« Je ne démissionnerai jamais », voici la réaction ce week-end de Dilma Roussef, la présidente brésilienne. En effet, la dirigeante du parti des travailleurs, le parti de gauche au pouvoir depuis 2002 avec le premier mandat de Lula, est accusée d’avoir maquillé les comptes publics avant les élections présidentielles d’octobre 2014 pour la favoriser lors du scrutin qu’elle remporta. Certains clament qu’il s’agit d’un crime de responsabilité selon la Constitution, tandis qu’elle et son parti dénoncent une tentative de coup d’Etat, sous prétexte d’une manœuvre pratiquée par tous ses prédécesseurs. En conséquence, une procédure de destitution est en cours mais c’est peu dire qu’il s’agit d’un gigantesque chahut politique.
Dans le détail, l’avocat général, José Eduardo Cardozo, a pris la défense de Mme Roussef ce week-end devant la commission spéciale du Congrès en charge d’un rapport à l’Assemblée plénière concernant la destitution. Par ailleurs, cette commission est constituée de 65 membres dont 35 sont cités dans des enquêtes judiciaires… ! Le vote devrait avoir lieu autour du 15 avril et il faudra à l’opposition le soutien des deux tiers des députés, soit 342 voix, pour que la demande de destitution se poursuive au Sénat qui tranchera définitivement. Mais la présidente a récemment perdu beaucoup de crédit avec la défection du mouvement démocratique brésilien (PMDB) et ses 69 députés dont le leader n’est autre que Michel Temer, actuel vice-président et possible président jusqu’en 2018 en cas de destitution.
Mais le PMBD ne semble pas très à l’aise non plus puisque d’éminents membres du parti sont visés par des soupçons de corruption dans l’affaire Petrobras, notamment le président du Congrès des députés, le viceprésident du Sénat, et Michel Temer lui-même ! Devant cette douloureuse défection, la présidente tente de s’assurer du soutien d’élus de partis secondaires en leur offrant les postes occupés par le PMDB, on parle même d’un prochain remaniement ministériel. C’est, en bref, un spectaculaire désordre, et ça ne s’arrête pas là.
En parallèle, Lula a annoncé son entrée au gouvernement en tant que chef de la maison civile (l’équivalent du poste de Premier ministre) ce week-end, et ce malgré l’annulation de la nomination par un juge de la Cour suprême puisqu’elle pourrait permettre à l’ancien président d’échapper aux poursuites dans le cadre de l’affaire Petrobras. La Cour suprême se prononcera jeudi à ce sujet.
La politique perd totalement la boussole dans un contexte économique catastrophique. Le Brésil est en récession depuis l’année dernière avec un repli de 3,8% du PIB en 2015, la pire année depuis 1990, et les perspectives ne sont guère encourageantes au vu de l’analyse du FMI qui table sur une récession de 3,5% pour 2016. A cela s’ajoutent en 2015 une inflation annuelle de 11%, un chômage qui flirte avec les 10%, un déficit public record de 10,2% du PIB, et une dette qui est passé de 57% à 65% du PIB. Nous parlons tout de même du 5ème pays mondial en termes de superficie et de population…
Pourtant, dans ce contexte sombre, c’est l’embellie sur les marchés brésiliens. Certes, depuis la réélection de Dilma Roussef en octobre 2014, la bourse brésilienne s’est effondrée de 30% et le real brésilien s’est déprécié de 66% contre le dollar. Mais depuis le point bas de janvier dernier, coïncident avec le point bas du baril de pétrole d’ailleurs, l’indice Bovespa a rebondi de presque 33% et le Real brésilien s’est apprécié de 13%, revenant ainsi sur ses niveaux d’août dernier contre le dollar.
Ce rebond peut paraitre curieux en observant la conjoncture et les perspectives brésiliennes mais sur la période les marchés mondiaux ont progressé, au même titre que les cours des matières premières et du baril de pétrole, à l’image de l’action Petrobras qui a bondi de près de 100% entre fin janvier et début avril.
Même si l’appréciation des cours des matières premières peut expliquer une partie du mouvement, nul doute que le rebond brésilien apparait excessif. Pour de nombreux observateurs locaux, la réponse est ailleurs.
Selon eux, le marché verrait d’un bon œil un changement de gouvernement puisque le chaos économique est notamment lié au chahut politique actuel, dans la mesure où la situation politique ne permet pas de mettre en route les réformes structurelles dont le pays a besoin. Or, le marché estime que la probabilité de la chute du gouvernement augmente fortement, cela suffit donc à justifier ce violent rallye brésilien.
Toutefois, là où les marchés se trompent, c’est qu’alternance politique ne rime pas nécessairement avec amélioration économique, encore moins dans les circonstances décrites plus haut. Les questions suivantes se posent : comment se comporteront le marché brésilien et le real si le chahut politique ne se calme pas en cas d’alternance ? Si la procédure de destitution est avortée et que le flou politique perdure ? Et si le gouvernement suivant ne rassure pas plus ? Avec un tel rallye et les questions précédentes, la prudence devrait être de mise sur les marchés de la première économie sud-américaine.