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Emprunts d’Etat à valeur refuge, les investisseurs sont-ils leurrés par une illusion de sécurité ?

Selon Tom Higgins, stratégiste global macro chez Standish, il ressort des modèles économétriques que les rendements des bons du Trésor américains et des emprunts d’Etat allemands sont nettement en-deçà des niveaux préconisés par les indicateurs fondamentaux.

Tom Higgins, stratégiste global macro chez Standish, craint que les investisseurs puissent être leurrés par une illusion de sécurité en investissant dans des emprunts d’Etat à valeur refuge. Selon lui, il ressort des modèles économétriques de Standish que les rendements des bons du Trésor américains et des emprunts d’Etat allemands sont nettement en-deçà des niveaux préconisés par les indicateurs fondamentaux.

L’analyse de ce gérant obligataire suggère que les craintes d’un effondrement de la zone euro pourraient être à l’origine d’une contraction d’au moins 100 points de base (pb) des taux de rendement des bons du Trésor américains à 10 ans. Par conséquent, nous pourrions assister à une vive inversion des flux d’investissement sur les valeurs refuges ainsi qu’une hausse des rendements des bons du Trésor américains en cas de dissipation des tensions sur les marchés financiers.

« Il est toujours recommandé de se désaltérer dans la rivière en amont du troupeau » - proverbe cowboy

Les rendements des emprunts d’Etat aux Etats-Unis, en Allemagne et dans d’autres pays développés sont proches de leurs points bas historiques, les investisseurs cherchant un refuge face à la volatilité des marchés financiers. En effet, au début du mois de juin, les rendements des bons du Trésor américains à 10 ans ont chuté à 1,45%, contre 1,17% en Allemagne pour les Bunds de même maturité, avant de se redresser très légèrement (voir graphique n°1). L’essentiel des flux d’investissement vers ces marchés à valeur refuge s’explique par la détérioration de la crise souveraine et bancaire au sein de la zone euro. Plus récemment, les craintes relatives à la vigueur de l’économie mondiale ont également contribué à la baisse des taux d’intérêt.

La question qui se pose dès lors est de savoir à quel point ces actifs, auxquels les investisseurs attribuent une valeur refuge, sont réellement aussi sûrs. Selon nous, le risque de perte est probablement très limité pour les investisseurs qui envisagent une approche « buy and hold » (de conservation) sur des Bons du Trésor ou des Bunds et de les détenir jusqu’à maturité, compte tenu du faible risque de défaut des Etats-Unis ou de l’Allemagne. Pourtant, si les anticipations inflationnistes des marchés sont correctes, ces investisseurs pourraient être pénalisés par des rendements réels négatifs pendant plusieurs années. En effet, le point mort de l’inflation à 10 ans intégré dans les bons du Trésor américains indexés sur l’inflation (TIPS) reste supérieur à 2% [1].

En revanche, les investisseurs qui cherchent uniquement à se réfugier temporairement sur les emprunts d’Etat à long terme, les rendements étant supérieurs à ceux du monétaire, devraient prendre garde, et ce, pour au moins trois raisons. Premièrement, à ce stade, les taux d’intérêt ont potentiellement plus de chances d’augmenter que de baisser compte tenu de leurs niveaux actuels proches de zéro. Deuxièmement, les fondamentaux économiques laissent penser que la juste valeur des taux de rendement des obligations américaines et allemandes est nettement supérieure aux niveaux actuels. Troisièmement, la chute des taux d’intérêt aux Etats-Unis et en Allemagne depuis le milieu du mois de mars a été rapide, augmentant le risque d’un retournement abrupt des taux si les dirigeants européens parviennent à prendre des mesures décisives pour empêcher un effondrement de la zone euro. La décision d’octroyer un plan de sauvetage de 125 milliards EUR aux banques espagnoles va clairement dans ce sens. Par conséquent, nous craignons que les investisseurs n’aient été leurrés par une illusion de sécurité en investissant dans ces marchés d’emprunts d’Etat à valeur refuge.

Les inquiétudes à l’épreuve des fondamentaux

Les modèles économétriques de Standish suggèrent que les taux de rendement des emprunts d’Etat américains et allemands sont nettement en-deçà des niveaux préconisés par les indicateurs fondamentaux, notamment l’activité économique, l’inflation, la masse monétaire, la politique des banques centrales et les flux d’investissement étrangers.

En effet, d’après nos modèles, sur la base de ces fondamentaux la juste valeur des rendements des bons du Trésor américains à 10 ans se situe davantage autour de 3,5%, et de 2,4% pour les emprunts d’Etat allemands à 10 ans. Dans ces deux cas, la juste valeur mesurée par nos modèles est près de deux fois supérieure aux niveaux actuels des taux d’intérêt.

L’essentiel de cet écart entre la juste valeur et le niveau actuel des rendements des emprunts d’Etat s’explique par le mouvement de repli vers la sécurité des investisseurs face au risque d’un effondrement de la zone euro.

Comme indiqué ci-dessus, l’essentiel de cet écart entre la juste valeur et le niveau actuel des rendements des emprunts d’Etat s’explique par le mouvement de repli vers la sécurité des investisseurs face au risque d’un effondrement de la zone euro. Afin de capturer cet impact, nous avons intégré dans notre analyse le spread entre les rendements des obligations à long terme allemandes et italiennes afin d’illustrer les tensions financières qui touchent actuellement la zone euro (voir graphique n°2). Il ressort de notre analyse que toute hausse d’un point de pourcentage de ce spread au-delà de 2% se traduit par une baisse d’environ 40pb des rendements des bons du Trésor américains à 10 ans. Lorsque le spread entre les obligations italiennes et allemandes à 10 ans a atteint 4,5% au début du mois de juin, notre analyse suggère que le mouvement de repli vers la sécurité des investisseurs s’est traduit par une baisse de 100pb des rendements des obligations américaines à 10 ans. Par conséquent, toute chose égale par ailleurs, les taux de rendement des obligations américaines à 10 ans auraient été plus proches de 2,5% début juin, contre 1,5% en pratique, si les investisseurs n’avaient pas été préoccupés par la situation de la zone euro.

Cependant, même à un niveau de 2,5%, les rendements des bons du Trésor semblent encore surévalués par rapport aux fondamentaux. Par conséquent, les taux de rendement sont très probablement affectés par d’autres facteurs. Le principal responsable est de toute évidence la politique d’assouplissement quantitatif (QE) menée par la Réserve Fédérale. Plusieurs études académiques ont tenté de quantifier cet effet. Notre propre analyse interne suggère que pour chaque tranche de 1 milliard USD d’achats de bons du Trésor par la Fed, le rendement des obligations à 10 ans chute de 3pb, cette analyse étant conforme dans l’ensemble aux estimations de la Fed. Une récente étude de la Fed sur ce sujet montre que les deux premiers QE associés au programme d’extension de maturité (Opération Twist) de la banque centrale américaine se sont traduits par une baisse d’environ 100pb des rendements à 10 ans [2].

La demande d’actifs à valeur refuge pourrait dépasser l’offre Selon nous, le reste de l’écart entre la juste valeur implicitement déduite des fondamentaux et le niveau actuel des rendements des bons du Trésor procède d’une combinaison d’autres facteurs plus difficilement quantifiables : le désendettement des ménages, une raréfaction des actifs de haute qualité et un durcissement de la réglementation au sein du secteur financier. L’effet combiné de ces facteurs représente probablement 50 à 75pb supplémentaires en moins sur les rendements des bons du Trésor américains à 10 ans.

Les ménages américains ont réalisé des progrès significatifs dans la reconstruction de leurs bilans depuis l’éclatement de la crise financière mondiale de 2008. La dette des ménages rapportée aux revenus disponibles a chuté de 129% au deuxième trimestre 2008 à 115% au premier trimestre 2012 [3]. Ce processus de désendettement s’est fait au détriment de la croissance économique, comme le montre le rythme inférieur à la moyenne de la reprise économique durant le présent cycle par rapport aux cycles expansionnistes précédents. Une croissance inférieure à la moyenne se traduit généralement par de la désinflation, pénalisant les taux d’intérêt.

Parallèlement, la quantité d’actifs de haute qualité n’a cessé de diminuer, limitant la possibilité pour les investisseurs de se replier vers la sécurité de ces actifs pendant des périodes de tensions sur les marchés financiers. Depuis le début de la crise financière mondiale, la dette souveraine de plusieurs pays développés a perdu de son attrait du fait de la détérioration de la situation budgétaire et de la notation de crédit de ces pays. Selon le Fonds Monétaire International, la dette publique brute des pays développés est passée en moyenne de 74% du PIB en 2007 à 107% du PIB en 2012. Par conséquent, il n’est guère étonnant de noter que 68% des pays développés étaient notés AAA à la fin 2007, contre à peine 52% au début de l’année 2012 [4].

En analysant les CDS sur la dette d’un pays, il est possible de savoir si les investisseurs considèrent ce pays comme une valeur refuge. Les spreads des CDS souverains mesurent le coût de l’assurance des obligations d’un pays contre un défaut. Les CDS à cinq ans aux Etats-Unis se situent actuellement à 50 pb contre près de 100 pb en Allemagne. Chacun de ces pays a été la cible du mouvement de repli vers la sécurité des investisseurs.

En revanche, les pays dont les spreads des CDS à 5 ans sont supérieurs à 200 pb n’ont guère de chance d’attirer les investisseurs en quête de sécurité, dans la mesure où ils sont considérés comme plus risqués. Les spreads des CDS pour la France, la Belgique, l’Italie et l’Espagne se situent largement au-dessus de ce seuil. Si l’on écarte de l’univers des actifs sans risque, les émissions des pays dont les spreads des CDS à 5 ans sont supérieurs à 200 pb, cela revient à retirer 8 100 milliards USD de cet univers, soit environ 16% de l’offre totale de dette émise par des pays développés en 2012 [5].

On peut en conclure que nous sommes confrontés à une pénurie d’actifs de haute qualité au moment même où la demande pour ces actifs ne cesse d’augmenter dans le sillage du durcissement de la réglementation financière. Les exigences imposées par Bâle III et notamment le nouveau ratio de couverture des besoins de liquidité (LCR) pourrait à lui seul se traduire par une hausse de près de 2 000 milliards USD à 4 000 milliards USD de la demande d’actifs à valeur refuge à travers le monde, à moins que les banques ne parviennent à modifier la structure de leur passif afin de réduire leurs besoins de liquidité [6]. Le LCR exclut les actifs de moindre qualité car les banques ne sont pas capables de les vendre ou sont contraintes d’accepter d’importantes réductions de dette susceptibles de remettre en cause leur solvabilité durant les périodes de tensions sur les marchés.

Nous craignons que les bons du Trésor américains ou les Bunds allemands ne puissent être en fait nettement plus risqués que les investisseurs ne semblent le penser, compte tenu de l’impact potentiel d’une inversion du mouvement de repli vers la sécurité.

Le calme avant la tempête

L’interaction de l’ensemble des facteurs qui affectent les rendements des emprunts d’Etat américains et allemands est telle qu’il est difficile de distinguer leur impact individuel. Par exemple, les achats de bons du Trésor par la Fed contribuent à la raréfaction des actifs de haute qualité sur les marchés financiers internationaux. Néanmoins, il nous paraît important de tenter de quantifier les effets de la demande liée au mouvement de repli vers la sécurité ou des achats de la Fed, dans la mesure où ces facteurs prennent actuellement le pas sur les fondamentaux au sein des marchés.

Nous craignons que les bons du Trésor américains ou les Bunds allemands ne puissent être en fait nettement plus risqués que les investisseurs ne semblent le penser, compte tenu de l’impact potentiel d’une inversion du mouvement de repli vers la sécurité. De nouveaux progrès vers une résolution de la crise en Europe pourraient déclencher une hausse des rendements obligataires, se traduisant par des pertes en mark-to-market pour les investisseurs cherchant simplement une alternative plus rémunératrice au monétaire. Le risque d’une telle reprise pourrait être supérieur en Allemagne, dans la mesure où toute solution à la crise européenne impliquera probablement une forme de transfert budgétaire des principaux pays de la région vers les Etats périphériques, soit sous la forme d’émissions communes et répétées d’eurobonds soit via de nouveaux plans de sauvetage.

Selon nous, le désendettement des ménages, le durcissement des réglementations et la pénurie d’actifs de haute qualité contribueront à limiter le potentiel d’appréciation des rendements des emprunts d’Etat pendant encore plusieurs années.

Cela étant dit, les fondamentaux économiques actuels ne laissent pas, selon nous, présager d’une forte hausse des taux d’intérêt aux Etats-Unis ou en Allemagne. De surcroît, le désendettement des ménages, le durcissement des réglementations et la pénurie d’actifs de haute qualité contribueront à limiter le potentiel d’appréciation des rendements des emprunts d’Etat pendant encore plusieurs années. Ainsi, nous ne pensons pas que les taux d’intérêt atteindront avant longtemps la juste valeur de 3% sous-entendue par les fondamentaux économiques.

Thomas D. Higgins Août 2012

Notes

[1] Bloomberg au 5 juin 2012.

[2] Canlin Li et Min Wei, « Term Structure Modeling with Supply Factors and the Federal Reserve’s Large Scale Asset Purchase Programs, » Finance and Economics Discussion Series (Washington : Directoire de la Réserve Fédérale) au 30 mai 2012.

[3] « Flow of Funds Accounts of the United States : First Quarter 2012, » Réserve Fédérale, 7 juin 2012.

[4] « Global Financial Stability Report : The Quest for Lasting Stability, » Fonds Monétaire International, avril 2012, p. 105.

[5] voir également., p. 108.

[6] voir également., p.100

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