Rarement la relation des investisseurs vis-à-vis du papier d’État n’a été aussi ambivalente. Les médias occidentaux ne cessent de nous rappeler que nous sommes confrontés à une crise de la dette, avec des ratios dette/PIB avoisinant 100%. Dans le même temps, les rendements de la majorité des obligations d’État de référence (États-Unis, noyau dur de la zone euro) sont proches de leurs planchers historiques. Les rendements réels sont même proches de zéro. Comment ceci-est-il possible ? Le faible niveau des taux va-t-il se maintenir ?
Actuellement, le prix d’une assurance contre le défaut de paiement est moins cher pour environ 25% des 300 principales sociétés non financières des États-Unis et d’Europe que pour le pays dans lequel ces sociétés sont cotées. Bien qu’il ne faille pas tirer trop d’enseignements des valorisations sur le marché des CDS (credit default swaps), celles-ci donnent une indication de l’ampleur de la crise souveraine, d’une part, et de la solidité financière des entreprises, d’autre part.
De nombreuses sociétés non financières bénéficient de leurs exportations vers les pays émergents, d’une modeste croissance salariale et d’un taux de taxation des sociétés historiquement faible. Elles ont profité, par ailleurs, des plans de soutien économique que les gouvernements ont dû financer. En dépit de leur solidité financière, même les plus grandes multinationales doivent toutefois payer un supplément de rendement par rapport à leurs pouvoirs publics.
Les principaux pays occidentaux auront besoin de maintenir cette capacité d’emprunt supérieure. Ils devront réduire leurs dépenses et/ou augmenter les taxes (des sociétés). Nous devrons peut-être nous habituer à des ratios dette/PIB structurellement plus élevés, mais ces derniers ne peuvent augmenter indéfiniment. Les États-Unis et l‘Europe devront équilibrer leur budget . . . et les marchés financiers assureront la fonction de cerbère.
Le point crucial est qu’il n’existe tout simplement pas d’alternative à la dette souveraine. Nous vivons de surcroît dans un monde dans lequel la demande de papier d’État devrait même augmenter. L’incapacité croissante des gouvernements à pourvoir aux besoins de leurs citoyens augmentera en effet la nécessité pour ces citoyens d’investir eux-mêmes pour leur futur ... essentiellement en obligations d’État.
Ceci est peut-être encore plus vrai dans les pays européens dont la population vieillit rapidement qu’aux États-Unis. Nos plans de retraite légale fondés sur la répartition ne seront plus viables lorsque le rapport entre les travailleurs payant des cotisations et les retraités se détériorera. L’âge de la retraite sera relevé et les allocations de retraite seront probablement diminuées, de sorte que les ménages seront contraints de prendre des mesures afin de compléter leur retraite légale.
Le vieillissement n’est cependant pas le seul facteur augmentant la demande des particuliers pour les investissements peu risqués. Le manque d’alternatives de placement à haut rendement joue également un rôle. Dans le monde occidental, le patrimoine net est détenu dans sa majorité par la catégorie des plus de 55 ans. Ces personnes ont remboursé une bonne partie de leur prêt hypothécaire et ont profité de la hausse des prix immobiliers, des cours de bourse et des cours obligataires des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, lorsque le repli des taux d’intérêt de 12 à 4% a provoqué un boom des actifs. Ce phénomène historique rare ne devrait toutefois pas se répéter au cours des prochaines décennies.
Dans le contexte actuel, les rendements des investissements et l’évolution des prix immobiliers devraient rester modestes, de sorte qu’il sera plus difficile de constituer des réserves pour l’avenir. Paradoxalement, pour les jeunes, la principale source de richesse pourrait être leur héritage. Ceux qui ne peuvent s’attendre à une manne significative – la majorité – auront de plus en plus besoin d’investir pour le futur, essentiellement via des instruments investissant en obligations d’État.
Nous pensons que la croissance et l’inflation resteront très modérées dans le monde occidental et que la demande de papier d’État continuera à croître. Nous nous attendons par ailleurs à ce que les principaux gouvernements s’efforcent d’équilibrer leur budget. Dans cas, il y a encore davantage de raisons d’aimer les obligations d’État que de les détester.