long terme, nous considérons que le risque du seul pays allemand est plus élevé que le risque de la zone Euro, comme l’a démontré la crise des périphériques en 2011 sur l’Italie ou l’Espagne, pays qui payaient quasiment les mêmes rendements que la France ou l’Allemagne quelques années plus tôt. A court terme, l’incertitude sur les élections allemandes et la possibilité d’un gouvernement plus dépensier que celui de Madame Merkel pourrait également augurer de quelques tensions sur le crédit allemand. La prime engrangée par une position longue sur les obligations EU à 10 ans par rapport aux obligations allemandes de même maturité est de 20bps par an, pour un risque crédit que nous considérons moins important et mieux diversifié.

Ces différents scénarios, basés essentiellement sur les primes de risque entre pays ou zones d’influence ou sur les maturités différentes d’un même émetteur permettent d’insister sur le fait que le taux sans risque n’existe plus et qu’il est primordial de considérer les Etats comme des émetteurs assortis d’un risque de crédit, bien que leurs ressorts ne soient pas tous comparables à ceux d’un corporate. Parmi les points communs on notera l’équilibre budgétaire, l’endettement ou la solidité économique de la zone.

Parmi les différences on notera par exemple la puissance politique et géopolitique, l’action et la puissance de la banque centrale, la solidité et l’internationalisation de la devise, l’appartenance à telle ou telle zone d’influence, … Tout comme dans l’univers des corporates, il peut ainsi exister des scenarios « value » sur le crédit des obligations publiques, permettant de diversifier ou de protéger un portefeuille obligataire dans des phases adverses.

Matthieu Bailly Octobre 2021

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