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L’analyse financière reste souvent trop quantitative : le cas EDF

Les marchés poursuivent leur normalisation cette semaine, entre réouverture du marché primaire, resserrement et re-hiérarchisation des primes de crédit excessives. Dans ce contexte, une nouvelle émission est venue nous rappeler que la finance purement quantitative et les modèles de prévision des rendements et des évènements basés sur la simple observation des rendements actuels ne fonctionnent pas toujours, pour ne pas dire rarement.

Nous aborderons ici le cas EDF, émetteur prolifique sur les marchés avec 80 obligations en circulation, pour un montant total de 75 milliards d’euros dont environ 14 milliards d’euros d’obligations hybrides permettant à l’entreprise d’améliorer ses ratios de crédit auprès des agences de notation, les obligations hybrides – dettes perpétuelles remboursées ou non au gré de l’émetteur – étant en général comptabilisées pour moitié en dette et pour moitié en fonds propres.

Comme tous les actifs en 2022, les obligations EDF, dont la plupart sont de maturité longue puisque la maturité moyenne pondérée de l’entreprise est en 2036 soit près de 15 ans, ont fortement chuté, tirées par :

  • Les taux de référence : le taux à 15 ans est passé de 0.5% à 2.5% sur l’année, ce qui, pour des obligations à 15 ans créée mécaniquement une chute de valorisation d’environ 25 points.
  • La prime du marché : le spread des obligations BBB industrielles s’est écarté d’environ 85 points de base sur la période, équivalant à une chute complémentaire moyenne de 10 points sur la période
  • La prime spécifique à EDF : c’est évidemment de ce point de vue qu’est venue toute la difficulté du sujet ces derniers mois, EDF ne pouvant être comparé à aucun autre opérateur électrique, entre position dominante ; difficulté chronique à générer des cash-flows qui confère à l’entreprise une qualité de crédit intrinsèque médiocre ; reprises forcées des problèmes d’autres parties prenantes (Areva, politique de subventions de l’Etat) ; lien fort avec l’Etat français créant un aléa politique important.

Ainsi les obligations EDF, dans la crise qui a agité 2022, inflationniste, énergétique, financière, ont été traitées de manière très hétérogène en fonction des souches, des maturités et de la séniorité mais également en fonction du profil de l’investisseur et de sa connaissance ou non des sujets et des leviers propres à la politique française et à la gestion par l’Etat de ses participations et de ses outils de politique économique. Voici quelques exemples de dichotomies significatives qu’on a pu observer durant ces quelques mois :

  • Les obligations en dollars, parce qu’achetées essentiellement par des investisseurs anglo-saxons peu enclins à ces liens politiques public/privé, ont souvent offert une décote par rapport aux obligations en euro
  • Les obligations les plus longues, parce que les principaux problèmes d’EDF sont la solvabilité et les fonds propres à long terme et non la liquidité à court terme , offrent un écart de rendement important face aux obligations courtes
  • Les obligations hybrides, parce qu’elles sont un outil de fonds propres et peuvent être utilisées comme amortisseur (suspension des coupons, non remboursement), offraient une large décote, en particulier sur les calls les plus courts.

Ainsi, dans la seconde partie de l’année, après que les primes de crédit se soient envolées ; que l’Etat ait ponctionné 8 milliards d’euros de force à l’entreprise pour financer son ‘bouclier énergétique’ ; que les centrales nucléaires aient montré des failles de sécurité importantes ; que les publications d’EDF restent médiocres, les marchés ont significativement dégradé les obligations EDF hybrides, considérant qu’il existait un risque, même s’il était minime, que l’émetteur ne puisse pas les remplacer et doive donc ne pas les rembourser au premier call, comme c’est en général le cas.

Prenons ainsi l’exemple de la souche EDF 5.25% perpétuelle en dollars dont le call est en janvier 2023. Alors qu’en début d’année, les taux bas et la relative tranquillité des marchés rendait le call plus que probable, les obligations traitaient au-dessus du pair. Durant les neuf premiers mois de l’année, les taux n’ont fait que grimper, en particulier aux USA, ce qui a, de facto, fait chuter les obligations, y compris les plus courtes, et a augmenté le risque de refinancement des entreprises, en particulier sur les obligations hybrides. Du point de vue de la stricte analyse crédit, les observateurs pouvaient aussi arguer qu’EDF était en manque de fonds propres, en manque de free cash flows et ne méritait sa notation de crédit accommodante que par son lien avec l’Etat Français, ce qui est tout à fait exact.

Les obligations hybrides à call janvier 2023 ont donc baissé de quelques points sous le prix de remboursement, pour matérialiser un risque de non-call, ou même simplement de report de call : il aurait pu arriver que le marché soit dans un tel marasme que le marché primaire reste fermé suffisamment longtemps pour qu’aucun émetteur ne puisse remplacer ses obligations et patiente quelques mois avant d’exercer un call sur ses obligations perpétuelles. C’est arrivé aux banques en leur temps, cela pourrait arriver aux corporates aujourd’hui. L’obligation hybride EDF a donc subi une décote d’environ 5 points par rapport à un remboursement potentiel en janvier 2023, ce qui reste modéré quand on sait qu’une obligation perpétuelle d’entreprise en difficulté peut aller proche de zéro, comme c’est actuellement le cas des obligations Casino, cotant 15% du nominal…

Mais la finance a ceci de particulier que ses modèles sont souvent uniquement quantitatifs et ne se soucient encore que peu du bon sens et des sujets qualitatifs, bien qu’elle se gargarise d’extra financier en apparence actuellement… Ainsi, un prix d’obligation EDF à 96% du nominal à la rentrée de septembre offrait, en apparence, sur le premier call de janvier 2023, un rendement de 14%. En apparence seulement car ce rendement est annuel alors qu’on ne le touchait que pendant quelques semaines et qu’il s’agissait en fait d’une décote de 4% sur le prix pour des raisons évidentes de liquidité de marché (rappelons ici que la fourchette achat/vente pour un même titre au même moment sur les hybrides à l’époque était déjà d’au moins 2% …), de stress généralisé et d’absence totale d’investisseurs sur le créneau obligataire.

Et pourtant, certains analystes, essentiellement anglo-saxons, ont considéré que l’on pouvait reporter ce 14% ad vitam ; ce sont sans doute les mêmes qui anticipaient que le pétrole resterait toujours en deçà de 20 dollars quand son prix ne faisait que chuter en 2020 et anticipaient l’absolue nécessité des 200 dollars lorsqu’il rebondissait violemment à 120 dollars…

Bref, nous lisions à l’époque que le taux d’EDF sur une hybride étant autour de 14%, il devenait impossible pour l’entreprise d’émettre une nouvelle obligation hybride pour rembourser l’ancienne et que, de facto, elle ne rembourserait pas sa souche de call janvier 2023. Ledit analyste actualisait ensuite le rendement de 14% sur la perpétuité et concluait que les obligations EDF, si elles n’étaient pas remboursées vaudraient en deçà de 60% du nominal…

Mais c’était prendre le problème à l’envers et « perpétualiser » une décote de liquidité et d’incertitude de quelques semaines, ce qui n’a aucun sens. Ainsi, imaginons qu’une obligation remboursée dans un jour à 100 vaille 99.95 parce que le nouvel acheteur souhaite bénéficier d’une petite prime de 0.05% pour débarrasser un autre investisseur on peut considérer ces 0.05% de deux manières :

  • Il s’agit bel et bien d’une décote 0.05%, liée à la liquidité, à l’opportunité et au fait que personne n’achèterait une obligation pour deux jours pour le simple plaisir de rendre service gratuitement.
  • En rendement annualisé, cette micro décote de 0.05% doit être multipliée par 365, soit un rendement de 18%. Un raisonnement purement quantitatif arguerait donc que l’obligation est extrêmement spéculative, que l’émetteur ne pourra peut-être pas la remplacer, et qu’elle ne sera donc pas remboursée. Il en conclura que l’émetteur sera en défaut et que les obligations vaudront 30% du nominal… conseillant par conséquent à ses lecteurs de céder absolument leurs obligations puisqu’elles valent encore 99.95% ! C’est absurde mais c’est à peu près ce qui s’est passé sur EDF, certains analystes reportant une décote temporaire liée à l’état du marché sur un émetteur à perpétuité.

Pourtant il fallait observer tous les autres points, certains quantitatifs et d’autres qualitatifs :

  1. Les obligations EDF hybrides aux calls plus longs n’étaient pas à 14% de rendement, mais plutôt sur des niveaux de 7% à 8% à l’époque
  2. La nécessité de fonds propres d’EDF venait en partie d’une ponction de force de l’Etat, principal actionnaire, qui ne pouvait donc pas le reprocher à sa filiale pour la laisser ensuite tomber au détriment des autres actionnaires, alors même qu’ils souhaitaient nationaliser l’entreprise.
  3. Pourquoi une entreprise d’Etat déciderait-elle de se décrédibiliser au détriment du crédit de toutes les autres participations d’Etat comme la SNCF, pas forcément bien meilleures en termes purement financier…
  4. Pourquoi les investisseurs ne prêteraient-ils pas à perpétuité à une société détenue par un des deux Etats les plus puissants de la Zone Euro à moins de 14%, ce qui n’est même pas le taux de banques grecques aux bilans plus que fragiles ?
  5. Pourquoi EDF préférerait-elle ne pas rembourser une seule hybride et risquer une déclassification de toutes les autres pour un coût marginal finalement modéré puisqu’il ne concernerait finalement que 1 ou 2 milliards d’euros sur un total de 80…
  6. Pourquoi l’Etat risquerait-il de mettre en difficulté sur les marchés financiers une entreprise qu’il aura déjà besoin de recapitaliser massivement par la suite ?
  7. Pourquoi considérer enfin qu’une entreprise existant depuis des décennies, étant stratégique pour son Etat actionnaire, ayant un actif et un passif à plusieurs décennies (les centrales nucléaires notamment) et une gouvernance en conséquence doit être analysée à l’aune d’une énième passade de crise financière et à horizon quelques semaines ? C’est pourtant ce que faisaient bon nombre d’investisseurs qui avaient cédé cette obligation pour la faire chuter jusqu’à 93% du nominal, pricant ainsi presque 50% de taux de non-call.

Cette semaine EDF a émis une nouvelle obligation hybride, pour un montant d’un milliard d’euros offrant un rendement de 7.5% en euros. C’est très élevé pour un tel émetteur mais clairement bien en deçà des effrayants 14% relayés par certains et c’est avec entrain que les investisseurs ont souscrit pour plus de six milliards d’euros de cette nouvelle obligation, qui s’est donc placée en quelques heures. La période est en effet propice pour saisir des opportunités sur le marché primaire d’émetteurs forcés à émettre, notamment pour des raisons réglementaires comme c’est le cas pour les banques. Après le titre hybride Deutsche Bank il y a quelques jours auquel nous avions souscrit à 10% de rendement, nous avons donc également souscrit à cette nouvelle émission EDF, elle aussi un peu forcée par une conjonction d’évènements et de circonstances pour un émetteur qui devrait voir sa prime se resserrer significativement une fois la nationalisation finalisée. Le coût de cette souche pour EDF relativement au coût global de sa dette sera limité, l’entreprise a pu rassurer les marchés et sans doute se rassurer elle-même sur sa capacité à se financer facilement, l’hybride au call janvier 2023 est remontée tout proche du pair, ce qui pourra faire dire aux fameux analystes de l’époque qu’elle sera donc remboursée…

Matthieu Bailly Décembre 2022

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