Dans ce contexte de croissance ralentie, de bas taux d’intérêt et de faible inflation, nous marchons sur un fil qui équilibre les risques haussiers – tels qu’une accélération soudaine de la croissance – et les risques baissiers, avec notamment la menace d’une récession plus profonde. Notre approche globale et l’intensité de notre recherche dans un tel environnement nous placent en bonne position pour faire face à ces mouvements macroéconomiques et boursiers.
Macro
À la fin de l’été, nous avons atteint un point critique : les indicateurs avancés se trouvaient à des niveaux qui, historiquement, ont toujours auguré d’une récession sur les marchés développés. En effet, dans l’histoire récente, l’inversion de la courbe des taux du Trésor américain a le plus souvent été suivie d’une récession. Si la récession semble certes toujours probable, elle n’est toutefois pas acquise et, plus l’année avance, plus nous croyons en un ralentissement plus subtil, qu’il y ait croissance faible mais positive ou croissance modérée mais négative.
En termes historiques, lorsque notre indicateur de récession propriétaire pour les Etats-Unis atteindra 30%, il est probable qu’une récession se produira – nous avons atteint 24% en septembre, mais ce risque est maintenant en voie de stabilisation. En l’état actuel des choses, peu importe que nous entrions en récession, car elle sera vraisemblablement superficielle. L’Allemagne, par exemple, a évité de justesse la récession cette année et nous n’observons aucun signe de panique sur les marchés, du moins tant que le chômage demeure faible.
Cela étant, les données objectives et subjectives sont mitigées : les indices mondiaux des directeurs d’achats ont chuté, les nouvelles commandes d’usines aux Etats-Unis diminuent, les prévisions des entreprises allemandes sont peu ambitieuses et les dépenses d’investissement sont à la baisse. Nous nous trouvons donc maintenant à la croisée des chemins. D’un côté, le ralentissement de l’activité industrielle conduit à une hausse du chômage et une récession induite par les consommateurs américains. De l’autre, un marché de plein emploi relatif soutient la consommation, ce qui permet aux Etats-Unis de sortir de leur marasme manufacturier (en particulier dans une perspective commerciale potentiellement plus positive) et d’embrasser une dynamique de relance.
Dans notre scénario de base, une accélération de la croissance est peu probable et il est tout aussi improbable d’assister à une profonde récession. Dans cet environnement, la dimension de « long terme » – que ce soit sur les marchés d’actions ou d’obligations – prend tout son sens. La géopolitique continue de déconcerter les investisseurs, alors que les guerres commerciales et le Brexit grondent dans un contexte de fin de cycle économique, mais les tendances de croissance séculaires offriront des opportunités à long terme, que la croissance soit légèrement positive ou négative.
En tant qu’investisseurs, il nous faut évoluer sur le fil tendu entre ces deux scénarios et, assurément, notre positionnement actuel en matière d’allocation d’actifs – résolument neutre – nous ouvre toutes les portes.
L’effervescence
De l’effervescence ? Où ça ? Ou, plus précisément, quels sont les facteurs susceptibles de brouiller les cartes ? Les échanges commerciaux font la une des journaux, mais mon attention se porte sur un autre constat : les troubles civils, qui éclatent partout dans le monde, même si les raisons en sont très différentes d’une région à l’autre. Au début de l’année, les manifestations de Gilets jaunes, focalisées sur les mesures d’austérité du gouvernement, ont gagné en importance. Nous avons vu des manifestations à Hong Kong, initialement centrées sur le Traité d’extradition, qui risquent d’exacerber les tensions entre les Etats-Unis et la Chine – ne serait-ce que dans le contexte de la guerre commerciale qui fait actuellement rage – et qui ont réussi à inverser la politique. Nous avons également été témoins de troubles au Chili, à la suite d’une hausse des tarifs ferroviaires, et d’une crise bancaire au Liban. Et il existe bien d’autres exemples dans le monde.
La question à se poser est celle-ci : les manifestations qui ont l’inégalité comme facteur majeur atteindront-elles un point de basculement ? Au Chili, nous pouvons observer le coefficient de Gini, qui mesure l’inégalité des revenus, et conclure qu’il est aussi élevé qu’ailleurs. Aux Etats-Unis, nous pouvons également affirmer avec un certain degré de confiance que l’inégalité constitue une question sensible. Mais, dans bien des pays, les troubles semblent gagner du terrain. Ce climat de protestation peut-il se convertir en quelque chose de plus extrême ? De toute évidence, ce ne serait pas une bonne nouvelle pour les marchés.
L’exacerbation des inégalités procède en partie de forces structurelles, comme le sous-emploi (la hausse des contrats zéro heure et une force de travail davantage flexible), l’effondrement des adhésions syndicales, la technologie et la disruption. La réaction à ces forces structurelles est primordiale et pourrait même conduire à un renversement de la mondialisation (étant donné que la mondialisation a permis aux entreprises de s’approvisionner en main-d’œuvre bon marché aux quatre coins du globe). Ce thème a été d’ailleurs exploité par Donald Trump, qui a axé sa campagne électorale sur des politiques protectionnistes conçues pour séduire la main-d’œuvre nationale, dans les secteurs de l’acier et de l’automobile en particulier. La guerre commerciale menée par Trump possède la même saveur populiste.
Le chômage demeure modéré et, pourtant, les troubles ne faiblissent pas. Si nous devions essuyer une récession et si le chômage devait augmenter, la réaction des citoyens pourrait être vigoureuse. Il faut probablement s’attendre à ce que les troubles civils actuels entraînent un changement de politique ciblant des groupes démographiques spécifiques, mais qui à terme, se fera aussi au détriment des rendements des investissements et de la rentabilité des entreprises.
Si l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis témoigne déjà d’un renversement de la mondialisation, une manifestation plus extrême encore pourrait se présenter au Royaume-Uni en la personne de Jeremy Corbyn, qui risque de peser également sur la rentabilité des entreprises, même si au moment où nous rédigeons ce rapport, il semble peu probable qu’en cas de victoire, Corbyn obtienne une majorité. Et il en va de même pour Boris Johnson, quoique la fragilité du système politique actuel est telle que tout peut changer très rapidement. Après tout, cinq semaines avant les dernières élections américaines, Donald Trump était « inéligible ».
Donc, le Brexit aura certes un impact sur le sentiment au sein du Royaume-Uni et à l’égard du pays, mais il a peu de chances de changer la donne au niveau mondial et d’entraîner une récession et ce, même si nous percevons une issue « défavorable ». Bien que l’issue du Brexit soit importante pour le Royaume-Uni et pour ses voisins les plus proches, le pays ne contribue qu’à hauteur de 3% au PIB mondial total. [1]
Menaces
Comme nous l’avons indiqué, notre scénario de base reste celui d’une croissance faible, de taux bas et d’une inflation modérée ; dans ce contexte, la croissance mondiale sera faible mais positive ou modeste mais négative, sans jamais s’envoler ou s’effondrer réellement. Mais quelles sont les menaces qui pèsent sur ce scénario ?
La guerre commerciale constitue un facteur de taille et pourrait évoluer dans un sens comme dans l’autre. Alors que les derniers échos du dialogue commercial justifient notre optimisme prudent, nous savons que nous ne sommes pas à l’abri d’un brusque retournement de situation, d’autant que les annonces se propagent à une vitesse folle sur les réseaux sociaux. Cela dit, à l’approche des élections américaines de 2020, le Président voudra s’assurer que l’économie est en forme, car il n’est certainement pas dans l’intérêt de Donald Trump de risquer une récession d’ici là – pour paraphraser le stratège économique James Carville, « c’est l’économie, idiot ». Si tant est que ce soit possible, une résolution rapide du conflit commercial constitue pour nous un risque haussier mais, si le ton monte encore d’un cran et que la situation se dégrade, cela pourrait également refroidir les ardeurs des investisseurs et favoriser une dynamique baissière.
Plus généralement, un risque haussier pourrait prendre la forme d’une accélération soudaine de la croissance. Certains jugent ce scénario probable, car les coûts pour les entreprises sont actuellement faibles, tout comme les taux d’intérêt ou d’emprunt, ainsi que les cours des matières premières, et en particulier ceux du pétrole. Enfin, les différends commerciaux pourraient se dissiper, et les gouvernements renforcer ou prolonger leurs mesures de relance budgétaire. Dans cet environnement, les entreprises se retrouveraient submergées de liquidités excédentaires qu’elle chercherait à réinvestir, tout en injectant une dose d’adrénaline dans l’économie. Mais pour l’heure, les entreprises américaines préfèrent racheter leurs propres actions plutôt que de se lancer dans une frénésie dépensière. De même, les forces structurelles qui maintiennent le chômage au plus bas ont peu de chances d’évoluer et d’engendrer une hausse du chômage frappant les consommateurs au portefeuille.
Une fois encore, nous marchons sur un fil. Mais j’aime quand les risques haussiers et baissiers s’équilibrent, notre positionnement central n’en est que plus à même de porter ses fruits.
Marchés, thèmes et opportunités
Que signifie tout cela pour les marchés et notre positionnement ? Les issues potentielles en 2020 sont très variées, ce qui justifie des biais d’allocation plus restreints que dans les phases moins avancées du cycle, ne serait-ce que parce que les fins de cycle sont généralement plus volatiles. La diversification est la clé dans ce contexte d’incertitude persistante et significative.
Nous sommes d’avis que les tendances de croissance séculaires vont générer des opportunités d’investissement. Le tout est de pouvoir identifier les entreprises de qualité offrant des rendements intéressants et pérennes à des valorisations raisonnables, ces entreprises qui épouseront les tendances qui dominent l’économie : de l’informatique du cloud à l’évolution démographique, en passant par les entreprises économes en capital. Il en existe dans tous les secteurs et partout dans le monde, les 10% d’entreprises les plus performantes s’arrogeant 80% des bénéfices économiques.
Le chiffre d’affaires mondial des services de cloud public est passé de 182 milliards USD en 2018 à un montant estimé de 214 milliards USD en 2019 et devrait atteindre 331 milliards USD d’ici 2022 [2], soutenu par des entreprises en pleine croissance comme Alibaba en Chine ou AWS et Azure aux Etats-Unis. Pour ce qui est de la démographie, il suffit de voir à quelle vitesse la population asiatique se développe (la classe moyenne dépasse aujourd’hui 50% de la population totale) ou d’en analyser la composition par tranche d’âge (les sociétés vieillissent et la demande en produits et services évolue en conséquence). Nous observons que les entreprises économes en capital qui offrent un rendement élevé du capital investi (comme Aon, IHS Markit et RELX) se multiplient, de même que celles qui dégagent un rendement peu élevé ou inexistant. Ceci s’explique par la croissance des entreprises orientées vers les services ou fondées sur la connaissance qui sont très peu capitalistiques mais qui fournissent des services essentiels à des entreprises établies, comme la simulation et l’analyse informatique. Dans le même temps, l’innovation disruptive s’accélère et les forces concurrentielles érodent beaucoup plus vite les rendements de certaines entreprises.
Analysons maintenant les marchés actions sous l’angle régional. Nous avons déjà parlé des Etats-Unis, qui sont plus chers que d’autres régions, mais qui ont un potentiel de croissance plus élevé. L’Europe est moins chère, mais elle est aux prises avec un système bancaire en difficulté. Au Japon, les valorisations indiquent que certains secteurs sont bon marché, mais le pays pâtit d’une tendance démographique qui, si elle devrait évoluer à long terme, ne pourra certainement pas changer assez vite pour que nous puissions en profiter en 2020.
Il en va de même en Chine, où la croissance a indéniablement ralenti. Ce n’est pas un problème en soi, car une croissance plus faible devrait être plus durable. Avec un taux de croissance d’environ 6%, la consommation pourra demeurer intéressante, mais les investissements en immobilisations pourront se révéler plus volatils. En effet, la consommation a invariablement contribué au PIB chinois ces dernières années et nous ne pensons pas qu’une récession industrielle va ternir cette relation à court terme, en dépit des pressions pesant depuis peu sur certains segments (les ventes automobiles par exemple).
Les marchés émergents recèlent intrinsèquement plus de croissance que d’autres régions à long terme et le développement des classes moyennes en Asie (en particulier en Inde) est prometteur. Reste que sur le plan régional, nous privilégions les Etats-Unis, qui abritent un grand nombre d’entreprises disposant d’un bon potentiel de croissance. Il serait donc bien mal venu de sous-pondérer ce marché.
S’agissant des obligations, l’incertitude persistante suggère que les opportunités seront aussi difficiles à trouver que dans l’univers actions, mais les investisseurs devraient à nouveau se tourner vers les valeurs refuge ou de qualité. Elles auront beau être rares, compte tenu du pourcentage d’obligations affichant des rendements nuls ou négatifs, mais, comme pour les actions et d’autres classes d’actifs, notre capacité de recherche nous confère un avantage concurrentiel et nous instille la confiance dont nous avons besoin pour rester sur le fil et gérer les évolutions du marché au profit de nos clients. Nous continuons ainsi de surpondérer le crédit sans rien perdre de notre tendance à privilégier les sociétés de qualité, qui demeure pour nous un axe d’investissement constant.
Voilà une dizaine d’années que nous évoluons sur ce fil au gré des risques haussiers et baissiers. Nous nous en écarterons certainement à un moment ou à un autre mais, pour l’heure, nous estimons qu’il y a de fortes chances pour que nous continuions de suivre la voie d’une inflation, d’une croissance et de taux d’intérêt stables mais faibles.