Le trafic aérien mondial avait rebondi rapidement après les précédents chocs macroéconomiques (guerre du Golfe, attentats du 11 septembre, SRAS, grandes contractions cycliques…) et affiché une reprise en V, alors que les volumes des routes à péage avaient plutôt suivi une évolution en L. La crise sanitaire actuelle s’est, elle, traduite par un effondrement inédit et prolongé du transport aérien commercial. Confinement oblige, presque aucun voyageur n’est monté à bord d’un avion au deuxième trimestre 2020. Depuis, le rebond des taux de contamination, les fermetures temporaires de frontières et les quarantaines ont fortement entravé la reprise. Le trafic aérien international pourrait être à la peine jusqu’en 2024 au moins, alors que les volumes des routes européennes à péage pourraient rebondir en 2021-2022. [1]. Nous les préférons donc aux aéroports.
La pandémie actuelle a plombé le moral des passagers. De leur côté, en raison d’une baisse du coefficient de remplissage, de la quasi-disparation des voyages d’affaires et de l’érosion du pouvoir d’achat des particuliers, les compagnies aériennes ont réduit la voilure. Les volumes du trafic passager européen ont ainsi chuté de 70% à 80% à date par rapport à 2019, et le secteur table sur un repli de 70% sur l’année complète. Pour mémoire, l’Association internationale du transport aérien (IATA) tablait, en décembre 2019, sur une croissance de 3,8% en 2020. [2].
À l’inverse, les routes à péage profitent du fret, qui suit l’activité économique, et du fait que les voyageurs, isolés dans leur voiture, n’ont pas besoin de se mettre en quarantaine à leur arrivée à destination. Au plus fort du confinement du deuxième trimestre, les routes à péage ont bénéficié de l’activité assurée par les poids lourds, qui ont parfois aussi transporté des produits habituellement acheminés par vols commerciaux (les avions étaient alors cloués au sol). En mars, les données des autoroutes payantes françaises ont révélé une baisse de 10% du trafic des véhicules légers et de seulement 3% des poids lourds par rapport à 2019. Sur l’ensemble du deuxième trimestre [3] les volumes ont chuté de 50%, mais la baisse des volumes poids lourds a été moins forte puisque l’économie a continué de fonctionner au ralenti.
Pour l’heure, en 2020, les volumes des routes à péage en France et en Italie reculent d’environ 20% en glissement annuel. Les données du spécialiste des concessions et de la construction Vinci SA témoignent de cette tendance : -23% pour les véhicules légers sur un an et -9% seulement pour les poids lourds. En juillet et en août, les volumes ont même été plus élevés qu’en 2019, avant de ralentir à nouveau en septembre avec la deuxième vague. Au troisième trimestre, le repli n’est que de 2% pour les poids lourds et de 5% pour les véhicules légers. Au quatrième trimestre 2020 et au premier trimestre 2021, la baisse des volumes devrait osciller entre 5% et 15% en variation annuelle [4]. Le reconfinement a eu un impact délétère sur le trafic routier, mais nous avons au moins pu voir à quoi ressemblait la reprise.
Mais pour que les aéroports puissent rouvrir, il faut que le mouvement soit général. À défaut de vaccin faisant consensus, la suppression réciproque des restrictions, l’unification des règles de dépistage, le raccourcissement des quarantaines et l’élargissement des listes de pays d’origine pour lesquels il n’est pas nécessaire de s’isoler seraient des évolutions positives. Mais il faudra aussi que la confiance revienne : selon un sondage de l’IATA, 83% des passagers refuseraient de prendre l’avion s’ils devaient se soumettre à une quarantaine à l’arrivée, mais 88% seraient prêts à être testés pour faciliter les voyages [5].
À court terme, la baisse des volumes va plomber la santé financière des aéroports. Le secteur s’est, pour l’heure, attaché à protéger ses liquidités pour les deux prochaines années au moins : s’appuyant sur ses créanciers, il a émis de la dette et cherché à obtenir le droit de ne pas respecter ses covenants en 2021. Les actionnaires ont eux aussi apporté leur soutien : ils ont prêté des fonds, renoncé à leurs dividendes et, à quelques rares occasions, injecté des liquidités. Les dépenses opérationnelles et les investissements ont parfois aussi été massivement réduits.
L’annonce d’un vaccin potentiel est une excellente nouvelle même si, à court terme, elle dopera plus le moral que les fondamentaux. Les résultats ne pourront se redresser que quand les volumes rebondiront ; les dépenses opérationnelles et le service de la dette (consommateurs de trésorerie) ne disparaîtront pas. La perspective d’un vaccin soutiendra les augmentations de capital supplémentaires qui pourraient être nécessaires l’an prochain, mais il faudra attendre jusqu’à la fin 2021 pour que la vaccination à grande échelle finisse par doper le trafic aérien mondial. C’est du moins ce que prévoyait début novembre l’aéroport d’Heathrow. Les listes de pays d’origine non soumis à isolement, le dépistage et le raccourcissement des quarantaines pourraient se révéler plus porteurs pour le trafic à court terme, et les vols intérieurs et régionaux repartiront plus vite que les trajets internationaux.
Début 2020, avec un portefeuille bâti dans une optique défensive, nous surpondérions les aéroports réglementés (dont le risque de volume est limité et qui pourront utiliser les tarifs fixés par les régulateurs pour compenser les revenus perdus), qui nous semblaient rémunérer plus que largement les risques fondamentaux. Il s’agit par exemple d’Heathrow, à Londres, ou d’Aeroporti di Roma. En avril, quand le coronavirus s’est propagé et que les émetteurs se sont rués sur les marchés de capitaux pour renforcer leurs bilans, nous avons participé aux émissions de Schiphol (l’aéroport d’Amsterdam) et d’Aéroports de Paris, deux entreprises publiques. Mais, quand le marché du crédit s’est redressé et que l’impact sur le transport aérien que nous évoquions ci-dessus s’est confirmé, nous avons réduit notre exposition aux aéroports, au profit d’une position plus résiliente sur les routes italiennes et françaises à péage, passant d’une sous-pondération à une surpondération du secteur.