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Inflation : quelle trajectoire après le pic ?

Dans le contexte d’inflation exceptionnelle que nous connaissons actuellement, les incertitudes devraient rester élevées dans les prochains trimestres, en particulier concernant la trajectoire que suivront les prix une fois le pic atteint. Explications de Martin van Vliet, Stratégiste au sein de l’équipe Global Macro.

  • La réduction des goulets d’étranglement dans les chaînes d’approvisionnement a temporairement pris fin
  • Le risque de spirale des prix et des salaires est plus faible dans la zone euro, mais les pressions augmentent
  • Transition énergétique : de la « climateflation » et de la « greenflation » à la « fossilflation »

L’inflation fait l’objet de vifs débats depuis le début de la pandémie de Covid-19. La simultanéité des chocs de l’offre, des politiques de relance budgétaire et monétaire inédites et d’un contexte géopolitique tendu a provoqué des poussées d’inflation historiques. Pour mieux comprendre les tendances cycliques et à long terme qui sous-tendent ces hausses de prix, nous avons récemment organisé la deuxième édition de notre Journée annuelle de l’inflation.

Les discussions ont porté sur quatre thèmes :
1. Les perturbations dans les chaînes d’approvisionnement
2. Les liens entre salaires et inflation
3. La mondialisation et la démondialisation
4. Les effets inflationnistes de la transition énergétique

Nous avons invité des spécialistes externes pour aborder ces questions plus en détail [1], et cet article résume les principaux messages à retenir. Notre conclusion générale est que si l’inflation globale a peut-être atteint un pic aux États-Unis, ce n’est pas forcément encore le cas dans la zone euro et au Royaume-Uni. De plus, la décrue après le pic pourrait être lente et même prendre la forme d’un plateau dans un premier temps, ce qui n’apaiserait pas les inquiétudes des banques centrales quant à l’augmentation constante des salaires et des anticipations d’inflation. Cela signifie aussi que les incertitudes concernant l’inflation, et en particulier le niveau qu’elle va atteindre, devraient rester élevées dans les prochains trimestres.

Pour savoir comment nous envisageons de naviguer sur les marchés obligataires dans ce contexte d’inflation élevée, consultez notre dernier Central Bank Watcher ou écoutez notre nouveau podcast sur ce thème. À la mi-juin, nous publierons également les dernières perspectives trimestrielles de l’équipe Global Macro, dans lesquelles nous expliquons comment l’inflation et les politiques des banques centrales influencent nos décisions de portefeuille en matière de duration, de taux de change et d’allocation d’actifs obligataires. Gardez l’œil ouvert !

Perturbations dans les chaînes d’approvisionnement et inflation

Depuis deux ans, les perturbations dans les chaînes d’approvisionnement mondiales dues à la pandémie exercent des pressions à la hausse sur l’inflation, en particulier sur les prix des produits. Nous avons noté durant nos discussions que ces interruptions avaient atteint un pic en octobre 2021 mais que la réduction des goulets d’étranglement a cessé depuis mars 2022. Les principales raisons à cela étant une baisse de la production de semi-conducteurs en Chine (-12 % en mars, en glissement mensuel), à cause des restrictions liées au Covid-19, et une pénurie de câbles automobiles en Europe due à la guerre en Ukraine. Il est probable que la guerre et les sanctions prises à l’encontre de la Russie, qui pèsent sur les livraisons d’intrants essentiels tels que les engrais et les céréales, amplifieront l’envolée des prix des aliments dans le monde.

Dans le même temps, la congestion des ports s’est poursuivie. Entre juin et octobre 2021, des files d’attente de navires se sont formées dans des ports tels que Los Angeles et Long Beach. Ces engorgements ont été quasiment résorbés depuis, grâce à des mesures concrètes telles que l’évacuation de conteneurs (vides) pour libérer des espaces, des incitations financières à travailler le week-end, et l’attribution d’une place dans la file d’attente lorsqu’un navire quitte son port d’origine. Un autre point positif à noter est l’incidence pour le moment limitée des restrictions liées au Covid-19 sur les expéditions d’exportations chinoises. Alors que le nombre de navires sortants est en baisse à Shanghai, d’autres ports chinois sont en mesure de prendre le relais. Mais le déséquilibre entre la demande de biens fabriqués en Asie et la demande asiatique et chinoise de biens produits en dehors de l’Asie reste très élevé. Cela explique la pénurie actuelle de conteneurs en partance d’Asie et contribue au coût toujours élevé du fret maritime.

Le secteur automobile constitue une source importante d’inflation, comme le montre l’augmentation des prix des véhicules neufs et d’occasion ainsi que des coûts de location et d’assurances. Cependant, il est encourageant de constater que la production automobile aux États-Unis a récemment rebondi et retrouvé les niveaux d’avant la pandémie, ce qui contraste avec les interruptions qui continuent de tourmenter les constructeurs européens.

La pénurie de semi-conducteurs a provoqué d’importants goulets d’étranglement dans les chaînes de production de nombreux produits. Cette pénurie continue, mais la production de semi-conducteurs s’est accélérée et est désormais supérieure de 19 % au niveau qui aurait été anticipé sur la base des tendances antérieures au Covid-19. Alors que les investissements dans le secteur des puces électroniques se poursuivent (augmentation de 55 % des dépenses d’investissement depuis la pandémie), l’offre pourrait tout à fait devenir excédentaire en 2023.

Relations entre salaires et inflation

Aux États-Unis, la croissance des salaires (environ 4,7 %) est supérieure à celle de la zone euro (environ 2 %). Une partie de cette différence est due aux réponses politiques apportées à la fermeture d’entreprises au début de la pandémie. Les États-Unis se sont concentrés sur les aides aux revenus, tandis que les programmes européens ont mis l’accent sur la préservation de l’emploi. Outre-Atlantique, 22 millions de travailleurs ont été licenciés puis réembauchés, tandis qu’en Europe, les pertes d’emploi ont été relativement peu nombreuses, grâce aux dispositifs de chômage partiel. Dans la mesure où il est plus facile d’obtenir une augmentation de salaire à un nouveau poste qu’à un poste existant, la réembauche des travailleurs américains, dans un contexte de pénurie croissante de main-d’œuvre, a entraîné de fortes hausses salariales dans le pays. Ce jeu des chaises musicales explique en partie les différentiels de croissance des salaires dans le monde. Précisons qu’aux États-Unis (et au Royaume-Uni, à cause notamment du Brexit), la main-d’œuvre a également diminué, compte tenu de départs en retraite anticipée et de la prolongation des effets de la pandémie (temps partiel privilégié, par exemple).

À ce stade, il est difficile d’estimer l’importance du risque de spirale des prix et des salaires, mais nous sommes d’avis qu’il est plus important aux États-Unis que dans la zone euro. En Europe, l’inflation et la croissance des salaires ont toujours été relativement modérées, ce qui pourrait contribuer à limiter le rythme des revendications salariales. Au vu des accords salariaux à venir, l’augmentation des rémunérations devrait donc rester dans la fourchette observée depuis 20 ans. La situation est quelque peu différente aux États-Unis et au Royaume-Uni, où l’inflation et la croissance des salaires ont été plus fluctuantes ces dix dernières années. Cela dit, le niveau actuellement élevé de l’inflation globale dans la zone euro commence à se faire sentir dans les prévisions d’inflation future, y compris chez les consommateurs. Le risque que l’augmentation des anticipations inflationnistes se traduise par une croissance des salaires toujours plus élevée ne doit donc pas être ignoré. Il semblerait d’ailleurs que les gouverneurs bellicistes de la BCE en aient de plus en plus conscience.

Mondialisation, démondialisation et inflation

La mondialisation des chaînes de valeurs et l’intégration de la Chine dans l’économie mondiale ont limité l’inflation des prix des biens ces dernières décennies. Un scénario de ralentissement de la mondialisation (« slowbalisation ») ou de démondialisation (moins probable) pourrait être une raison d’anticiper une inflation accrue à l’avenir. Il est vrai que la pandémie a révélé de nombreuses faiblesses et d’importantes dépendances dans la chaîne d’approvisionnement de plusieurs produits, et depuis 2020, nombre de commentateurs prévoient une forte tendance à la relocalisation de la production (« onshoring »). Pour le moment, toutefois, les signes d’un vaste processus de démondialisation sont rares. En effet, si la part de marché de la Chine dans la consommation de produits manufacturés américains est en baisse depuis 2018, d’autres pays à bas salaires (Vietnam, par exemple) en profitent, et les volumes des échanges mondiaux restent élevés.

Il est également important de noter que l’effet modérateur de la mondialisation sur l’inflation a déjà disparu. Entre 1998 et 2008, cet effet a été estimé à -0,5 point de pourcentage par an, contre -0,25 pp pour la période 2009-2019. Enfin, peu de données étayent l’idée de rapatriement de la production (« reshoring ») comme solution aux interruptions des chaînes d’approvisionnement. D’autres stratégies sont plus populaires, telles que l’augmentation des stocks et la diversification des chaînes d’approvisionnement.

Transition énergétique et inflation

Concernant les effets inflationnistes de la transition énergétique vers la neutralité carbone, Isabel Schnabel, membre du directoire de la BCE, affirme qu’il faut faire la distinction entre trois chocs : la « climateflation », c’est-à-dire les augmentations de coût dues au réchauffement climatique (hausse des prix des denrées alimentaires provoquée par les événements climatiques extrêmes, par exemple), la « greenflation », c’est-à-dire l’inflation résultant par exemple de l’augmentation des prix des matières premières utilisées dans les technologies vertes, et la « fossilflation », c’est-à-dire le coût hérité de la dépendance aux sources d’énergies fossiles.

Concernant ce dernier choc, il a été observé durant nos échanges qu’au cours des cinq dernières années, la montée en puissance des dépenses d’investissement dans les énergies vertes a été trop lente par rapport aux désinvestissements des énergies fossiles. S’ils sont de nouveau retardés, les investissements verts (l’UE discute actuellement d’un programme de 200 milliards d’euros dans les énergies renouvelables pour la période 2022-2030) constitueraient donc un canal de transition énergétique susceptible de contribuer à une future montée de l’inflation.

Les taxes carbone pourraient être relativement efficaces pour stimuler la transition entre énergies fossiles et énergies vertes. Nos discussions ont montré qu’une tarification effective du carbone augmenterait l’inflation d’environ 0,25 % par an aux États-Unis et de 0,1 % en Allemagne pendant au moins trois ans. En revanche, le plafonnement des émissions et la fixation d’un pourcentage minimum prescrit d’énergies renouvelables seraient moins efficaces pour favoriser cette transition – et contribueraient davantage à l’inflation. Parmi les autres canaux de transition susceptibles d’accroître l’inflation figure une potentielle spirale des prix et des salaires résultant de la pénurie de main-d’œuvre qualifiée pour mettre en place le processus de transition.

Martin van Vliet Juillet 2022

Notes

[1] Nous remercions Arend Kapteyn (UBS), Greg Fusezi (JP Morgan), Yulia Zhestkova et Daan Struyven (Goldman Sachs) pour leurs contributions durant cette journée.

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