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La volatilité des marchés : une explication par le « passif » ...

La volatilité crée une prime de risque plus élevée, prix de l’incertitude, et son excès nuit au dynamisme économique...

Prendre une décision d’investissement à un horizon de 10 ou 20 ans quand les prix peuvent bouger de 10 % par jour pose de véritables problèmes au fonctionnement même de l’économie. Aurait-on construit les immeubles haussmanniens si leur prix avait été susceptible de varier de 10 % par jour ? Répondre à cette question n’est plus trivial aujourd’hui et les projets de réglementation des marchés financiers au niveau tant américain qu’européen (ventes à découvert, marchés dérivés...) indiquent bien que la volatilité du marché est l’une des préoccupations majeures actuelles des gouvernants. Le risque de cette réglementation est, comme pour toute réglementation, qu’elle se trompe de débat, au moins en partie, et qu’en conséquence, elle ne soit pas créatrice de valeur économique.

En préambule, il est indispensable de resituer le rôle des marchés dans le financement de l’économie pour comprendre l’enjeu même de la réflexion. En l’espace de 50 ans, nous venons de vivre trois paradigmes : d’un financement largement étatique, nous sommes passés à un financement intermédié par les banques (dépôts-crédits) pour connaître depuis 25 ans un financement par les marchés.

L’objectif final du financement et ses modalités étant toujours les mêmes : procurer à l’économie réelle les financements dont elle a besoin et cela au meilleur coût possible - i.e. la quantité optimale au meilleur prix.

Les marchés, aujourd’hui vilipendés de toutes parts, ont été le combustible, il faut le rappeler, d’une croissance inespérée au début des années 80 ; croissance qui plus est faiblement inflationniste. Les Etats-Unis ont été les premiers historiquement et aujourd’hui encore, en termes d’importance, les marchés finançant p lus de 6 0 % de l ’é c o n o mi e américaine. En Europe, ils constituent également une source majeure de financement de l’économie. Le rôle des marchés est donc crucial et on a pu voir depuis 2007 les conséquences économiques que peuvent avoir leurs dysfonctionnements.

A l’origine, les marchés ont été créés pour permettre la rencontre de temporalités différentes : une économie réelle qui a des besoins de capitaux, au meilleur prix possible, à horizons long comme court, des investisseurs qui ont des horizons de temps variables (pas forcément définis) et des appétits pour le risque très variables.

Les développements récents de la technologie ont eu deux conséquences fondamentales sur le fonctionnement des marchés, même si la connaissance des techniques remonte au milieu du 19e siècle :

- une confrontation dans le temps différente via les instruments dérivés : l’option, qui permet pour un prix connu (la prime) de définir les conditions éventuelles d’un achat ou d’une vente et le contrat futur, qui permet de déterminer à l’avance le prix futur d’un actif. Ces contrats ont été créés à l’origine pour réguler les conditions de fonctionnement, production et distribution, des matières premières agricoles. La technologie de l’information immédiate joue ici un rôle essentiel ;

- une confrontation dans l’espace différente : les acteurs des marchés ne raisonnent plus uniquement nationalement mais globalement. Là encore, la technologie de l’information est un facteur explicatif capital.

Ces deux phénomènes contribuent de facto à augmenter de manière structurelle la volatilité. En effet, les technologies de l’information ont connu un tel développement que l’information est désormais globale et instantanée et incite à des mouvements de capitaux permanents par recherche d’optimisation, tout cela dans un temps réduit au domaine de la seconde. Renoncer à la volatilité reviendrait automatiquement à renoncer à la liquidité. On peut dès lors s’interroger sur les apports relatifs à l’économie réelle d’une volatilité très élevée en contrepartie d’une liquidité importante, contre une volatilité plus faible accompagnée d’une liquidité réduite. Répondre à cette question en termes de coût de l’argent, emprunté ou en capitaux propres, permettrait déjà de savoir si les mesures envisagées sont in fine bénéfiques pour l’économie réelle. Il est à peu près clair que les excès sont mauvais : mettre de l’argent dans une entreprise et ne pouvoir le récupérer qu’au bout de n années nécessite un niveau de confiance élevé (et, de fait, rare), ce qui aurait un prix élevé pour l’entreprise. A l’inverse, l’existence de variations quotidiennes exubérantes conduit à une défiance des investisseurs dans ces mêmes marchés et les incite à choisir l’actif le "moins risqué" - qui n’est généralement pas celui le plus créateur de richesse pour une économie. Autre possibilité si les investisseurs considèrent l’actif comme très risqué car très volatile, la prime de risque devient alors aussi très élevée pour l’économie réelle et la croissance est plus faible.

En sus de ces considérations très générales, que constatons-nous ?
- Que la volatilité des actifs boursiers américains est structurellement inférieure à c elle des actions européennes, qui est elle-même inférieure à celles des actions des marchés émergents.
- Que le taux de rotation des passifs des OPCVM depuis 2 ans est proche de 100 % en Europe contre seulement 3 0 % au Etats - Unis (source Efama).

Les conclusions de ces réflexions sont claires. Le rôle des marchés dans le fonctionnement de l’économie est devenu central et, si l’on peut espérer la mise en place d’un nouveau paradigme reposant sur un équilibre plus harmonieux entre les différentes sources possibles, il est illusoire de penser que "les marchés" verront leur rôle significativement baisser. La liquidité est une condition sine qua non du fonctionnement des marchés et il est clair que les marchés européens, de par la structure même de leur fonctionnement, ont une liquidité plus faible que celle des marchés actions américains. Les actions américaines sont majoritairement détenues par les résidents américains et, au-delà de cette unicité de continent qui est un facteur de stabilité naturelle, l’existence des fonds de pension assure un flot continu d’épargne longue et une stabilité forte du passif à très grande échelle. Même si grâce à l’euro, l’Européen a maintenant une vision élargie (et non plus nationale) de son portefeuille, l’Europe est un satellite pour les investisseurs étrangers, non une allocation "core". La résultante de l’insuffisance de capitaux stables est la "volatilité du passif" et, par voie de conséquence, la volatilité des actifs.

Cette volatilité structurellement supérieure se traduit par une prime de risque plus élevée sur les marchés européens. Qui dit prime de risque plus élevée, dit également dynamisme économique plus faible. Le paradoxe, et non des moindres, est que la volatilité de l’économie américaine est beaucoup plus importante que celle des économies européennes, l’interventionnisme et le poids relatif des Etats dans l’économie n’étant pas les mêmes. La volatilité de l’économie américaine est donc assimilable à de la flexibilité et se traduit par une volatilité plus faible des marchés. L’inter ventionnisme plus important des Etats européens se traduirait-il alors par une volatilité plus forte des marchés ? Sans aller nécessairement jusqu’à affirmer que le libéralisme est paré de toutes les vertus, il est cependant nécessaire de s’interroger sur les mesures qu’il conviendrait de prendre pour réduire le coût du risque en Europe.

Même si l’on ne peut pas calculer rigoureusement en termes de points de PIB les conséquences économiques de cette situation, il est cependant probable que l’impact soit significatif. Conclusion : les Européens, particulièrement les Français, n’aiment pas les marchés, sorte d’animal incontrôlé. Ils ont raison car les marchés ne les aiment pas non plus... et le cercle devient vicieux. Le débat sur la réglementation du fonctionnement des actifs de marché devrait ainsi être élargi à la question : "comment créer un courant d’épargne longue et stable au niveau européen" ?

La réponse n’est probablement pas uniquement dans l’interdiction des ventes à découvert et dans la directive Solvency 2, dont on sait déjà qu’elle se traduira par une prise de risque plus faible des investisseurs et donc un positionnement sur l’obligataire d’Etat européen plus important, en particulier sur les titres de l’Etat allemand, considérés comme les actifs les moins risqués. Au niveau actuel de la dette des Etats européens et du rôle limité des Etats dans le financement de l’investissement, il est évident que nous manquons de flux d’épargne stables orientés vers les entreprises. Au-delà du débat qui reste ouvert sur la nécessité des fonds de pension, au niveau national, c’est bien dans l’évolution de l’orientation des produits d’épargne de long terme qu’il faut trouver des réponses : réforme du contrat en euros (multi-support ou non) pour en faire un produit moins attractif, réforme de l’euro-diversifié pour qu’il soit plus attractif, réforme du PERP (produit de long terme géré actuellement à court terme)...

La décennie 2010 sera difficile pour l’Europe du fait de la démographie et de l’accumulation de dettes qui ont trop servi à financer la consommation et pas assez l’investissement. Les années en cours sont cruciales pour préparer la croissance de demain et l’investissement doit se faire aujourd’hui dans les domaines de l’énergie, des technologies de l’information, des nano-technologies, de la biologie... Si l’Europe est absente de ce combat, il ne nous restera pas beaucoup de domaines d’activités et nous continuerons notre déclin.

En conclusion, la volatilité crée une prime de risque plus élevée, prix de l’incertitude, et son excès nuit au dynamisme économique. A l’inverse, l’absence de volatilité est aussi un obstacle au financement de l’économie car elle traduit un immobilisme et, de manière ultime, l’impossibilité de "liquider" ses actifs. S’attaquer au fonctionnement même des marchés financiers pour mieux optimiser leur fonctionnement est une démarche naturelle et souhaitable (l’entropie existe dans tous les domaines, y compris sur les marchés financiers, comme la nécessité de réguler).

Par contre, il est impératif d’accompagner cette régulation des marchés par la création de systèmes d’épargne orientés vers le financement de l’économie réelle (et non pas de la dette des Etats). En l’absence de réflexion sur ce thème, les réformes actuelles ne feront que rendre encore un peu plus bancal le financement et donc le fonctionnement de l’économie réelle.

La finance doit être au service de l’économie, son utilité sociale dans un monde globalisé et en mutation est sans précédent. Elle doit accompagner les changements structurels de positionnement : évolution des polarités entre les pays avancés et les émergents, allongement de la durée de vie, positionnement stratégique en termes d’activité. Le rôle des Etats est d’accompagner ces évolutions en assumant effectivement, par l’endettement, ces mutations ainsi qu’ en orientant l’épargne vers l’investissement productif de demain.

Xavier Lepine Juin 2010

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