En 2023, la Chine a connu un recul historique des Investissements Directs Etrangers (IDE), atteignant leur niveau le plus bas, ce qui a suscité des préoccupations quant à l’avenir de son économie. Ce déclin peut être attribué à plusieurs changements structurels, tels que les tensions accrues avec les États-Unis, la diversification des risques dans les chaînes d’approvisionnement, ainsi qu’à une série de mesures réglementaires menées par les autorités chinoises en 2021. Pour saisir l’ampleur de la chute, qui a vu l’IDE tomber de 2% de PIB à seulement 0.2% en l’espace de deux années, il est essentiel de considérer une série de facteurs conjoncturels défavorables : une reprise économique post-pandémique décevante, une augmentation des coûts de financement, et une baisse des bénéfices limitant les réinvestissements des entreprises étrangères (inclus dans l’IDE). Bien qu’une amélioration des conditions conjoncturelles pourrait remonter légèrement l’IDE, un retour aux niveaux d’il y a 5 ou 10 ans paraît peu probable.
Cette situation n’est pas nécessairement nuisible à l’économie chinoise ; elle reflète plutôt une évolution conforme au développement économique du pays. Historiquement, les pays à faible revenu, caractérisés par une main d’œuvre abondante et un capital limité, dépendent des investissements directs pour progresser vers un statut à revenu intermédiaire ou élevé. Ces investissements favorisent l’acquisition de compétences, l’augmentation des salaires, et le transfert de technologies et de savoir-faire, stimulant ainsi la productivité et la croissance économique. La Chine, ayant bénéficié de cette dynamique qui lui a permis par deux fois (1999 et 2010) de grimper dans l’échelle des revenus [1], a vu sa dépendance aux IDE diminuer naturellement avec l’augmentation de son revenu.
Depuis 1999, la Chine est devenue de surcroit un créancier net vis-à-vis du reste du monde, ce qui signifie d’une part qu’elle a encore moins besoin d’investissement en provenance de l’étranger et d’autre part que l’épargne qui n’est pas allouée aux investissements domestiques est investie à l’étranger. Ce changement de cap est illustré dans la dynamique des IDE avec, pour la première fois en dix ans, des entreprises chinoises investissant plus à l’extérieur que les entreprises étrangères en Chine.
En parallèle, d’autres économies ayant connu des trajectoires de développement similaires, telles que la Corée du Sud, offrent un miroir intéressant. La Corée, avec un revenu par habitant similaire à celui de la Chine actuelle en 2002, a vu ses IDE entrants diminuer depuis 1998, tandis que ses investissements à l’étranger augmentaient, illustrant un modèle de croissance où les nations avancées cherchent des opportunités au-delà de leurs frontières, souvent en réponse à des défis démographiques. Comme la Corée, la Chine fait face à une population vieillissante et dispose de technologies avancées et de capitaux, l’incitant à investir dans des économies voisines pour profiter de démographies plus jeunes et de coûts de main-d’œuvre plus bas. Plus de 60% par exemple des investissements directs au Laos et au Cambodge proviennent de Chine. Les droits de douane imposés par les États-Unis sur les produits chinois encouragent cette tendance, en poussant les entreprises chinoises à délocaliser une partie de leur production. Ainsi, les investissements vers le Vietnam et le Mexique ont connu une croissance spectaculaire entre 2018 et 2022, s’accroissant de plus du double par rapport aux cinq années antérieures. Cette dynamique a joué un rôle clé dans l’augmentation impressionnante des exportations de ces deux pays vers les États-Unis. Ironiquement, bien que le Mexique ait détrôné la Chine en tant que premier partenaire commercial des Etats-Unis, ce succès repose sur des produits chinois.
En conclusion, bien que la chute des Investissements Directs Etrangers en Chine puisse préoccuper, elle est largement compensée par les bénéfices tirés de l’accroissement des investissements chinois à l’étranger. Cette stratégie de délocalisation, visant à bénéficier de coûts de main-d’œuvre avantageux et à contourner les tarifs américains, est très profitable pour les entreprises chinoises. Toutefois, pour avoir un impact maximum sur l’économie, il faudrait que ces profits puissent être rapatriés sans les restrictions imposées par le contrôle des capitaux. L’ouverture du compte en capital demeure le prochain chantier majeur auquel la Chine doit s’attaquer si elle souhaite toujours avoir une place de choix dans l’économie mondiale.