Certes pédagogie rime avec démagogie et pourtant ces deux mots s’affrontent impitoyablement. La campagne des présidentielles françaises est là pour l’attester sur de nombreux sujets. Prenons l’exemple de la sortie de l’euro. On ne se demandera pas dans ce papier si sortir de la zone Euro est une bonne ou une mauvaise perspective (nous aurons l’occasion dans un prochain papier d’évaluer aussi objectivement que faire se peut les conséquences d’un retour au franc : inflation, déficits, fiscalité, épargne…) mais on s’interrogera plutôt sur le fait de savoir si une sortie de la France de la zone euro est socialement utile et économiquement judicieuse pour les agents économiques français (Etat ; entreprises grandes , moyennes ou petites ; ménages qui sont tout à la fois salariés, consommateurs et épargnants).
Pas de suspense dans cet article puisque la réponse est dans le titre.
Ne perdons pas de vue en cette veille d’élection présidentielle en France que la démagogie consiste justement à faire croire que quelque chose de difficilement réalisable voire impossible à mettre en pratique -sauf à provoquer des catastrophes économiques, sociales et humaines – résoudrait tous les problèmes de la terre. Il faut être pédagogue et non démagogue, c’est vrai que c’est plus facile lorsque l’on n’a pas à abuser de la naiveté d’une clientèle électorale pour en retirer un profit politique personnel à court-terme. Cela tombe bien puisque je me trouve dans cette situation.
QUE FAIRE DE L’INSOUTENABLE DETTE PUBLIQUE FRANCAISE ?
La complexité de la dette en euro tient au fait que des pays souverains se sont endettés dans une monnaie non souveraine, l’euro. Ne pas rembourser en euro reviendrait cependant à un défaut. Prenons le cas de la France. Notre dette publique est détenue à hauteur de 60% par des investisseurs étrangers (autour de 1 300 Mds€). On peut imaginer sans mal qu’un remplacement de l’euro par un nouveau franc provoquerait sans doute une baisse de 20 à 30 % de notre nouvelle monnaie vis-à-vis de l’euro ce qui reviendrait
- à constater des charges de la dette libellée en euro insupportables
- Et puisque ces charges seraient insupportables, la situation d’insolvabilité de l’état apparaîtrait au grand jour conduisant celui-ci à faire défaut sur la dette libellée en Euro détenue par les investisseurs non-résidents.
Rappelons ce qu’est dans l’histoire moderne de l’économie le défaut d’un grand état. L’exemple qui nous vient immédiatement à l’esprit est celui de l’Argentine.
Subissant les effets de contagion de la crise asiatique à partir de 1998, l’Argentine a subi une sévère contraction de son économie qui, conjuguée à des faiblesses structurelles et à la rigidité se son régime politique, avait conduit au défaut sur la dette souveraine en 2001 et à l’abandon du régime de change vis-à-vis du dollar en 2002. Le défaut du gouvernement argentin a été historique par son ampleur (81 milliards de dollars, libellés dans 6 monnaies et impliquant 8 juridictions différentes) mais aussi par les acteurs impliqués (premier défaut sur une dette multilatérale envers des institutions internationales, la Banque mondiale et Banque interaméricaine de développement dans ce cas) et la complexité du processus de restructuration.
En effet, l’opération de restructuration ne s’est conclue qu’en mars 2005 à la suite de la proposition unilatérale du gouvernement Kirchner, sans la participation active du FMI avec lequel l’Argentine avait rompu ses accords.
Au total, 76% des détenteurs de titres ont accepté d’échanger leurs titres contre de nouveaux bons, fortement décotés. Mais le pays a été privé d’accès au marchés internationaux pour refinancer sa dette pendant 15 ans (ce n’est qu’en 2016 que l’Argentine a réémis de la dette souveraine sur le marché obligataire).
Cette parenthèse historique étant faite, on peut penser que le défaut français (quelle que soit la forme qu’il prendrait) ne permettrait plus au Trésor de lever de capitaux sur les marchés. Rappelons que chaque année le Trésor français procède à des adjudications mensuelles de titres souscrits en grande partie par des investisseurs internationaux. En 2017, le calendrier des adjudications prévoit des émissions de dettes publiques à hauteur de 185 Mds € (38% pour payer le déficit de l’année en cours prévu à 70 Mds€ et 62% pour rembourser le stock de dette arrivant à échéance cette année 2017, soit 115 Mds€). C’est ainsi que cela se passe malheureusement depuis plus de 40 ans : la dette publique nouvellement émise permet de financer le déficit budgétaire et de rembourser les emprunts émis antérieurement. L’irresponsabilité de candidats à la présidentielle qui préconisent un moratoire sur la dette implique donc la fin des adjudications mensuelles du Trésor qu’il faudra bien remplacer si l’on veut continuer à payer nos policiers, enseignants , infirmières , retraités de la fonction publique pour ne citer qu’eux sans même parler des dépenses d’assurance maladie , d’assurance chômage et des dépenses courantes des collectivités locales
ll n’y aura que trois solutions et trois seulement pour se refinancer. Ces solutions ne sont pas naturellement exclusives l’une de l’autre.
1. La première solution consistera à solliciter les investisseurs et épargnants français pour qu’ils achètent beaucoup plus de dette de notre Etat. C’est ce que Marine Le Pen propose officiellement en parlant de financement national de la dette publique. Ce qu’elle ne peut pas dire à ses électeurs potentiels qui ont de l’épargne investie par exemple en contrats d’assurance vie en euros, c’est que celle-ci risque d’être purement et simplement nationalisée (ces contrats d’assurance vie contiennent pour l’essentiel des obligations émises par l’État français en Euro). Ce n’est pas de la finance fiction et il ne s’agit pas ici de faire peur à qui que ce soit. Comment l’état français procéderait-il ? Eh bien il annulerait purement et simplement des encours d’obligations d’État françaises détenues par les assureurs pour le compte des épargnants privés. On est donc ici dans le cadre d’une opération officielle de nationalisation d’une partie de l’épargne privée afin de réduire mécaniquement la dette publique nationale qui ne peut plus être payée en euros. L’État pourrait prendre alors le contrôle des obligations détenues par les fonds de pension et les transformer en retraites du système public. De quoi privilégier plus que jamais les contrats d’assurance vie en unités de compte (actions, supports diversifiés,..) car il est difficile pour un État d’exproprier un épargnant en actions de sociétés privées sauf au prix d’une coûteuse et inutile nationalisation qui ferait exploser la dette publique alors que c’est tout l’inverse qui est recherché.
2. La seconde solution serait de trouver des recettes fiscales massives (ce qui semble certes impensable politiquement, socialement et économiquement). Mais les risques de fiscalité de plus en plus confiscatoire en cas de retour au franc sont très élevés. La tentation serait forte de créer un fonds public visant à racheter et éliminer une large portion de la dette existante pour la ramener à des ratios Dette publique/ PIB plus soutenables. Ce type de fonds serait sans doute alimenté par la création d’impôts lourds sur le patrimoine et par une forte hausse de la fiscalité indirecte.
3. La troisième solution est mise en avant par les économistes souverainistes sous le terme savant de monétisation de la dette publique (les QE de la BCE sont une forme de monétisation. Selon les partisans d’un retour au franc, nous pourrions revenir à la situation qui prévalait avant 1973, le Trésor public avait l’habitude de se financer auprès de la Banque de France qui émettait de la monnaie en fonction des besoins de l’État. La dette publique était alors automatiquement détruite et transformée en masse monétaire en circulation. Depuis 1973, tout a changé avec l’article 25 de la Loi n°73-7 du 3 janvier 1973 sur la réforme des statuts de la Banque de France « Le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l’escompte de la Banque de France. ». Cet article de loi a ensuite été entériné par l’article 104 du traité de Maastricht et l’article 123 du traité de Lisbonne. Donc il faudrait abroger ce dispositif législatif et donc institutionnaliser la monétisation avec baisse de la monnaie et inflation importée (en plus la mauvaise inflation, l’inflation inutile, celle qui n’a que des inconvénients : pas de baisse de l’endettement et risques de récession,…). Contrairement aux QE de la BCE en Euros, cette monétisation sera très inflationniste et conduira à une perte violente du pouvoir d ‘achat de la nouvelle monnaie. Les investisseurs étrangers qui détiennent 1300 milliards d’euros de la dette française n’ont que faire d’une pseudo-souveraineté retrouvée. Ils n’ont pas envie de recevoir des intérêts et du capital en nouveaux francs dévalués. Ils veulent des euros. La souveraineté monétaire n’a de sens que si l’on est financièrement solide et relativement autonome dans le financement de ses dépenses publiques. Croire que l’on peut redevenir solide financièrement en décrétant une souveraineté unilatéralement
LES ARGUMENTS FAIBLES DES PARTISANS DE LA SORTIE DE L’EURO
Alors certains me diront ... attendez il y a une liste des 175 économistes « sérieux » envisageant la sortie ou la dissolution de l’euro comme une solution à la crise. Certes mon métier n’est pas celui d’économiste officiel mais je suis sérieux et je me permets de m’exprimer sur l’économie ici et ailleurs en toute indépendance.
Les principaux arguments des économistes souverainistes pour justifier une sortie sont faibles
- Il y a d’abord l’argument fallacieux du Brexit qui n’aurait - pour l’instant – pas conduit à une catastrophe économique au Royaume Uni, bien au contraire. Effectivement, mais on ne doit pas confondre sortie de l’union Européenne et sortie de l’euro. Dans le cas de la Grande Bretagne, il existait déjà une monnaie nationale et quand bien même la chute du sterling a été sévère et est anticipée se poursuivre, le financement du déficit extérieur britannique par les non-résidents ne semble pas, pour l’heure, poser de problèmes insurmontables.
- Il y a aussi l’argument fallacieux de la nécessité de retrouver sa souveraineté monétaire. Certes le Royaume Uni, les Etats-Unis et le Japon battent monnaie et disposent de leur entière souveraineté monétaire. Mais ces pays financent leurs déficits différemment. Au Japon, la dette est intégralement détenue par les Japonais. Donc pas de fuite de capitaux envisageable et le problème du Japon sera de gérer à terme son vieillissement démographique et de faire sans doute appel à de l’épargne non résident ; ce jour-là il y aura un krach obligataire structurel au Japon. Au Royaume Uni, la dette nationale est majoritairement détenue par des banques et des assureurs britanniques. Aux Etats-Unis, le statut de monnaie de réserve du dollar ne pose pour l’instant pas de problème pour le financement du déficit courant et du déficit budgétaire. Si la dette était exclusivement détenue par des épargnants français, on pourrait imaginer que la création de monnaie se fasse en créditant le compte du Trésor public (et non celui des banques), lequel utiliserait cette ressource pour se désendetter ou pour financer son déficit budgétaire. Mais la réalité est tout autre. Pour la France le choix est différent : on sort de l’euro et on fait défaut sur la dette détenue par les non-résidents ; on reste dans l’euro auquel cas on gère le financement de la dette publique de manière intelligente.
Un pays mal géré restera mal géré quelle que soit la monnaie qui a cours légal sur son territoire.
On connait par cœur les apprentis sorciers qui prônent le retour au franc : des spécialistes de la spoliation (pire que les étatistes de droite et de gauche qui ont gouverné la France depuis 1974) qui n’ont comme seul objectif de laisser la nouvelle monnaie nationale se déprécier en punissant ceux qui consommeront des produits importés (c’est-à-dire nous tous) et en bradant à l’export la richesse créée par nos entrepreneurs petits ou grands.
Nous nous interrogerons dans les prochains jours sur un sujet en lien avec les problématiques évoquées dans cet article : le risque réel aujourd’hui des emprunts d’état au-delà du risque politique français en particulier et au-delà du risque d’éclatement de la zone Euro en général.