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Immobilier d’entreprise : La sortie de crise n’est pas pour Demain

L’ampleur des opérations de titrisation réalisées depuis le début de la décennie ont brouillé les cartes et dilué l’implication relative de chaque partie prenante dans leur débouclement...

Selon Philippe Couturier, Président de Constructa Asset Management, la sortie de crise dans le secteur de l’immobilier d’entreprise n’est pas pour demain. Explications...

Les dernières nouvelles donnent des raisons d’espérer : retour du crédit parmi les banques hypothécaires allemandes, rebond de la bourse qui permet aux investisseurs de se repositionner sur l’immobilier pour stabiliser leur allocation d’actifs, amélioration des indicateurs conjoncturels...

Pour plusieurs raisons, les flux d’investissement commencent à se réorienter à pas comptés vers l’immobilier de bureaux, dégrippant un marché sclérosé par une année d’un attentisme unanime.
Retour à la normale ? Pas plus que les hirondelles ne font le printemps, ce retour progressif des investissements ne présage pas d’une sortie de crise. Car cette reconstitution des flux d’investissement cache des fondamentaux résolument en berne.

La cause de ce marasme ? Les rendements restent durablement plombés par la torpeur du marché locatif. Explications. La crise économique fragilise un grand nombre d’entreprises, dont elle bride la visibilité, voire menace jusqu’à la survie. Résultat, la priorité est à la réduction du coût moyen de chaque poste de travail, le bureau étant perçu comme une source de charges plus que comme un outil de travail. Dans ce contexte, la vacance locative devrait augmenter, sur fond de renégociations en masse (allongement de la durée des baux en échange de franchises ou de prise en charges de travaux...). Et la progression du chômage ne présage pas d’une embellie de la demande de surfaces dans un futur proche.

Voilà pourquoi les rendements ne pourront que se tasser à moyen terme. La stabilité des valeurs locatives faciales, ostensiblement affichée par les bailleurs, est donc de pure façade, artificiellement maintenue dans le seul but d’éviter les pressions sur les valeurs vénales et de préserver un semblant de liquidité pour les biens concernés. Mais cet exercice ne pourra pas durer éternellement et les valeurs affichées devront tôt ou tard refléter les décotes et les négociations en cours. Une nécessité d’autant plus impérieuse que les indices servant de référence à l’indexation des loyers, facteur de soutien il y a peu, se sont retournés en début d’année, entraînant les rendements à la baisse.

Dans ces conditions, le frémissement du marché constaté depuis quelques mois ne concerne qu’une classe d’actif bien spécifique : des actifs « core » situés dans les zones privilégiées, et présentant des baux à long terme, gage a priori de flux sécurisés. Il s’agit d’investissements « défensifs ». Le reste, qui représente l’écrasante majorité du marché, paye encore pour les erreurs du passé. Ce retour très sélectif des investisseurs crée donc un marché à deux vitesses, dont la bipolarisation obère toute perspective de sortie de crise durable. Les bailleurs sont désormais à nus. Braqués sur les seuls indicateurs financiers au détriment de la réalité économique de leurs investissements, ils ont profité pendant plusieurs années de leviers bancaires historiquement élevés pour investir à tour de bras, décorrélant durablement le marché de ses fondamentaux. En ont découlé de nombreux abus : acquisitions à des prix excessifs au mètre carré, investissements effectués en dépit de toute rationalité économique, création de friches de bureaux dans des zones excentrées... Aujourd’hui, tout l’enjeu est de résorber ces excès. Comment ? En retravaillant les actifs. Les moyens sont nombreux : segmentation des offres, mise en place de méthodes d’incitations locatives, redécoupage des surfaces, requalification en résidences de services ou en logements... Ce retour souhaitable de la valeur travail dans l’investissement immobilier est la seule façon de reconstituer leur valeur locative perdue et donc, de recréer un marché secondaire. C’est la revanche du concret, de l’opérationnel, du terrain, sur les excès de la financiarisation des années 2000.

Reste que cette normalisation du marché prendra du temps. Cinq années avaient été nécessaires pour amorcer un nouveau cycle haussier après la crise de 1991-92. Cinq années, donc, pour déboucler les opérations perdantes les plus lourdes et assainir le marché. Mais c’était il y a bien longtemps, à une époque où les responsabilités de chacun étaient clairement identifiées. Aujourd’hui, la donne a changé. Le nombre et l’ampleur des opérations de titrisation réalisées depuis le début de la décennie ont brouillé les cartes et dilué l’implication relative de chaque partie prenante dans leur débouclement. Ils ont même créé des conflits d’intérêts entre les investisseurs des tranches seniors, dont l’intérêt porte sur un débouclage le plus rapide possible, et leurs homologues collés sur les tranches les plus juniors, qui ont tout à perdre d’une vente à une valeur décotée qui les concernerait en premier lieu. En attendant, les fonds ainsi bloqués ne peuvent dès lors pas être alloués pour financer d’autres investissements. Embourbé dans un mode de fonctionnement dont la jurisprudence se construit au quotidien, le FCT, sorte de copropriété financière, bride par un processus décisionnel complexe toute velléité de revalorisation des actifs sous-jacents, bloquant de facto une reprise éventuelle du marché. Qui commence, là aussi, par le travail du sous-jacent, c’est-à-dire l’actif immobilier. La sortie de crise n’est décidemment pas pour demain.

Titrisation : rappel de quelques notions...  [1]

Philippe Couturier Janvier 2010

Notes

[1] Lors d’une opération de titrisation, des créances (ici immobilières) sont acquises, puis assemblées au sein d’un même véhicule, appelé Fonds commun de titrisation (FCT), qui se refinance à son tour en émettant des titres de créance négociables. Ces derniers sont segmentés en plusieurs tranches de titres, en fonction des risques acceptés par les investisseurs : les tranches sont d’autant mieux rémunérées que le risque assumé est élevé. Elles s’échelonnent ainsi de la tranche super senior, la plus sure, à la tranche junior, la plus exposée au risque. Or ce sont justement ces dernières qui sont en première ligne de l’augmentation des défauts sur les créances sous-jacentes constatée depuis le début de la crise.

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