Pourtant, depuis quelques décennies, les découvertes en psychologie comportementale font vaciller cet a priori : les décisions d’investissement sont largement entachées d’erreurs induites par nos biais cognitifs et des biais émotionnels, qui sont toujours les mêmes, et les différents facteurs utilisés par le Smart Beta peuvent en tirer parti systématiquement. Petit tour d’horizon des explications « comportementales » des facteurs de performance du Smart Beta.
Le facteur Momentum résulte naturellement de l’évolution de l’espèce humaine
Le principe des stratégies Momentum consiste à acheter ce qui est en train de monter et à vendre ce qui est en train de baisser, à l’horizon de quelques mois. Par contre, sur le court terme, il faut vendre ce qui vient juste de monter et acheter ce qui vient juste de baisser pour générer de la performance. La théorie économique classique peine à expliquer une telle stratégie, puisque les nouvelles informations sur les actions se diffusent instantanément à l’ensemble du marché, qui est censé se réajuster instantanément et rationnellement.
La psychologie, pour sa part, voit l’être humain comme le produit de son évolution, c’est-à-dire comme un animal ayant appris à survivre, dans un environnement incertain et hostile, grâce à sa capacité à communiquer et à s’organiser en groupe. Cette évolution a favorisé à la fois une certaine méfiance face au changement, qui explique le retour à la moyenne à court terme et la lenteur effective de diffusion des informations, ainsi qu’une forte pulsion à suivre le consensus, expliquant le Momentum à moyen terme. En résumé, un investisseur humain a du mal à changer d’avis, mais quand il se décide, il a encore plus de mal à accepter son éventuelle erreur. En termes émotionnels, il est beaucoup moins dangereux d’avoir tort en groupe que d’avoir raison tout seul.
L’anomalie de faible volatilité (Low Volatility ou Low Vol) est un facteur contre-intuitif tirant parti de l’excès de confiance typiquement humain
La stratégie Low Vol consiste à acheter les actions les moins risquées, au motif qu’elles vont avoir in fine à peu près les mêmes performances que leurs homologues plus risquées, mais à moindre risque. Ce constat s’oppose assez directement à la théorie économique classique, où les rendements et les risques sont censés évoluer de pair, ce qui serait rationnel. En psychologie, l’anomalie de faible volatilité s’explique à plusieurs niveaux.
Tout d’abord, les actions les plus volatiles sont les plus connues, car il s’y passe toujours quelque chose… Or, nous aimons ce que nous connaissons. La psychologie nomme ce biais « l’excès de confiance » et les people confirmeront qu’une mauvaise réputation vaut mieux que pas de réputation du tout. Pour une action, la forte volatilité attire aussi un excès d’investisseurs ce qui explique l’anomalie, à terme.
Une autre cause psychologique de l’anomalie provient du « biais d’estimation des probabilités ».Etienne Vincent, Head of Global Quantitative Management, THEAM
Une autre cause psychologique de l’anomalie provient du « biais d’estimation des probabilités ». Comme vous le confirmeront les organisateurs de loterie, la valeur émotionnelle d’une probabilité n’est pas la même que sa valeur mathématique : l’être humain est parfois peureux mais aime rêver, de sorte qu’il surestime les faibles probabilités de gros gains ou les faibles probabilités de grosses pertes. C’est ainsi que les actions à faibles volatilité se trouvent négligées.
La psychologie explique aussi le « biais de mémoire », troisième cause de l’anomalie : nous pensons nous souvenir fidèlement du passé, alors que notre mémoire sélectionne en fait nos souvenirs, pour privilégier les évènements marquants, ayant du sens, et si possible en notre faveur. Du coup, les bons investissements dont nous nous souvenons seront surtout dans l’univers minoritaire des actions volatiles ayant réussi, comme Microsoft, et nous aurons l’impression de l’avoir su dès le début…
Les facteurs fondamentaux comme « Value » et « Quality » peuvent aussi s’interpréter comme le reflet d’une certaine forme d’éblouissement des investisseurs
Les stratégies de Smart Beta fondamentales utilisent les données financières des entreprises (bilan, compte de résultat et tableau des flux de trésorerie) afin de choisir leurs investissements : « Value » consiste à sélectionner des actions peu chères par rapport à leur rentabilité, par exemple en fonction du PER (Price Earning Ratio), et « Quality » consiste à choisir des entreprises de bonne qualité, présentant une rentabilité importante au regard des moyens employés, par exemple en fonction du ROE (rentabilité des capitaux propres).
D’un point de vue psychologique, l’existence de ces primes prouve que les investisseurs sous-estiment en moyenne l’importance des données financières, publiques mais abstraites, par rapport à d’autres discours, plus émotionnels et plus directs.Etienne Vincent, Head of Global Quantitative Management, THEAM
D’un point de vue psychologique, l’existence de ces primes prouve que les investisseurs sous-estiment en moyenne l’importance des données financières, publiques mais abstraites, par rapport à d’autres discours, plus émotionnels et plus directs. Ce constat recoupe la découverte, en psychologie, de deux modes de réflexion bien distincts qui cohabitent en chacun d’entre nous : un mode conscient et rationnel, mais « lent et fatigant » (Selon le prix Nobel Daniel Kahneman in ‘Système 1 / Système 2 : Les deux vitesses de la pensée »), et un mode plus rapide mais plus approximatif, basé sur les recoupements, les impressions et les émotions. Les nombreuses bulles de l’histoire de la finance ont amplement illustré à quel point ce deuxième mode de pensée peut entrainer les investisseurs hors de toute rationalité économique, alors que, selon l’expression, « les arbres ne montent pas jusqu’au ciel ».