Alors que nous abordons une nouvelle année, une des questions les plus importantes que nous nous posons est la suivante : combien de temps encore le marché va-t-il suivre la tendance actuelle ? Malheureusement, les changements de régimes nécessitent souvent un certain recul pour pouvoir être confirmés - si nous savions avec certitude, nous pourrions faire sauter la banque ! Cependant depuis quelques mois, le marché commence à donner des signaux à ne pas négliger. A tout le moins, il serait imprudent de faire preuve d’un excès d’optimisme quant à ce qui pourrait se passer ensuite.
Les marchés ont été inhabituellement stables
De nombreux indices actions ont atteint des records et la volatilité de ces indices a été inhabituellement basse pendant une grande partie de l’année passée. La dynamique interne du marché raconte cependant une toute autre histoire. Par exemple, les indices Turbulences de State Street sont à l’heure actuelle à des sommets [1]. Cela laisse supposer que les mouvements entre classes d’actifs sont différents des schémas habituels. Il est prouvé que les périodes de turbulence excessive coïncident souvent avec "une aversion au risque excessive, de l’illiquidité et une baisse des actifs risqués" [2] . Dès lors, lorsque les niveaux de ces indices sont élevés, il semble judicieux pour les investisseurs de commencer à penser à abaisser leur risque.
Une autre dynamique à laquelle nous prêtons une grande attention est la différence de valorisation entre les valeurs growth et value*. Les valeurs de croissance ont été ces derniers temps les principaux facteurs de performance du marché, tandis que les actions value ont chuté, mais nous avons détecté quelques signes avant-coureurs indiquant une inversion de ce schéma. Or un retournement de tendance au profit des actions value et au détriment des valeurs growth est un phénomène qu’on constate régulièrement peu avant une crise financière (comme par exemple lors des toutes dernières étapes de la bulle des valeurs technologiques, lorsque ces dernières connaissaient une valorisation très élevée).
Avidité versus nécessité
D’autres signaux montrent que le risque pourrait augmenter sur les marchés : la fièvre spéculative autour du Bitcoin, par exemple, et les récents excès sur le marché de l’art, avec notamment la vente pour 450 millions de dollars d’un tableau qui pourrait être ou ne pas être l’œuvre de Léonard de Vinci.
Toutefois, cette fin de cycle est assez unique, « l’avidité » n’a joué qu’un rôle mineur au profit d’un phénomène créé par des années d’injection de liquidités par les banques centrales : la nécessité.
Pendant des années, les fonds de pensions ont été forcés de trouver des actifs présentant les caractéristiques des obligations et auxquels ils pouvaient faire correspondre leur passif à long terme. De même, les ETFs et les fonds indiciels ont dû acheter des actifs peu importe leur prix étant donné que les investisseurs s’étaient massivement tournés vers eux. Selon moi, la "nécessité" a un rôle fondamental dans le comportement adopté par les marchés. Contrairement à "l’avidité" qui implique un choix délibéré d’investissement, la "nécessité" aboutit toujours à une transaction. C’est pour moi la réelle source de fragilité du marché actuel. La Réserve Fédérale et les banques centrales européenne et britannique commencent à retirer leur soutien au marché après des années de politique monétaire accommodante et de taux bas, ça n’est donc plus qu’une question de temps avant que cette fragilité ne se matérialise.
Bien qu’il nous soit impossible de prédire à coup sûr un changement de régime sur le marché, nous pensons qu’il faut rester conscient que cette possibilité peut être nécessaire. Parier contre un marché en fin de cycle est intrinsèquement douloureux dans la mesure où il s’agit d’une période d’excès, avec des valorisations reflétant des attentes déraisonnables. Dans ce contexte, notre stratégie est d’aller à "contre-courant" de la tendance dominante des marchés, en prenant des positions de tailles modestes, et face à de nouvelles informations sur telle ou telle valeur, en opérant à des mouvements progressifs, plutôt que radicaux. Nous pensons que cela peut nous permettre d’éviter toute sous ou sur-réaction face au changement. Cela veut aussi dire que nous revérifions continuellement la pertinence de nos positions, sous-pesant soigneusement la valeur de toutes nos informations, anciennes ou nouvelles. Enfin, selon nous, plus les autres participants du marché prendront conscience du risque, plus cela devrait être bénéfique pour notre stratégie.