« La plupart des classes d’actifs ont enregistré des performances satisfaisantes durant les cinq premiers mois de l’année, ce qui signifie que les rendements sont positifs pour le moment », indique Lukas Daalder, Directeur de l’équipe Solutions d’investissement chez Robeco. « Malgré toutes les tensions politiques, les niveaux de valorisation élevés des actions américaines, les perspectives économiques incertaines et même la mauvaise période actuelle ("Sell in May"), les actions suivent une tendance haussière. »
« Il semble que la majorité des investisseurs ramassent des centimes devant un rouleau compresseur, c’est-à-dire qu’il existe une probabilité raisonnable d’enregistrer des gains modestes et réguliers mais aussi une probabilité non négligeable de subir des pertes considérables, en cas de correction. La question est donc de savoir si nous voulons adopter une telle stratégie. »
Points clés
- La vigueur des marchés actions n’est qu’en partie due aux bons résultats d’entreprises
- Les tensions politiques et les perspectives incertaines sont ignorées
- Toute surpondération des actions serait basée sur le momentum
Les centimes restent séduisants
L’expression « ramasser des centimes devant un rouleau compresseur » vient de Nassim Taleb, l’auteur de livres à succès sur le hasard et le risque. Il évoque une stratégie d’investissement caractérisée par une forte probabilité de générer de petits profits (centimes) et une petite probabilité de pertes colossales (rouleau compresseur). Nassim Taleb estime que ces pertes seraient supérieures aux montants engrangés auparavant.
« Cette dernière affirmation est sans doute vraie dans le cas d’un rouleau compresseur (mort certaine), mais sur les marchés financiers cela va dépendre de la durée pendant laquelle vous parviendrez à ramasser vos centimes avec succès ou de la rapidité avec laquelle vous êtes en mesure de sortir du marché », estime Lukas Daalder. « Ce qui est sûr, c’est qu’entrer sur un marché au mauvais moment (proche du sommet) peut vous donner l’impression de passer sous un rouleau compresseur lorsque la correction se met en place : vos pertes vont probablement dépasser vos gains. »
« Cela étant, pour l’ensemble les marchés actions, il faut préciser que le rendement annuel nominal à long terme est d’environ 8 %, ce qui suggère que, jusqu’à présent, ramasser des centimes s’est clairement révélé être la stratégie gagnante. La métaphore semble donc exagérée en ce qui concerne l’ampleur des risques encourus. »
« En effet, aussi insensé que puisse sembler le ramassage de centimes, il faut souligner que cette stratégie a été très rentable sur la plupart des marchés dans les années post-crise. Investir dans le haut rendement (high yield) et le crédit a permis aux investisseurs d’engranger un rendement supplémentaire régulier (spread) au risque qu’un événement de crédit majeur (défaut, par exemple) se produise. Or, à l’exception du secteur pétrolier aux États-Unis, aucun événement de ce type ne s’est produit et les spreads sont restés stables, voire ont baissé. »
Où se trouve le rouleau compresseur ?
« De leur côté, les marchés boursiers ont progressé et malgré quelques pics de volatilité de temps à autre, le gros rouleau compresseur ne s’est pas mis en marche. Comme cela a été fréquemment souligné, acheter la volatilité (en vendant le VIX à découvert, par exemple) a constitué un moyen de générer des gains réguliers, tandis que vendre la volatilité (ou achetant le VIX pour se protéger) a constamment abouti à des pertes. »
Lukas Daalder explique qu’il existe plusieurs raisons à cette anomalie, en premier lieu le fait que le rôle des banques centrales est passé de celui de garant de l’économie à celui de gardien général des marchés financiers. Dans le même temps, la croissance économique a peut-être déçu ces cinq dernières années, mais cela s’est accompagné d’une volatilité plus faible des données sous-jacentes.
En outre, la longue liste des incertitudes politiques n’a pas affecté les marchés tant que ça. « On peut en conclure que le simple fait d’ignorer ces incertitudes s’est révélé être la solution optimale », ajoute Lukas Daalder. « Mais cela ne signifie pas qu’elle soit appropriée pour l’avenir : il est toujours possible que l’une des incertitudes dégénère. »
Centimes ou euros ?
« Une autre façon d’aborder la question des petits profits est d’examiner deux questions connexes : la taille du rouleau compresseur et si nous parlons véritablement de centimes ou de pièces plus grosses », se demande Lukas Daalder. « Les marchés actions américains ayant rebondi de 225 % depuis le point bas atteint en 2009 (en incluant les dividendes, la performance annuelle a été de 18 % sur cette période) et semblant désormais chers selon de nombreux indicateurs de valorisation, il est clair que les centimes les plus faciles à ramasser l’ont déjà été. »
« C’est la raison pour laquelle nous préférons surpondérer le marché européen, où le potentiel de hausse nous semble plus important, après une reprise plus modérée depuis 2009 (jusqu’à 80 %, soit une performance totale annualisée de 12 %). Toute nouvelle hausse des marchés actions américains dépendra donc beaucoup de la croissance des bénéfices d’entreprises. Tout compte fait, l’issue la plus probable serait une correction “saine” de 10 % des actions et non un véritable coup de rouleau compresseur. »
« En conséquence, nous avons évité jusqu’ici une stratégie de ramassage de centimes sur les marchés actions : la dette émergence et le high yield ont été nos classes d’actifs favorites, en matière de prise de risque. Si nous devions surpondérer les actions, cette décision serait intégralement motivée par le momentum et s’accompagnerait de la mise en place d’un mécanisme stop-loss relativement strict. »