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Kaouther Jouaber « La Finance Islamique devrait représenter 1 300 milliards de dollars à l’horizon 2020 »

Selon Kaouther Jouaber, de nombreuses institutions non islamiques veulent former leurs collaborateurs aux approches de la finance islamique...

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L’université Paris IX Dauphine a inauguré en automne 2009 une nouvelle formation supérieure, spécialisée en « finance islamique » délivrant un diplôme d’université de niveau bac +5.
Kaouther Jouaber, Maître de conférences à l’Université Paris Dauphine et co-responsable de cette formation a bien voulu répondre à nos questions à ce sujet à l’occasion de la conférence inaugurale qui s’est tenue le 18 novembre au Palais Brongniart à Paris.

Pouvez-vous nous expliquer en quelques lignes en quoi consiste la finance Islamique ?
La finance islamique est une forme de finance alternative et éthique qui fait appel à des techniques spécifiques de structuration financière. Elle a de nombreux points communs mais également de réelles différences avec la finance conventionnelle. En l’occurrence, elle poursuit les mêmes objectifs en terme de performance financière. Sa spécificité provient du fait qu’elle veille au respect d’un ensemble de règles et de principes dictés par l’éthique musulmane, parmi lesquels le principe de partage des pertes et des profits, la prohibition de l’intérêt usuraire, l’obligation d’adosser tout placement à un actif réel, ou encore l’interdiction des activités jugées illicites en Islam. La finance islamique impose ainsi des contraintes spécifiques en matière notamment de traçabilité des investissements et des risques.
La finance islamique consiste donc à structurer des produits répondant à cette double exigence, à la fois financière est éthique.

Quelles raisons ont incite l’université IX Dauphine de lancer cette nouvelle formation ?
Grâce à ce diplôme, Dauphine répond à un besoin de formation réitéré à maintes reprises par les experts des métiers de la finance. Face à ce besoin l’offre pédagogique demeure actuellement très limitée en France. La demande est forte en particulier de la part des institutions non islamiques qui veulent former leurs collaborateurs aux approches de leurs clients des banques islamiques. C’est d’ailleurs l’une des principales conclusions du rapport réalisé par Elyès Jouini et Olivier Pastré à la demande de Paris Europlace.
Pour preuve, lors de notre courte campagne de recrutement qui s’est étalée de fin juin à début septembre 2009, nous avons reçu près de 200 dossiers de candidature, chiffre non loin, voire supérieur à celui observé pour des Master bien établis. Les candidatures émanent pour une grande partie de professionnels de la finance et de l’assurance exerçant dans des institutions financières de renom.

Comment se porte actuellement la finance Islamique après la crise financière que nous venons de traverser ?
Certains développements récents de l’économie financière se trouvent profondément remis en cause par la crise actuelle et donnent à la Finance Islamique une actualité qu’elle n’avait pas il y a de cela quelques mois. Les capitaux gérés ou susceptibles d’être gérés selon les principes de la Finance Islamique sont amenés à connaître une croissance rapide et durable. Par ailleurs, le fait que la philosophie de la Finance Islamique repose à la fois sur un investissement dans la durée et sur le partage du risque financier fait de ce type de modèle financier un modèle particulièrement adapté à la période que nous vivons.

Quel montant (en milliards de dollars) représente actuellement la finance Islamique ? Quel pourcentage par rapport à finance classique ? Quelles perspectives de croissance ?
On peut considérer que la Finance Islamique représente aujourd’hui un marché de 800 milliards de dollars (soit autant que le « plan Paulson » et presque autant que le marché des « subprimes »). Les spécialistes estiment que, à l’horizon 2020, ce marché devrait représenter 1 300 milliards de dollars avec un taux de croissance à deux chiffres.

Le Sukuk est le produit phare de la finance islamique, il s’apparente à une obligation, mais de quelle façon rémunère t-il l’investisseur vu que le taux d’intérêt est proscrit ? L’investisseur reçoit-il un pourcentage du chiffre d’affaires de l’entreprise émettant le Sukuk ? Un pourcentage de ses bénéfices ?
Le Sukuk est une illustration du principe de partage des pertes et des profits en finance islamique. A la différence de l’obligation classique, le Sukuk est adossé à un actif tangible. Il confère à l’investisseur une part de propriété dans un actif sous-jacent identifié préalablement à l’émission. Les détenteurs de Sukuk jouissent de l’usufruit de cet actif au prorata de leur investissement. Par conséquent, leur rémunération dépend de la performance du sous-jacent. Elle peut être fixe si le revenu du sous-jacent l’est. C’est le cas des actifs sous-jacent de la famille de la Murabaha. En revanche, elle est variable quand la rentabilité du sous-jacent n’est pas certaine comme c’est le cas pour les actifs Ijara. En outre, la plupart des structurations de Sukuk fait intervenir une entité ad hoc qui détient l’actif sous-jacent et qui expose les investisseurs à un risque de crédit.

Existe-il un marché secondaire pour les Sukuks ? Sont-ils des produits liquides ?
Un marché secondaire existe, mais pas de manière systématique. Des Sukuk sont effectivement cotés et peuvent présenter une certaine liquidité. La Malaisie est considérée comme le marché le plus liquide. Ailleurs, le manque de liquidité s’explique par un niveau de demande largement supérieur à l’offre et par le fait que les acquéreurs de Sukuk, comme souvent en finance islamique, investissent sur le long terme et s’abstiennent de les revendre préférant ainsi les conserver jusqu’à l’échéance.
Le marché des Sukuk, comme le reste des marchés boursiers, a souffert de la crise en 2008. La question de la conformité des produits émis aux principes religieux et les doutes émis à l’égard de certaines émissions ont également eu un impact négatif sur le marché des Sukuk. Toutefois, les spécialistes continuent à croire dans le développement à long terme de ce marché. Ces produits offrent en effet des solutions de financement dont il est difficile de se passer aujourd’hui.
La cotation des Sukuk est désormais possible sur plusieurs marchés occidentaux, y compris sur NYSE Euronext. La bourse du Luxemboug en cote depuis 2002. Plus d’une quinzaine y sont échangés.

Dans la finance classique, la valorisation des produits financiers nécessite des modèles mathématiques, est-ce également le cas pour certains produits islamiques ? Qu’en est-il du prix d’un Sukuk sur un marché secondaire ? Faut-il avoir recours à des modèles mathématiques couplés à de l’analyse financière ?
Les produits financiers islamiques sont la plupart du temps valorisés par les mêmes modèles mathématiques que les produits conventionnels. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer. D’abord, il est vrai que la finance islamique a plus de trente ans, mais la recherche est encore à ses premiers balbutiements. Des modèles commencent à voir le jour, mais leur implémentation n’est pas généralisée. Ensuite, dans une perspective financière, les institutions financières ne souhaitent pas forcément afficher une distinction entre les produits islamiques et les produits conventionnels de telle sorte à ne pas brouiller la perception du risque par les investisseurs. En outre, les investisseurs sont plus rassurés si les produits présentent des caractéristiques qui leur semblent familières. En somme, les produits islamiques représentent dans l’ensemble une innovation légale, mais pas nécessairement financière.
Par ailleurs, l’analyse financière reste très importante pour les produits islamiques. Les agences de notation les plus connues procèdent à leur notation en plus des agences spécifiques, notamment en Malaisie. Les critères de notation restent similaires à ce qui est appliqué pour les autres produits financiers.

Comment analyser la performance d’un produit islamique ? Comment relier cette performance aux taux Libor ou Eonia ?
En finance, la performance d’un produit financier est mesurée par rapport à des benchmarks. La finance islamique n’échappe pas à cette règle. La méthodologie utilisée reste proche des méthodologies classiques de mesure de performance. Le Sukuk Ijara est par exemple souvent analysé en référence au Libor, donc un taux d’intérêt, et ce en dépit du fait qu’il génère un revenu en rapport avec un actif tangible. La littérature propose aujourd’hui d’autres solutions pour mesurer la performance et suggère l’utilisation d’indicateurs macroéconomiques tel que la progression du PIB.

RF Novembre 2009

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