Depuis le début de la crise qui a frappé l’ensemble des grandes places financières mondiales, une sorte de chasse aux sorcières a été entamée contre les Hedge Funds. De Paris à New York en passant par Londres, de nombreux observateurs crient haro sur ces spéculateurs de la première heure qui ont manipulé le marché et se sont enrichis de façon outrageuse : il faut les réglementer, il faut les taxer, il faut les arrêter. Mieux, carrément les anéantir !
La récente publication des rémunérations (et non des bonus) des 25 premiers gérants de Hedge Funds n’a fait que jeter de l’huile sur le feu. Elle a fait mal, très mal. Au total, 25 milliards de dollars de revenus à se partager entre quelques privilégiés. Et dans le contexte économique actuel, si difficile pour une majeure partie de la population, c’est tout simplement insupportable. Ces annonces ont heurté et auraient pu constituer le terreau d’une révolte populaire qui ne disait pas son nom.
Malgré tout ce remue-ménage et la remise en cause sans cesse croissante de leur business, pratiquement aucun gérant de Hedge Funds n’a souhaité répondre ou se justifier. Et c’est bien dommage. Ces gérants aux talents pourtant exceptionnels n’ont pas souhaité communiquer pour apaiser la polémique. Et pour cause : cette fronde contre la gestion alternative n’est pas du tout justifiée selon eux.
Dans un monde de la finance sans foi ni loi où le profit rapide est la mesure commune de performance mais aussi de la survie, le propos ici, qui ne consistera pas à défendre « les loups dans la bergerie », sera plutôt d’analyser depuis 10 ans l’évolution des Hedge Funds et apporter un éclairage alternatif à cette forme d’union sacrée anti-spéculative qu’on retrouve dans la presse. Que sont les hedges funds ? Peut-on réellement les réglementer ? Les gérant sont-ils rémunérés à leur juste valeur ? Leur business est-il moral ?
Que sont en réalité les Hedge Funds ?
1. Les gérants de Hedge Funds sont des entrepreneurs de la finance, en majorité opérant aux Etats unis, qui se rémunèrent sur le risque marché qu’ils prennent, pour eux (ils investissent leur propre argent) et pour leurs clients avertis.
2. Investir dans des Hedge Funds offshore revient à accepter des risques qui ne sont pas des risques de marché : risque de contrepartie, risque de liquidité, risque de faillite du gérant, risque de fraude. En un sens, un investisseur est prêt à leur faire un chèque en blanc pour qu’ils gèrent de façon plus ou moins complexe leurs avoirs, sans grande transparence sur le mode de gestion et les sous jacents traités. Mais en confiant son argent sur des fonds monétaires en 2007 à certains établissements bancaires, n’avait-on pas fait la même démarche ?
Rémunérer le risque
La prise de risque est maximum dans les crises ; les gains potentiels ou les pertes potentielles sont en proportion avec le risque pris. Le fameux David Tapper, l’homme aux 4 milliards de dollars de “bonus”, a réalisé, dit il, des profits très importants sur des positions à l’achat des valeurs bancaires, alors au plus bas. Doit-on lui en vouloir ? Doit-on le limiter dans sa gestion ? En quoi son intervention sur les marchés a-t-elle été immorale ? Négative ? Son profit était pourtant bien à la mesure du risque qu’il avait pris. Il aurait pu tout perdre et aucun gouvernement ne serait venu à sa rescousse.
Ainsi, l’essence même du gérant de Hedge Funds est de prendre des risques et de gérer ces risques afin de produire du profit pour lui et ses investisseurs. Il évalue les actifs sous évalués et les achète ; il vend les actifs sur évalués, comme la dette Grecque, totalement maquillée. Et c’est la logique d’un business dont les montants des profits choquent par leur irrationalité. En temps de crise, chacun sait que les opportunités sont énormes pour ceux qui savent les saisir. Est-ce immoral ? Faut-il contrôler cela ? Qui en aura la charge et comment ? Autant de questions qui restent toujours ouvertes sur l’éventualité de réglementer la gestion alternative.
Réglementer
Les initiatives de réglementation des Hedge Funds aux Etats Unis (hormis les CTAs ou fonds de futures régulés par la CFTC) en 2006 ont échoué. Le lobbying des gérants américains a toujours été très puissant et a su préserver leur liberté de gestion. La nouvelle proposition du sénateur Christopher Todd qui prévoit de réguler les Hedge Funds sera t-elle efficace ?
En Europe, les gérants de Hedge Funds sont des sociétés de gestion réglementées. En France, l’AMF, en 2005, a mis en place un cadre réglementaire produit ad-hoc en limitant les effets de levier et imposant des ratios d’emprise. Or ce cadre n’a pas supporté la crise car les contraintes de liquidité imposées n’étaient plus compatibles avec la réalité du marché et l’impossibilité pour la plupart des gérants Hedge Funds de liquider leurs actifs.
Depuis plus d’un an, l’Europe réfléchit à un cadre réglementaire de distribution des fonds offshore estimant que les investisseurs doivent être protégés. Les discussions continuent encore entre les différentes parties sans qu’on soit sur la voie d’un accord entre l’esprit anglo-saxon de laisser-faire et l’approche régulatrice des pays continentaux qui souhaitent aussi protéger leur industrie !
Enfin, au-delà du jugement qu’on porte sur leurs pratiques, les Hedge Funds n’en sont pas moins des sources importantes de liquidité de marché. Et limiter leurs interventions aura des conséquences pour les autres acteurs de la gestion traditionnelle. Les mesures prises en octobre 2008 pour limiter les ventes en sec des valeurs financières ont d’ailleurs eu des effets négatifs sur les marchés.
Bons ou mauvais ?
Au final, la logique d’une certaine sphère financière à la recherche de gains illimités (réclamés par les investisseurs) et le comportement parfois irréfléchi des acteurs de marché (gérants et traders) sont bien une logique à part de la logique d’investissement long terme nécessaire à l’économie.
Quel rôle a finalement la finance de marché dans l’économie ? Qui achète et qui vend ? Les questions sont bien plus larges et nécessitent un vrai débat et non des campagnes d’attaques et de déstabilisation ciblées contre les Hedge Funds qui représentent pourtant moins de 10% des encours mondiaux sous gestion.
La vraie moralité serait peut-être la re-distribution de ces revenus prodigieux vers l’économie par le biais de l’imposition ou de façon individuelle, tel Georges Soros, qui avait montré la voie en finançant de ses capitaux privés des projets d’infrastructure et d’éducation en Europe de l’Est. Là, les Hedge Funds auraient effectivement un rôle plus acceptable à jouer. Les gérants de Hedge Funds ne méritaient ni autant d’honneur avant la crise et ne méritent ni autant d’indignité aujourd’hui.