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Chat échaudé craint l’eau froide : le secteur technologique recèle-t-il de la valeur sans les FAANG ?

Constatant le rebond très impressionnant des valeurs technologiques, certains commentateurs n’ont pas hésité à dresser une comparaison avec la bulle Internet de la fin des années 1990. Mikhail Zverev et Alistair Way estiment toutefois que certaines des valeurs moins valorisées du secteur offrent encore de bonnes opportunités.

Les dommages économiques infligés par la pandémie de COVID-19 sont généralisés et, pour beaucoup, permanents. En juin dernier, le Fonds monétaire international estimait que la production mondiale allait subir sa plus forte baisse annuelle de l’histoire en 2020. [1] Et effectivement, un nombre record d’entreprises, tous secteurs confondus, ont fait faillite.

On peut donc légitimement s’interroger sur les niveaux record dont les bourses mondiales se sont approchées ces dernières semaines. Cette progression est due en grande partie au rebond impressionnant des actions des grands groupes technologiques, en particulier américains et chinois. Le 19 août, Apple a été la première entreprise à atteindre une valorisation boursière de 2 000 milliards de dollars, à peine deux ans après avoir atteint le seuil des 1 000 milliards de dollars. À la mi-octobre, l’indice composite Nasdaq était en hausse de 30% depuis le 1er janvier. La progression de son équivalent chinois, le ChiNext, a été encore plus prononcée. Sa hausse de 50% depuis le début de l’année est à peine croyable. [2]

Les 3 coupables

Selon Mikhail Zverev, responsable des Actions internationales d’Aviva Investors, cette envolée des valeurs technologiques s’explique par la manifestation simultanée de trois facteurs. Premièrement, l’effondrement des taux d’intérêt à l’échelle mondiale. Selon les modèles de valorisation reposant sur l’actualisation des flux de trésorerie, tous les cours de bourse devraient profiter de la baisse des taux d’intérêt. Mais les valeurs technologiques y sont particulièrement sensibles car, comme c’est souvent le cas, ces entreprises ne sont pas censées générer ni verser de revenus avant longtemps. Ces versements sont soudainement devenus presque inestimables.

« En théorie, on pourrait estimer que l’essentiel de la surperformance des valeurs de croissance est un positionnement en duration [3] qui ne dit pas son nom », explique Mikhail Zverev.

Deuxièmement, dans une conjoncture économique dégradée et avec des taux d’intérêt peu susceptibles de baisser, les investisseurs ont redoublé d’efforts pour se positionner sur les actions d’entreprises, de plus en plus rares, capables de générer une croissance du capital. Alors que la plupart des entreprises sont pénalisées par la pandémie, de nombreux groupes technologiques en profitent du fait de l’augmentation des personnes travaillant, étudiant et faisant des achats en ligne depuis leur domicile.

Troisièmement, ces deux facteurs ont amplifié le momentum sur ces valeurs, la crainte de manquer la poursuite du rebond ayant poussé les investisseurs à ne pas tenir compte des fondamentaux de valorisation.

L’envolée des valeurs technologiques a naturellement poussé certains à établir des comparaisons avec la bulle Internet de la fin des années 1990, nombre de commentateurs avertissant que le rebond en cours était intenable.

Cependant, pour Mikhail Zverev, la majorité des investisseurs ne semblent pas de cet avis. En effet, contrairement à 1999, nombre d’entreprises à l’origine de cette envolée, comme Apple, Alphabet, Facebook et Microsoft, sont très rentables. Ce qui décourage les candidats à la vente à découvert.

Un marché polarisé

On peut tout à fait estimer que le taux de croissance des bénéfices intégré dans les valorisations de nombreuses valeurs technologiques n’est pas réaliste et que les investisseurs privilégiant ces entreprises seront au final déçus. Toutefois, Mikhail Zverev et Alistair Way, responsable des actions émergentes chez Aviva Investors, pensent, de leur côté, que les gros titres dont a fait l’objet le secteur technologique marque une importante polarisation en son propre sein, comme pour tout grand indice actions. Même s’ils pensent que les investisseurs auraient tout intérêt à réserver une place importance à certaines valeurs technologiques dans leur portefeuille, d’autres entreprises, qui n’ont guère participé au rebond récent, affichent des valorisations plus raisonnables.

Certaines ruptures qui marquent les économies, notamment l’importance croissante des données et de leur analyse et, par ricochet l’informatique dématérialisé (le cloud), le déploiement des réseaux de téléphonie mobile de cinquième génération et les progrès de l’intelligence artificielle, seront très probablement sources de bénéfices élevés pour de nombreuses entreprises. Cependant, si les intervenants boursiers sont prêts à accorder des valorisations extrêmement élevées pour les actions des entreprises susceptibles de bénéficier de ces nouvelles tendances, ce n’est pas le cas pour toutes.

Pour Mikhail Zverev, les marchés développés établissent une vraie distinction entre les éditeurs de logiciels et les prestataires de services, d’une part, et les fabricants de semi-conducteurs et d’équipements de matériel, d’autre part, en accordant des valorisations extrêmement élevées aux premiers mais pas aux seconds.

« Pour les entreprises peu gourmandes en capital, générant des revenus récurrents et une croissance prévisible, les multiples ne sont jamais trop élevés. En revanche, les fabricants de semi-conducteurs et de matériel informatique sont considérés comme risqués et cycliques », poursuit-il.

Prenons l’exemple du titre Apple. Ces dernières années, cette entreprise est parvenue à convaincre les investisseurs qu’elle était autant un prestataire de services qu’un fabricant de matériel, même si sa branche services ne représente d’une infime part de son activité. En conséquence, le marché anticipe que les résultats futurs vont non seulement croitre plus rapidement mais il est également prêt à accorder des multiples plus élevés à ces bénéfices. L’action Apple se négocie actuellement à 32 fois les bénéfices prévisionnels, contre seulement 12 fois il y a deux ans. [4]

Mikhail Zverev se dit prudent vis-à-vis des fournisseurs de services pour les logiciels, en particulier ceux qui ne sont pas encore rentables. Il cite notamment une société américaine qui permet de stocker des bases de données sur le cloud de manière plus efficace et plus sûre. Son action se négocie à 89 fois ses revenus, alors qu’elle n’est toujours pas rentable. [5]

« Une valorisation aussi élevée peut se justifier. Toutefois, même si je suis convaincu du potentiel à long terme de la transition vers l’informatique dématérialisée, il existe de meilleurs vecteurs de capitaliser sur cette tendance », précise-t-il.

Les puces mémoires et les composants optiques de communication seront indispensables au fonctionnement des logiciels. Pourtant, l’action du leader des composants optiques ne se traite qu’à 13 fois ses bénéfices de l’année prochaine. [6] Quant aux entreprises fabriquant les puces mémoires qui stockent les données, leur valorisation est souvent inférieure au coût de remplacement de leurs usines, de leurs terrains et de leurs équipements.

La chasse aux champions nationaux des investisseurs chinois

La polarisation est tout aussi forte sur les marchés actions des pays émergents. Cependant, sur ces marchés, ce n’est pas la divergence entre les actions des fabricants de matériel, d’une part, et celles des éditeurs de logiciels et des fournisseurs de services, d’autre part, qui compte, mais l’écart entre le marché chinois et le reste du monde. Selon Alistair Way, cette situation s’explique en partie par l’intensification de la guerre froide technologique entre les États-Unis et la Chine. En réaction, les investisseurs particuliers chinois n’hésitent pas à payer plus cher les actions des entreprises qu’ils considèrent comme des champions nationaux.

« L’écart de valorisation entre les fabricants chinois de matériel technologique et leurs concurrents coréens ou taïwanais est très important et difficile à justifier. Bien souvent, des entreprises pourtant de mauvaise qualité se voient attribuer des valorisations exorbitantes » ajoute-t-il.

C’est pourquoi, il ne s’intéresse pas particulièrement à la Chine s’il veut investir dans des fabricants de matériel technologique. Dans la mesure où les entreprises taïwanaises et sud-coréennes devraient être moins pénalisées par le renforcement des tensions entre les États-Unis et la Chine, leur valorisation plus faible en relatif les rend d’autant plus attractives.

Les valorisations ne sont plus aussi importantes

Cela étant dit, Alistair Way estime que dans l’environnement actuel, les valorisations sont moins importantes qu’elles ne le seraient dans des conditions normales. Il est désormais plus important d’être capable d’anticiper correctement les changements potentiels de l’environnement dans lequel les entreprises opèrent.

Par exemple, les valorisations de certaines entreprises chinoises du secteur de l’Internet peuvent sembler extrêmement élevées à première vue, mais le basculement d’une activité économique physique vers une économie digitale dans le sillage de la pandémie est une tendance probablement pérenne. Alistair Way a détecté un énorme potentiel de croissance dans le secteur de la vente en ligne de produits de première nécessité. En effet, dans un pays où un pourcentage élevé des ventes au détail sont réalisées en ligne, la pénétration des supermarchés est étonnamment faible, à seulement 2%.

« Nous sommes prêts à payer des multiples à première vue élevés pour nous exposer à une tendance que nous pensons capable d’introduire une rupture majeure dans le secteur. Il est plus important de sélectionner une entreprise de qualité que d’acheter une entreprise bon marché », explique-t-il.

Les tendances favorables qui ont propulsé à la hausse les actions de certaines entreprises technologiques vont très certainement se poursuivre, mais les valorisations semblent désormais élevées dans de nombreux secteurs. Surtout que plusieurs nuages s’amoncellent à l’horizon. Le principal d’entre eux est le risque d’un durcissement de l’environnement réglementaire qui menace les grands groupes technologiques, qui pourrait empêcher des sociétés comme Facebook et Google d’acquérir un concurrent novateur et d’étouffer la concurrence.

L’impact marqué des facteurs Croissance et Momentum sur le rebond soutenu des marchés actions cette année a posé des problèmes à Mikhail Zverev et Alistair Way, puisque leur processus d’investissement évite délibérément ce type de « biais de style ». Mikhail Zverev pense qu’au cours des 18 derniers mois environ, et pour la première fois de sa carrière, il est devenu difficile de ne pas être exposé à des entreprises comme Apple, même si la valeur ne vous convainc pas, voire que vous soyez négatif à son égard.

« Même dans un indice de référence mondial, ce type d’entreprise peut en représenter environ 5%. Cela a contraint de nombreux investisseurs à adopter un comportement allant à l’encontre de leur conviction sur certaines valeurs », précise-t-il.

En conséquence, Mikhail Zverev et Alistair Way estiment qu’il est plus important que jamais de conserver une approche d’investissement rigoureuse.

« Il est aujourd’hui beaucoup plus difficile de faire abstraction des indices de référence », reconnaît Alistair Way. « Mais cet exercice va potentiellement devenir beaucoup plus important à long terme. C’est dans ce type de circonstances que prendre la bonne décision peut être payant : suivre la foule ou rester fidèle à ses convictions et ne pas changer de cap ».

Alistair Way , Mikhail Zverev Décembre 2020

Notes

[1] ‘OECD Economic Outlook, Interim Report September 2020’, OECD, September 2020

[2] Source : Eikon Datastream

[3] La duration correspond à la durée de vie moyenne pondérée d’une obligation ou d’un portefeuille d’obligations exprimés en années.

[4] Source : Eikon Datastream

[5] Source : Eikon Datastream

[6] Source : Eikon Datastream

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