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Convoitise de l’argent privé, quelle legitimité ?

Il est consternant que nos eurocrates aient la mémoire aussi courte et s’engagent dans des décisions en totale contradiction avec les dispositifs de mutualisation et les réformes institutionnelles nécessaires au sauvetage de la zone Euro.

Nous avons vu dans une première partie que les dispositifs de sauvetages des banques pouvaient conduire à spolier l’épargne privée des actionnaires (SNS Bank) ou celle des déposants (Chypre) ou tout simplement à transférer à la banque centrale de la dette bancaire (IRBC irlandaise)

En principe, comment devrait s’appliquer un plan de sauvetage, ce que l’on appelle en jargon financier le bail-in (cas où la banque se sauve elle-même – enfin façon de parler- en transformant des dettes en capital et en faisant supporter le coût du sauvetage aux actionnaires, créanciers voire déposants)

La bail-in s’oppose ainsi au bail-out (intervention de l’extérieur type banque centrale, état , FESF hier avec participation FMI , MES demain)

Un peu de bon sens loin des élucubrations macroéconomiques. On est tous concerné par notre banque à plus d’un titre et donc concerné par une éventuelle faillite bancaire à plusieurs titres

1. En tant que déposant-épargnant bien sûr.

2. Mais aussi en tant que créancier obligataire si l’on détient des Certificats de dépôt à court terme émis par la banque ou des titres bancaires à plus long terme (obligations senior, BMTN pour bons à moyen terme négociables, EMTN pour Euro Medium term note). On peut détenir ces titres bancaires directement ou indirectement dans nombre d’OPCVM (OPCMN de trésorerie ou de trésorerie dynamique avec des certificats de dépôts bancaire à 3 mois ; OPCVM obligataires avec des titres de dette bancaire à plus long terme…)

3. Et enfin en tant qu’actionnaire (vous possédez des actions bancaires ou avez acheté des titres subordonnés de banque éligibles aux fonds propres de l’établissement). Là aussi, soit vous détenez ces lignes en direct (les TSR pour titre subordonné remboursable qui constituent des quasi-fonds propres pour l’établissement bancaire) soit vous les détenez par le biais de supports de gestion collective (FCP, OPCVM…)

Voilà qui nous conduit à faire un retour aussi pédagogique que possible sur la hiérarchisation des risques vis-à-vis d’un établissement bancaire selon son statut

1. En premier lieu, en cas de difficultés, on va attaquer les fonds propres de base (ce que l’on va appeler dans le jargon Bale 3 le core equity Tier 1) qui seront dépréciés en premier lieu en proportion des pertes et jusqu’au maximum de leur capacité d’absorption. Ici les actionnaires seront directement concernés.

2. Ensuite si les pertes de la banque sont supérieures à ce que peuvent absorber les actionnaires au travers des fonds propres durs, on va alors faire appel aux détenteurs de dettes subordonnées (les quasi-fonds propres que l’on va appeler dans l’environnement règlementaire Bale 3 des fonds propres additionnels de catégorie 1 (Aditionnel Tier 1) et des fonds propres de catégorie 2 Ici seront concernés les créanciers obligataires dits « junior » (cela signifie qu’ils commencent à être touchés par les pertes et défauts lorsque les vrais actionnaires auront déjà été impactés de plein fouet)

3. enfin, si la réduction totale des engagements précédents est insuffisante, les autorités devront déprécier les dettes seniors, de maturité supérieure à 1 mois et les dépôts non couverts par le fonds de garanties (c’est-à-dire au-delà des 100 000 €). Les créanciers seront ici concernés si les pertes sont supérieures à ce qu’auront encaissé d’abord les actionnaires et ensuite les créanciers obligataires juniors ou de dettes obligataires subordonnées.

Il est prévu dans les évolutions institutionnelles que les États veillent à ce que les banques détiennent, à tout moment, un montant cumulé suffisant de fonds propres exprimé en pourcentage du total des passifs qui ne sont pas considérés comme des fonds propres. C’est ce que les « spécialistes » de la réglementation bancaire appellent le ratio LAC (pour loss absorbing capacity). Selon les calculs effectués par la Commission européenne, un niveau de LAC optimal serait de 10% des fonds propres et de 1% des dépôts. Il ne faut pas se faire d’illusions : nombre d’établissements bancaires sont loin de ces cibles.

Tout ceci est fort réconfortant, mais, au fait, que valent réellement nos garanties de déposants ?

Petit retour dans le passé. Aux États Unis, le contexte de faillites bancaires de la Grande Dépression et les spectaculaires « bank runs » ont conduit les autorités à créer en 1933 la Federal Deposit Insurance Corporation, permettant d’assurer jusqu’à 100 000 USD de dépôts à vue. Cette mise en place destinée à rétablir la confiance des épargnants en période de crise aura inspiré la création de nombreux fonds de garantie nationaux des dépôts dans le monde.

Ainsi, le Fonds de garantie des dépôts a été créé en France par la loi du 25 juin 1999 relative à l’épargne et à la sécurité financière. Il est destiné à indemniser les clients en cas de défaillance de leur banque ou de leur organisme financier ayant adhéré à ce fonds. Si par exemple en France votre banque devait après avoir tout essayé faire quand même faillite, vous pourriez théoriquement récupérer tout ou partie de votre argent déposé (officiellement 100 000 € par banque et déposant). En effet, le fonds de garantie des dépôts compense jusqu’à un certain montant les éventuelles pertes des clients déposants de la banque en défaut.

Aujourd’hui, les états membres de l’Union européenne ont leur propre fonds de garantie avec des montants couverts qui peuvent varier d’un pays à l’autre. Des projets d’harmonisation européenne sont à l’étude pour permettre ainsi de mettre un terme à des biais de concurrence « déloyale » entre les banques européennes.

Nous n’avons pas de réel précédent historique en France d’activation de ce fonds de garantie. Néanmoins nous avons l’exemple récent de l’Islande en 2009.

Lorsque les banques islandaises firent faillite, un fonds de garantie fut actionné mais uniquement pour les clients islandais. Cette préférence nationale fut exercée au détriment des clients étrangers de ces banques au rang desquels principalement des clients britanniques et néerlandais, obligeant ainsi les autorités du Royaume-Uni et des Pays-Bas à utiliser leurs Fonds de garantie nationaux pour rembourser leurs ressortissants …

ce n’est rien comprendre à l’économie et à la finance que de sous-estimer les phénomènes psychologiques de mimétisme, de perte de confiance … car la pire des contagions, c’est la contagion psychologique
Mory Doré

Le 29 janvier 2013, l’AELE (Association européenne de libre-échange) a finalement donné raison à Reykjavik dans le dossier qui l’opposait au Royaume-Uni et aux Pays-Bas après la faillite de la banque en ligne Icesave en 2008.

Après avoir remboursé leurs ressortissants respectifs, les gouvernements britannique et néerlandais avaient demandé à l’Islande de les indemniser. Consultés par référendum, les Islandais ont dit non à cette demande, l’Etat n’ayant pas comme rôle d’assumer les pertes d’un établissement privé, quand bien même il s’agirait d’une institution financière.

L’AELE s’est donc rangée derrière l’argumentation islandaise selon laquelle les directives européennes contraignent les États à créer des fonds de garantie des dépôts mais pas à les garantir avec de l’argent public. Attention donc aux conséquences d’une telle jurisprudence au moment ou la création d’un fonds de garantie pan-européen (nous y reviendrons) est à l’étude et au moment ou l’on envisage de taxer dans la cacophonie politique la plus totale les dépôts bancaires à Chypre.

En tout cas pour en revenir à la décision chypriote, on est consterné à double titre

- Premièrement, tout ceci va à l’encontre de la création du fonds paneuropéen de garantie des dépôts

Dans la boîte à outils européenne de nos politiciens, il est prévu un système de garantie européenne des dépôts. On est cependant encore dans un futur lointain qui ne va pas trop engager nos responsables politiques puisque ce système devrait être opérationnel dans …. 10 ans. Les modalités de financement de ce futur fonds de garantie ressemblent à une usine à gaz :

  • D’abord un système national de garantie des dépôts devant représenter, à l’issue de la période de transition de 10 ans, 1,5 % des dépôts éligibles ;
  • Et si cela ne suffit pas pour les banques d’un pays, le système de garantie national pourra emprunter auprès d’autres systèmes nationaux (jusqu’à 0,5 % des dépôts éligibles, remboursé avec intérêts dans les cinq ans)

L’idée est bonne puisque si toutes les ressources des banques (dont vos dépôts mais aussi les emprunts que les banques font sur les marchés) sont assurées, cela veut dire que le système bancaire - qui ne fonctionne plus normalement depuis 2007 - va pouvoir retrouver un régime normal avec des banques qui pourront se refinancer sans difficultés. Ce serait un excellent moyen de faire revenir la confiance.

Bon c’est vrai que l’on doit se poser la question de savoir ou l’on pourrait trouver tout cet argent ….sans endettement supplémentaire des États, ponction des fonds propres des banques ou impression de monnaie de la banque centrale ?

Et c’est au moment ou l’on met en place ces dispositifs assez intelligents que ceux-là même qui en sont à l’origine nous font le coup de la taxe bancaire sur les dépôts… Alors les politiciens de s’exclamer tous en chœur qu’il s’agit d’un cas spécifique ou isolé et que tout ceci n’est pas contagieux.

Oui mais d’abord, les gens en ont marre d’entendre ces discours rassurants qui ne rassurent plus tout. Certains vous diront qu’il faut rassurer car le moteur de la croissance et du progrès ce serait la confiance (confiance en qui, confiance en quoi ?? ). En vérité, le plus important est que la crédibilité des dirigeants soit intacte et elle ne peut pas l’être quand les événements de crise sont systématiquement sous-estimés, occultés et non structurellement traités

Ensuite ce n’est rien comprendre à l’économie et à la finance que de sous-estimer les phénomènes psychologiques de mimétisme, de perte de confiance … car la pire des contagions, c’est la contagion psychologique

Marchés financiers et prophéties auto-réalisatrices.

Ce phénomène correspond au passage brutal d’un équilibre économique et financier à un autre sans justification par les fondamentaux macroéconomiques mais plutot une modification des anticipations des marchés.

On connaît le phénomène de prophéties auto-réalisatrices. Il correspond au passage brutal d’un équilibre économique et financier à un autre, non parce que les fondamentaux de l’environnement macroéconomique le justifieraient mais parce qu’il y a modification - pour de bonnes ou mauvaises raisons - des anticipations des marchés.

On connaît aussi le comportement d’investisseurs ou gérants qui peuvent être confrontés à des besoins de liquidité pour des raisons diverses et variées et qui n’auront peut-être absolument rien à voir avec le choc pseudo ponctuel et pseudo local (respect de ratios réglementaires, seuil d’alerte atteints sur stop loss, anticipations de demandes de cash de la part de clients) et , qui dans l’incapacité de vendre des actifs pourris et peu liquides seront alors forcés de vendre des actifs sains et liquides, accélérant la déconnexion entre le prix de tel actif et sa valeur fondamentale.

- Deuxièmement, une telle décision ne fait que renforcer les risques de « bank run » (fuite des dépôts).

Il n’y a rien de pire que les bank run puisque c’est l’un des risques majeurs de faillite bancaire, le risque d’illiquidité avec l’impossibilité pour la banque de poursuivre son activité de base. Les questions sont alors les suivantes :

  • La banque peut-elle poursuivre une activité de crédit à minima sur son fonds de commerce traditionnel ?
  • La banque peut-elle faire face à une fuite d’une partie de ses dépôts à vue pourtant considérés comme de la ressource stable et pérenne ?
  • La banque peut-elle mobiliser sa réserve de titres liquides, y compris dans des situations de marché perturbées ?
  • La banque peut-elle continuer à se refinancer facilement ?
    • auprès des marchés en mobilisant facilement du collatéral. Par exemple des créances hypothécaires et des créances aux collectivités adossées à ses émissions d’obligations sécurisées, les fameux covered bonds
    • ou auprès de la banque centrale, ce qui suppose de pouvoir évaluer là aussi la richesse du collatéral mobilisable (titres et créances privées éligibles aux appels d’offres BCE…)

Pour n’avoir pu ou su répondre à ces questions, certains établissements n’ont pu survivre – en tout cas sous la forme sous laquelle ils avaient fondé leur prétendu business model- Et au-delà de la faillite de Lehamn Brothers en 2008, on se souviendra à cette époque (pas si lointaine) de deux cas récents de faillite bancaire pour cause de « bank run ». Au Royaume Uni précisément.

  • Tout commence avec la banque Northern Rock, spécialiste du crédit immobilier, qui refinançait ses activités sur le marché de la titrisation. La fermeture de ce marché durant l’été 2007 (plus d’investisseurs sur des obligations titrisées) ainsi que la faiblesse des dépôts de la banque vont conduire à une crise de liquidité (qui s’amplifiera en septembre 2007 avec un bank run). L’État britannique nationalisera la banque en février 2008.
  • En pleine tourmente Lehman, Bradford and Bingley sera également nationalisé fin septembre 2008 compte tenu de l’impossibilité pour cette institution de continuer à fonctionner. La crise de liquidité que connaît la banque va se transformer en crise de solvabilité selon un mécanisme désormais bien connu : vente d’actifs à perte pour récupérer de la liquidité, donc destruction de fonds propres ; dégradation de la solvabilité, perte de la confiance des marchés et des déposants et aggravation de la crise de liquidité.

Il est en tout cas tout simplement consternant que nos eurocrates aient la mémoire aussi courte et s’engagent dans des décisions en totale contradiction avec les dispositifs de mutualisation et les réformes institutionnelles nécessaires au sauvetage de la zone Euro.

Mory Doré Mars 2013

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