Comme nous l’écrivions dans l’article « retour sur les vraies origines de la crise », il sera toujours tentant pour les dirigeants politiques et économiques de demander à une banque centrale de payer leur gabegie, leurs inconséquences voire leurs incompétences.
Plus de 4 ans après le début officiel, à l’heure ou tout le monde se demande comment on va sortir de cette interminable crise, revenons un instant sur les vraies origines.
En effet ce type d’institution reste le prêteur en dernier ressort (pour sauver les banques en crise de liquidité) et l’acheteur en dernier ressort (pour sauver les états en crise de solvabilité et/ou de liquidité voire pour influer sur le prix de certains actifs financiers).
Comme nous l’écrivions également, les banques centrales en général et la BCE en particulier vont devenir les poubelles du système financier international et des vraies bad banks en quelque sorte puisque l’on va profiter de leur double spécificité :
1/ ce sont les seuls acteurs financiers dont une partie du passif (dettes) n’est pas exigible ; en créant de la monnaie, la banque centrale émet une dette sur elle-même non remboursable en tout cas tant que la monnaie émise est acceptée comme moyen d’échange, de paiement, de transaction et de réserve. On imagine pas un seul instant qu’il en soit autrement car les agents économiques que nous sommes tous n’ont pas d’autre choix.
2/ par ailleurs, ce sont aussi les seuls acteurs qui sont indifférents au mark-to-market (valorisations) des actifs qu’ils détiennent car en cas de perte, il n’est nul besoin de les recapitaliser comme pour une banque normale ; il suffit tout juste par un jeu d’écriture comme on sait si bien le faire en finance d’inscrire au bilan une provision de passif.
Voila donc la dernière étape de la crise financière, celle de la monétisation institutionnalisée
En zone Euro, nous assisterons à une monétisation contrainte mais néanmoins massive de la BCE malgré l’hostilité de la Bundesbank, du Bundestag et du gouvernement fédéral allemand. Il est vrai que ces institutions n’auront pas vraiment d’autres choix car l’on comprendra vite que les solutions dites structurelles de résolution de la crise des dettes souveraines ne sont politiquement et socialement tout simplement pas envisageables et très peu probables
- qu’il s’agisse de la sortie de la zone Euro de pays fragiles (coûts économique et social insupportables pour ces pays)
- qu’il s’agisse de la sortie de la zone Euro de l’Allemagne (coût macroéconomique considérable avec une perte de compétitivité importante et coût financier élevé au regard des engagements des banques allemandes sur les pays périphériques de la zone Euro)
- qu’il s’agisse de la restructuration de la zone Euro avec la mise en place d’une zone Nord budgétairement vertueuse et d’une zone Sud cherchant à rattraper ses handicaps de compétitivité (politiquement difficile puisque cela reviendrait à séparer les 6 fondateurs de l’Europe : l’Allemagne et le Bénélux d’une part ; la France et l’Italie d’autre part)
- qu’il s’agisse de la mise en place d’une véritable union politique avec fédéralisme fiscal et donc transferts budgétaires systématiques des plus riches vers les plus pauvres. Cette solution ne peut pas être recevable en Allemagne et chez ses satellites ; plus généralement, ce scénario est difficilement anticipable compte tenu des abandons de souveraineté nationale qu’il implique.
La BCE sera donc contrainte de monétiser et donc de créer de la monnaie ex-nihilo pour acheter des actifs de plus en plus toxiquesMory Doré
La BCE avait, jusqu’à présent mis en place une monétisation soft avec stérilisation de la liquidité (cela veut dire que la création monétaire générée par l’achat de titres de dettes périphériques était retirée par d’autres moyens). Depuis le mois d’août 2011, la BCE a mis en place une monétisation plus agressive avec les achats de dette italienne et espagnole. Il est vrai que compte tenu des encours en jeu, la stérilisation de ces achats massifs aurait profondément perturbé le fonctionnement du marché monétaire, qui l’était d’ailleurs déjà sérieusement avec la crise de confiance entre établissements bancaires.
On rappellera que la BCE a acheté pour 75 Milliards d’euros de titres d’état (grecs, portugais et dans une moindre mesure irlandais) entre mai 2010 et juillet 2011. Avec les achats directs de dette italienne et de dette espagnole, le rythme s’est considérablement accéléré et, à fin octobre 2011, les encours de titres achetés s’élevaient à 175 Milliards d’euros. D’un rythme de 5 milliards d’euros de monétisation (qui plus est stérilisée) par mois entre mai 2010 et juillet 2011, la BCE est passée à une moyenne mensuelle de 30 milliards entre aout 2011 et aujourd’hui sans stériliser intégralement la masse monétaire
Nous sommes certes loin des montants accumulés par la FED et la BOE au travers de leurs programmes de quantitative easing depuis début 2009
- l’encours de Treasuries US est passé dans le bilan de la FED de 480 milliards de USD en septembre 2008 (faillite de Lehman) à près de 1600 milliards de USD en juin 2011 (date officielle de la fin du quantitative easing 2)
- l’encours de Gilts UK détenus par la Bank of England est passé de 45 milliards de GPB à 215 milliards de GBP en juin 2011. Avec la perspective de faire monter cet encours à près de 300 milliards de GBP d’ici le T1 2012 puisqu’il a été annoncé début octobre 2011 un programme de quantitative easing supplémentaire de 75 milliards de GBP.
Mais il n’en demeure pas moins que la monétisation BCE est en marche et est surtout irréversible. Alors, me direz-vous, allons-y gaiement et monétisons sans se poser de questions. Sauf que nous attirons l’attention sur 2 problématiques
Première problématique
Imaginons que l’on mette en place de vastes programmes de monétisation, donc d’achats illimités de dette italienne, espagnole et pourquoi pas de dette française au travers d’un FESF new look transformé comme le voulait la France et d’autres pays en banque de plein exercice s’approvisionnant en liquidités auprès de la Banque centrale.
Il n’y a certes pas de limite technique, comme nous l’avons vu, à l’accroissement de la taille du bilan d’une banque centrale mais il y a une limite financièreMory Doré
Comme une banque, ce new FESF pourrait alors prêter jusqu’à une infinité de fois son capital surtout si les titres d’état achetés continuent à ne pas consommer de capital d’un point de vue réglementaire. Rappelez vous que lorsqu’une banque prête 100 à une entreprise , elle consomme (au sens de la réglementation bancaire ) 8 de capital ; quand elle prête à une autre banque , elle consomme 8 fois 20% , soit 1.6 ; et quand elle prête à un état OCDE, elle consomme 8 fois 0% , donc 0 (c’est bien connu un état OCDE, c’est ce qu’il y a de moins risqué ..). Enfin tout cela c’était dans l’ancien monde et la réglementation avec Bale 2 puis Bale 3 évolue et sous la pression des crises, cela évoluera encore avec beaucoup de retard et d’inertie. Mais à la différence d’une banque classique, ce FESF aurait deux types d’emprunteurs : d’une part, les états plus ou moins fragiles repoussant à plus tard leurs problèmes de solvabilité ; d’autre part, des banques insuffisamment capitalisées. Autant dire que la qualité de bilan de ce FESF se dégraderait irréversiblement et, partant, le rating de cette institution.
D’ailleurs, le collatéral apporté par ce FESF pour se financer auprès de la BCE serait donc de qualité de moins en moins bonne
- car constitué de garanties apportées par des états de plus en plus fragilisés et de plus en plus insolvables
- car constitué également d’actifs de plus en plus toxiques représentés par les titres de dette des états les moins solvables et des banques les moins bien capitalisées.
D’un point de vue macroéconomique, on va donc assister à de la création monétaire pour acheter directement par la BCE ou indirectement par le new FESF les dettes pourries. Si l’on considère que ces dettes sont achetées avec la liquidité créée sur le marché secondaire aux investisseurs privés, ceux-ci vont alors utiliser cette liquidité pour acheter des actifs refuge (dettes publiques non encore toxiques , actifs émergents , matières premières). Le risque est que tout ceci conduise à de nouvelles bulles d’actifs financiers et à des crises à répétition avec forte volatilité, choc patrimonial, effets de richesse négatifs et crise économique et sociale.
Seconde problématique
Il n’y a certes pas de limite technique, comme nous l’avons vu, à l’accroissement de la taille du bilan d’une banque centrale mais il y a une limite financière. En effet, la création monétaire incontrôlée au passif de la banque centrale et l’accumulation d’actifs financiers de qualité médiocre à l’actif du bilan de la banque centrale vont provoquer une forte dévalorisation de la monnaie. Cela porte plusieurs noms : perte de pouvoir d’achat de la monnaie, hyper-inflation, rejet de la monnaie , stockage d’actifs physiques au rang desquels l’or, la pierre et la terre
On reviendra sur cette problématique des vraies valeurs refuge de demain dans un prochain papier