Le trading algorithmique connaît une expansion majeure, qui suscite quelques craintes. Quelle est votre analyse ?
Sur le London Stock Exchange, le trading algo couvre désormais entre 60 et 70% du nombre d’ordres envoyés tous les jours. C’est effectivement une forte progression, mais cela reste une progression arithmétique. D’ailleurs, la donnée pertinente est celle des volumes traités, or cette progression concerne surtout le nombre d’ordres envoyés en bourse, et sur 20 ordres, 19 ne sont pas exécutés ; sans oublier que ces ordres ont plutôt tendance à être de petite taille, il s’agit rarement de gros blocs. Mais effectivement, d’une manière générale, le gros de ce qui se traite aujourd’hui sur les marchés actions passe par des algorithmes.
Des observateurs estiment que cela ne peut que favoriser les fraudes...
Les risques de fraude, je ne m’en inquiète pas plus que cela. Pour une simple et bonne raison : pour faire de l’algo à grande échelle, et donc organiser une fraude grave, il faut des moyens informatiques conséquents, des moyens qui sont réservés aux grandes banques. Et les grandes banques seront les dernières à aller frauder sur les marchés. Le Crédit Suisse, par exemple, qui essaierait de manipuler les marchés pour faire bénéficier ses propres traders, c’est un mythe, ça n’existe pas, personne ne fait ça.
D’où viennent ces craintes si elles sont infondées ?
Disons qu’il y a tout un contexte, avec des brokers indépendants auxquels ça arrange bien de raconter que les banques agissent de façon biaisée, qu’elles ne vont pas forcément bien servir leurs clients, avec toute l’intégrité nécessaire. Mais dans la réalité, ça ne se passe pas comme ça. Depuis dix ans que je travaille à Londres, j’ai collaboré avec quasiment toutes les banques de la City, soit 50 ou 60 institutions financières, et dans la pratique, je peux affirmer que les professionnels ne trichent pas, en tout cas je ne l’ai pas vu.
L’autre inquiétude liée au succès du trading automatique, c’est celui d’un bug informatique, comme ceux qu’a connus ces dernières années le London Stock Exchange...
Le trading algorithmique n’est pas quelque chose de nouveau, cela existait déjà il y a dix ans. Mais il est vrai que la proportion n’a fait qu’augmenter depuis dix ans, et que les incidents se sont multipliés ces deux dernières années. Cela est dû à deux facteurs : le premier, c’est la forte compétition entre les bourses, ce qui n’était pas le cas avant. Le London Stock Exchange ou Euronext ont dû faire face à des opérateurs alternatifs tels que Turquoise, Chi-X ou OMX. Le second facteur, c’est la « course aux armements » visant à la réduction du temps de latence. Avec les algos, la liquidité est de moins en moins apparente, on ne voit que la surface sur les marchés, et tout repose donc sur la rapidité quand les informations apparaissent sur une bourse ou sur plusieurs bourses en même temps.
Comment les plateformes d’échange ont-elles réagi ?
Pour être compétitives, elles ont dû changer leurs infrastructures, en permettant aux sociétés de trading d’être physiquement hébergées dans leurs locaux, en éliminant toutes les couches - réseaux, matériels et parfois logiciels - qu’il y avait entre les membres et les centrales de négociation. Ces couches rendaient impossible pour un seul membre de crasher une bourse. C’était comme un entonnoir : seul un volume limité pouvait en sortir au final.
Mais le côté limité de cet entonnoir, qui ralentissait la performance des bourses, a été éliminé pour permettre de se mettre au niveau de la concurrence. Les risques liés au trading algorithmique ne sont donc pas tellement liés à des questions de fraude ou de bug. Comme cela arrive souvent, le marché a avancé plus vite que le régulateur, et les plateformes ont été prises entre deux impératifs : celui de promouvoir l’accès à leur moteur de cotation en y invitant un maximum de traders, et celui de pouvoir absorber la totalité des ordres. La solution : mettre en place des systèmes d’entonnoir plus performant, avec des coupe-circuit en cas de volumes excessifs. Mais cela est délicat : le LSE pourrait s’imposer ses propres limites, mais le risque serait de voir le volume migrer vers d’autres plateformes.