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Allocation d’actifs sur les marchés financiers : apprendre à désapprendre ou apprendre à réapprendre

Pourquoi passer du temps à réfléchir à une allocation d’actifs traditionnelle sur les marchés financiers. En effet, les réflexes traditionnels d’analyse des marchés financiers deviennent de plus en plus inappropriés...

Pourquoi passer du temps à réfléchir à une allocation d’actifs traditionnelle sur les marchés financiers. En effet, les réflexes traditionnels d’analyse des marchés financiers deviennent de plus en plus inappropriés

  • Aujourd’hui, il devient presque inutile de savoir si tel actif ou tel actif va monter ou baisser en regardant les fondamentaux ou les primes de risque.
  • De même, l’on finit par se demander à quoi cela sert-il de mettre en place une allocation d’actifs en fonction de considérations macroéconomiques (anticipations de politique monétaire, d’inflation et de croissance), en fonction de considérations microéconomiques (price earning ratio des entreprises) et en fonction des modèles traditionnels d’optimisation du couple risque-rendement (les corrélations historiques entre classes d’actifs volent en éclat et les classes d’actifs les plus risquées ne sont plus forcément les mieux rémunérées)
  • Quel dommage mais c’est ainsi et il faut apprendre à réapprendre. Nous considérons donc qu’il faut faire évoluer son référentiel d’analyse et il s’agit plutôt pour prévoir les évolutions des marchés financiers de mettre en place des scénarios sur le comportement et la situation des banques centrales ; et sans doute plus compliqué, il s’agit de scruter le comportement de gros hedge funds ou fonds souverains en matière de paris directionnels. Certes me direz-vous les paris de hedge funds s’appuient sur des fondamentaux. Mais on ne peut pas en dire autant du trading algorithmique. Eh !oui, les modes de négociation « modernes » des instruments financiers via des plateformes de trading génèrent des décalages aussi brutaux qu’inexpliqués (dont la meilleures illustration est ce que l’on appelle désormais les flash cracks). Que se passe-t-il en réalité ? Des ordinateurs ultra rapides fractionnent, achètent et vendent des titres en très peu de temps. L’intervention humaine se limite à choisir l’algorithme qu’il faut lancer puis à contrôler la machine. Le risque inhérent à la détention d’une position prise isolément est faible puisque celle-ci est très souvent tenue moins de 5 secondes, ce qui crée une volatilité inutile et indésirable.

Qu’ils sont loin les fondamentaux et la réflexion sur les anomalies de valorisation. Qu’il est inutile de perdre son énergie et son argent à pester contre la surévaluation de tel ou tel actif financier. Nous faisons nôtre l’idée selon laquelle à long terme les fondamentaux finissent toujours par triompher, qu’à long terme les lois économiques ne peuvent être transgressées sans dommage, qu’à long terme la valeur d’un actif ne peut être déconnectée de sa valeur fondamentale (à savoir la valeur actuelle des flux futurs de revenus plus ou moins certains que cet actif va générer). Oui mais où et quand se situe ce long terme ? Et tout le monde ne dispose pas du temps et de la solvabilité pour patienter et attendre.
En tout cas, il est nécessaire de réapprendre la finance quel que soit son background et son expérience. Pour trois types de raisons.

PREMIERE RAISON : DES MARCHES FINANCIERS QUI NE DONNENT PLUS DE SIGNAUX DE PRIX RATIONNELS

On a, en effet, souvent écrit ces derniers mois que certains marchés financiers ne fonctionnaient plus comme des marchés libres mais étaient « manipulés » par des politiques non conventionnelles. Le meilleur exemple depuis 2009 dans le monde anglo-saxon et depuis 2014 en Europe continentale est celui des marchés obligataires de dettes publiques avec la mise en œuvre des quantitative easing et la quasi-disparition du fonctionnement concurrentiel de ces marchés : présence d’un acheteur massif en dernier ressort nommé banque centrale avec toutes les conséquences que cela implique en termes de surévaluation de nombreux actifs obligataires.

Mais cette situation peut être généralisée si bien que le nouveau mode de fonctionnement des marchés financiers ne conduit plus à la formation de prix librement fixés par le jeu de l’offre et de la demande, lesquelles offre et demande doivent être influencées par des fondamentaux microéconomiques ou macroéconomiques.
On peut aujourd’hui constater que la valorisation de nombreux actifs financiers ne s’explique pas ou plus par leur valeur fondamentale. Et cela concerne les principales classes d’actifs

  • Une obligation d’état dont le cours (et donc le taux de rendement actuariel associé) ne rémunère pas forcément le risque de solvabilité de l’émetteur de cette obligation.
  • Une obligation corporate dont le spread de crédit vis-à-vis des actifs dits « sans risque » ne rémunère pas forcément le risque de défaut
  • Enfin une action dont le cours est déconnecté des perspectives sur les bénéfices futurs

Il y a bien sûr derrière tout cela la monétisation systématique des déficits publics et donc le fait qu’une partie de plus en plus importante des dettes publiques est détenue par les banques centrales et que la liquidité banque centrale qui achète ces actifs est « donnée » aux marchés financiers (traders, hedge funds et investisseurs) qui achètent à leur tour des actifs financiers en fonction de leur appétit au risque et de leurs anticipations mais aussi et surtout sans une grande sélectivité puisqu’ils se reposent sur cet aléa moral.

Souvenons-nous que cet aléa moral gouverne les marchés financiers depuis plus de 10 ans. Il est représenté par le fameux « PUT » des banquiers centraux qui offre à l’investisseur une assurance certes non explicite mais quasi-inconditionnelle d’impossibilité de baisse des cours de nombreux actifs financiers en deça d’un certain niveau.

Mais pourquoi cette obstination des banquiers centraux ? En réalité il ne s’agit pas tant d’obstination que du piège de la financiarisation des économies crée par les banques centrales elles-mêmes. Au début de l’histoire, on crée de la monnaie à travers des opérations exceptionnelles pour conjurer le risque systémique bancaire (nous sommes en 2009-2010) et ensuite nous rentrons dans une spirale et une irréversibilité avec une dépendance des banques et des marchés vis-à-vis de la liquidité banque centrale. C’est parce-que ces économies sont aujourd’hui hyper-financiarisées que l’arrêt des injections de liquidité ou même une moindre progression de la liquidité créée provoquerait de violents effets de richesse négatifs. Mais sans doute faudra-t-il se rendre à l’évidence que la hausse continuelle du prix des actifs financiers n’est pas la solution aux problèmes structurels de l’économie et n’est pas la condition de la mise en place d’un processus de croissance saine et équilibrée. Ne vaudrait-il pas mieux prendre le risque de petits effets de richesse négatifs que de continuer à entretenir une économie de bulles. Après tout, supposer que la hausse des prix des actifs crée un effet positif de richesse en soutenant la demande et l’investissement n’est pas toujours pertinent. La réalité est plus complexe : si le prix d’une classe d’actifs augmente, les détenteurs de cet actif sont enrichis, mais ceux qui doivent acheter cet actif sont appauvris. L’exemple du marché immobilier est éloquent puisque la hausse des prix enrichit les propriétaires d’immobilier, mais évince les acheteurs futurs ou les conduit à s’endetter plus et plus longtemps.

RAISON 2 : UN MONDE ABSURDE DE TAUX REELS NEGATIFS ET PIRE DE TAUX NOMINAUX NEGATIFS.

Des valorisations absurdes de certains actifs financiers surévalués deviennent « justifiées » d’un point de vue mathématique. En réalité, si les taux sont très faibles voire en territoire négatif, il devient ridicule d’évaluer le prix de certains actifs. Ne perdons pas de vue que la valeur fondamentale d’un actif n’est rien d’autre que la somme actualisée (à un taux d’intérêt donné) de flux de revenus futurs. Cela signifie qu’actualiser ces flux à un taux d’intérêt de plus en plus faible revient à valoriser les actifs à des niveaux stratosphériques. Si on veut leur donner une valeur réaliste, il faut alors corriger le prix de l’actif avec une prime de risque extraordinaire.

En tout cas, force est de constater que les taux négatifs défient le bon sens économique. Le taux d’intérêt permet en principe de réguler l’économie et doit, en principe, refléter le degré de rareté des capitaux disponibles. Si des projets économiques ne sont pas en mesure de créer suffisamment de richesses pour couvrir le coût des ressources empruntées, ils ne sont tout simplement pas rentables. Rien de tout cela aujourd’hui ne se produit grâce ou plutôt à cause d’une répression financière organisée par les banques centrales qui a totalement faussé l’économie en « nationalisant » les marchés monétaires (cf l’histoire de la BCE depuis 12 ans avec ses LTRO, VLTRO, TLTRO1, TLRO2 et TLTRO3) et les marchés obligataires (Cf les QE qui ne se terminent en réalité jamais).

Quoi qu’il en soit, les signaux envoyés à l’économie sont particulièrement malsains puisque cette indétermination des prix des actifs ne permet plus de comprendre si tel actif est surévalué ou non par rapport à sa valeur fondamentale. Pire, on devient incapable d’identifier des bulles sur les marchés financiers et donc d’anticiper les prémices de crises financières. C’est ce qui conduit beaucoup d’économistes ou d’investisseurs à des analyses extrêmes : soit systématiquement optimistes en se reposant sur l’aléa moral que les banques centrales ont installé en tant qu’acheteuses de titres et prêteuses de liquidités en dernier ressort ; soit systématiquement pessimistes en anticipant en permanence des krachs (mais bon rappelons quand même que si des krachs sont annoncés pour un oui pour un non, non seulement le crédibilité de ces annonces est de plus en plus réduite mais aussi les investisseurs, spéculateurs et autres agents économiques privés seront tellement préparés financièrement et psychologiquement que ces catastrophes ne se produiront pas).

Difficile donc de choisir entre ces thèses radicalement opposées pour construire son allocation d’actifs. Si l’on part de l’idée selon laquelle les taux réels vont être durablement négatifs (ce qui n’est pas irréaliste) il va falloir sélectionner tous les actifs dont le rendement espéré ne coûte rien.

On peut alors surpondérer les actifs réels au sens large

  • L’or (les cryptomonnaies peuvent également être retenues) dont le rendement est certes nul mais au moins non négatif
  • Certaines actions assimilables à des actifs tangibles et qui distribueront des dividendes réguliers
  • Certains actifs immobiliers (SCPI de manière très sélective afin de tenir compte du contexte difficile de l’immobilier de bureau et de l’immobilier commercial durant cette crise COVID)

Nous sommes donc loin des réflexes traditionnels d’allocation sur les classes d’actifs traditionnelles : monétaire, obligataire, actions.

Alors doit-on, pour autant, ignorer totalement les déterminants traditionnels de valorisation ? Non pour au moins deux raisons

  • La notion de PER n’est pas morte. Mais même si nous devons intégrer de nouveaux paradigmes et notamment celui de la liquidité mondiale qui doit conduire à accepter des PER plus élevés et donc des niveaux de valorisation plus élevés, on est en droit de s’interroger sur certains excès. Qui peut justifier fondamentalement qu’Amazon affiche un PER de 91 (ce qui veut dire que l’action se paie 91 années de bénéfices) sans perspectives de dividendes ? Et que penser de Netflix dont le PER ressort à 81 là aussi sans perspectives de dividendes ? Sans oublier des niveaux de valorisation que personne ne peut raisonnablement expliquer si ce n’est que nous serions rentrés dans un nouveau monde avec Zoom qui affiche un PER de 1355 et Tesla dont le PER se situe autour de 1100. Oui les modes de communication et de travail ainsi que les modes de transport vivent une révolution mais pas au point d’afficher des valorisations qui font abstraction du temps. Dans l’ancien monde, diront avec prétention ceux qui nous vendent un prétendu nouveau monde, un PE de 30 à 40 était déjà représentatif d’une valeur de forte croissance
  • Alors, on viendra nous dire, par exemple, que Tesla serait le Amazon ou le Google du monde de la voiture électrique – avec un pricing power et la construction d’une situation de quasi-monopole. Pas si sûr car Google et Amazon fonctionnent en rendements croissants (chaque nouvel utilisateur valorise le réseau pour les suivants). Pour Tesla c’est un tout autre business model car rien ne permet de penser que cette entreprise sera le seul constructeur de véhicules électrique et disposera d’un pricing power jusqu’à la « fin des temps ».

On voit bien qu’il n’est pas inutile de s’interroger sur certaines valorisations stratosphériques, fussent-elles de la nouvelle économie

RAISON 3 : IL VA FALLOIR DESORMAIS DISTINGUER ENTRE LES BULLES D’ACTIFS SOCIALEMENT ET ECONOMIQUEMENT UTILES ET LES BULLES DANGEREUSES ET SOURCES D’INSTABULITES

Revenons à la notion de bulle sur les marchés financiers. Nous avons écrit que l’on peut parler de bulle lorsque la valeur d’un actif est totalement déconnectée de la réalité économique. Par exemple pour un actif boursier, il s’agira d’une déconnexion entre le prix de l’action et la croissance anticipée des bénéfices (puisque le prix d’une action n’est rien d’autre que la somme actualisée des bénéfices annuels anticipés dans le futur).

Si l’on regarde l’histoire des marchés financiers de ces 20 dernières années (le 21ème siècle en quelque sorte), 3 grandes bulles financières ont existé et éclaté conduisant à des crises financières. Dans chacune de ces crises, il y eut des déviations significatives des prix des actifs par rapport à leurs fondamentaux ; en d’autres termes, des situations d’excès d’endettement par rapport aux capacités de remboursement (crise de solvabilité et/ou incapacité à générer des résultats et à accroître ses fonds propres).

1/ On se souvient des cours surévalués et délirants des actions des entreprises télécoms surendettées en 1999-2000 avec l’éclatement de bulle qui a suivi.

2/ On se souvient aussi des crédits subprime aux ménages US surendettés et mal-endettés en 2004-2006 et des produits structurés adossés à ces crédits « pourris » avec comme aboutissement une crise sans précédent de la titrisation en 2007 et des effets de contagion impressionnants illustrés par la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008.

3/ A partir de fin 2009 et ce jusque durant l’été 2012, nous avons vécu un autre type de surendettement, celui de certains souverains de la zone Euro

Mais alors aujourd’hui ? Oui il y a des bulles un peu partout mais il y a la création monétaire illimitée et le PUT des banquiers centraux. Comment structurer son allocation d’actifs ? Il va falloir distinguer entre les bulles, celles qui sont dangereuses et auxquelles il ne faut surtout pas participer d’une part, celles qui sont économiquement tolérables d’autre part.

En réalité, tout va dépendre de la situation de l’économie d’un pays ou d’une zone géographique (en excédent de capital ou en déficit de capital) et du type d’actif sur lequel porte la bulle (actif productif ou non productif)
1/ si la bulle porte sur des actifs non productifs (type immobilier) dans des pays en situation d’excès de capital productif, comme cela est le cas de nombreux émergents, alors il n’y a pas de danger imminent (on assiste juste à un rééquilibrage des excédents d’épargne).
2/ si à l’opposé, la bulle porte sur des actifs dits productifs (actions) dans des pays en situation de déficit de capital alors là aussi il n’y a pas de danger imminent puisque la valeur des entreprises s’accroît et donc leur capacité d’investir. Là encore il s’agit d’un rééquilibrage des excédents d’épargne
3/ Les bulles dangereuses sont donc celles qui consistent à investir dans des actifs improductifs dans des pays en situation de déficit de capital alors que le taux de croissance est faible et qu’il y a insuffisance de capital productif dans l’économie

  • On pense au Japon du début des années 1990 avec l’immobilier (on a vu le résultat)
  • On peut penser aussi aux Etats Unis et à certains pays européens (Espagne, Irlande…) avec différentes formes d’immobilier subprime entre 2005 et 2007.
  • Aujourd’hui, la bulle sur les emprunts d’état est clairement dangereuse car la hausse des encours de dette publique n’a pas comme contrepartie une hausse des investissements publics productifs. Certes cette bulle n’éclate pas car les dettes sont monétisées par les banques centrales mais il serait absurde d’acheter ce type d’actifs sous prétexte qu’il y aura toujours un acheteur en dernier ressort
  • La plus grande bulle des temps modernes est bien entendu la bulle de la monnaie. Nous ne sommes pas dans le schéma de la macroéconomie traditionnelle qui expliquait aux étudiants en économie que la création monétaire était ni moins ni plus que la contrepartie de crédits productifs à l’économie. Nous sommes dans un schéma où l’essentiel de la création monétaire est improductive pour l’économie car utilisée pour acheter des actifs financiers : immoblier et actions (via l’helicopter money) ; actions, obligations corporate et obligations d’état (au niveau des banques via les opérations banques centrales pour la partie qui n’est pas prêtée à l’économie réelle, au niveau des banques et institutionnels via la liquidité reçue des banques centrales dans le cadre des politiques de rachat d’actifs type QE)

Mory Doré Décembre 2020

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