Compte tenu de ses caractéristiques boursières uniques, l’or est une composante importante à envisager dans un portefeuille. Ce métal peut avoir des caractéristiques défensives, ce qui est généralement très profitable en temps de crise économique et il réagit généralement bien à l’inflation ce qui peut s’avérer payant lors des périodes de croissance économique. À l’image de toutes les composantes essentielles d’un portefeuille, nous devons tenir compte de son approvisionnement responsable et des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).
Les questions ESG sont complexes et multidimensionnelles
Dans le cas des matières premières comme l’or, il est souvent difficile de savoir à quoi correspondent les facteurs ESG. En effet, les activités d’extraction, de raffinage voire de stockage de la matière première peuvent avoir de graves répercussions sur l’environnement et sur les communautés locales. Par ailleurs, l’amélioration des normes environnementales peut se faire au prix des normes sociales (et vice versa). Chaque investisseur/consommateur peut avoir une vision légèrement différente des facteurs ESG. Dans un article de blog précédent, nous avons parlé du concept d’approvisionnement responsable et des normes établies par la London Bullion Metals Association (LBMA) [1].
Privilégier l’or uniquement recyclé est une fausse piste
Certains participants de marché font la promotion de l’or recyclé comme le nec plus ultra de l’or respectueux des facteurs ESG. En effet, l’or est recyclable à l’infini et étant donné que la plupart de l’or extrait est facilement mobilisable, il affiche le plus fort taux de recyclage de tous les métaux. Depuis le moment où il est découvert, seulement 2 % de tout l’or extrait d’une mine n’est pas décompté [2] pour avoir été jeté ou perdu sa trace. L’or étant tout simplement trop coûteux pour être jeté, ses taux de recyclage sont élevés.
D’après le Conseil mondial de l’or, 205 238 tonnes d’or ont été extraites au cours de l’histoire jusqu’en 2021, dont environ deux-tiers depuis 1950 [3]. Dans la mesure où l’or est recyclable à l’infini, la quasi-totalité du métal existe encore sous une forme ou une autre. De ce fait, les stocks extraits représentent près de 60 ans de la production minière actuelle. Sachant que la majorité de cet or (85 %) [4] est très facilement recyclable car il est entre les mains de personnes et de banques centrales et de qualité élevée (or de propriété privée détenu à des fins d’investissement : 45 456 tonnes, joaillerie : 94 494 tonnes, banques centrales : 34 592 tonnes), l’or nouvellement extrait (3 560,7 tonnes en 2021) représente un peu plus de 2 % de ces stocks d’or facilement acquérable ou recyclage ‘à court terme’.
Non seulement la quasi-totalité de l’or est déjà recyclé, mais la grande majorité de l’or traité par les raffineurs respectant les normes de bonne livraison de la LBMA est recyclée [5]. Tout l’or du marché des lingots de gré à gré de Londres (et donc les lingots auxquels sont adossés les ETP investis dans l’or) sont respectueux des normes de bonne livraison de la LBMA. Par voie de conséquence, le lingot moyen de la LBMA devrait d’ores et déjà avoir un contenu fortement recyclé.
Les chiffres fournis ci-dessus indiquent qu’il est quasiment impossible d’augmenter sensiblement le volume d’or recyclé. De ce fait, choisir une stratégie investie dans de l’or uniquement recyclé pour améliorer les facteurs ESG d’un lingot d’or est susceptible d’avoir un impact nul sur le marché et sur l’environnement. Il s’agit d’une mesure de façade bon marché. Au niveau microéconomique, le lingot émet peu de gaz à effet de serre (GES) si l’on s’en tient uniquement aux émissions en milieu de chaîne et en aval, mais la totalité du cycle de vie du lingot (c’est-à-dire incluant l’extraction du matériau d’origine) émet davantage d’émissions de GES. Les personnes qui souhaitent changer les pratiques du secteur de l’or doivent axer leurs efforts sur d’autres domaines.
Ignorer l’or nouvellement produit diminuera probablement les normes ESG globales
Toute la demande d’or ne peut pas être satisfaite par le recyclage. Sans pression des consommateurs et des investisseurs et sans supervision des exploitants miniers et des raffineurs, l’or nouvellement produit est peu susceptible d’améliorer les indicateurs ESG. À notre avis, la seule façon d’améliorer les normes environnementales et éthiques sur la chaîne de valeur de l’or est de s’attaquer aux problèmes à la source et de veiller à ce que l’or nouveau qui entre dans le système respecte les normes ESG les plus élevées possibles (en compensant les impacts négatifs restants). Nous estimons que les investisseurs peuvent exercer leur influence sur l’or nouvellement extrait. S’ils achètent simplement de l’or exclusivement recyclé et ferment les yeux sur le reste du marché, ils perdent leur influence.
Un recyclage excessif pourrait augmenter les risques de conservation et de provenance
Non seulement l’or uniquement recyclé n’a pas d’impact positif significatif sur l’environnement, mais il encourage également des pertes excessives d’or, ce qui augmente le risque que de l’or provenant de sources douteuses entre dans la réserve destinée au recyclage. Si la LBMA et le Responsible Jewellery Council (RJC) encouragent le recours à des processus robustes qui excluent l’or provenant de sources douteuses, ils ne peuvent pas surveiller la totalité de l’or [6]. La traçabilité peut être perdue après plusieurs recyclages par exemple et l’or provenant de sources douteuses peut commencer à affluer dans la réserve ‘légitime’.
Des données provenant de Metals Focus montrent que la principale source de matériaux recyclés sont les débris d’or (28 % de l’offre totale d’or sur la période de 2010 à 2021) [7]. Les débris d’or se définissent comme l’entièreté d’or qui a été utilisé dans la joaillerie, l’électronique, la dentisterie, les applications décoratives et diverses utilisations industrielles et médicales. Les lingots (nouvellement fabriqués ou coulés) ne peuvent pas par définition faire partie des débris d’or car ils restent sous forme de lingots et ne sont jamais devenus un produit fabriqué. Le traitement des débris, le matériau qui fait partie des flux circulaires entre un raffineur et un fabricant [8] , n’entre généralement pas dans les statistiques sur le recyclage. La ligne entre l’or traité et les débris d’or est souvent floue. D’après l’Alliance for Responsible Mines, les principales normes adoptées par le secteur de la joaillerie considèrent les débris de fabrication comme un matériau éligible à l’or recyclé (même si nous ne se savons pas avec certitude s’il s’agit de la norme appliquée par les membres du RJC). L’Alliance for Responsible Mines affirme que certaines fabrications, plus particulièrement dans le secteur du luxe, peuvent générer plus de 50 % de débris d’or, ce qui augmente le risque que l’or récemment extrait soit introduit en tant que produit recyclé seulement quelques semaines après son extraction [9].
Conclusions
En résumé, la meilleure manière d’intégrer les facteurs ESG aux produits financiers adossés à des métaux précieux physiques est de s’attaquer au problème à la source et de veiller à ce que le produit optimise et atténue les impacts négatifs de l’approvisionnement/l’exploitation minière initiale tout au long de la chaîne de valeur. En incitant la chaîne de production à minimiser et à compenser les impacts négatifs et les émissions de gaz à effet de serre, les investisseurs peuvent avoir un véritable impact sur l’or en circulation.