Le déploiement des vaccins est beaucoup plus lent sur les marchés émergents que sur les marchés développés, en raison des contraintes d’approvisionnement. Si certains pays émergents comme le Chili et d’autres en Europe centrale et de l’Est parviennent à distribuer les doses relativement rapidement, la plupart sont à la traîne.
Malgré des propos rassurants ces dernières semaines, l’accumulation de vaccins par les pays développés continue de freiner l’acheminement vers les pays émergents. La Chine et la Russie profitent de cette situation pour proposer leurs propres vaccins à certains pays, en particulier ceux qui seront autorisés à fabriquer des doses, dans l’espoir de renforcer des alliances ou d’en créer de nouvelles. La dépendance aux importations demeure toutefois une source majeure de vulnérabilité pour de nombreux pays émergents, dont les économies risquent de sous-performer cette année.
Comment la distribution de vaccins progresse-t-elle sur les marchés émergents ?
En décembre, nous avions expliqué que si le déploiement des vaccins contre la Covid avait un impact très positif sur de nombreuses économies émergentes, il ne faudrait pas trop espérer un retour rapide à la normale. Beaucoup de pays émergents souffrent en effet d’un problème d’infrastructure et de gouvernance et rares sont ceux qui avaient commandé suffisamment de doses pour immuniser leurs populations, en plus de miser sur des vaccins qui n’avaient pas encore prouvé leur efficacité et dont la mise sur le marché n’avait pas encore été autorisée.
Les données relatives à la vaccination publiées jusqu’à présent confirment malheureusement ce scénario.
Certains pays s’en sortent toutefois mieux que les autres. C’est, par exemple, le cas du Chili, dont environ 15 % de la population avaient déjà reçu au moins une dose au 19 février et 5 % avaient déjà été vaccinés au cours des sept jours précédents (voir le graphique ci-dessous). Le Chili est l’un des rares pays émergents qui avaient commandé une grande quantité de vaccins, notamment auprès de fournisseurs comme Pfizer, avec un produit prêt à l’utilisation.
Dans un même temps, certains pays d’Europe centrale et de l’Est se débrouillent également relativement bien et ont déjà vacciné environ 7 % de leur population, grâce à leur accès aux stocks de l’Union européenne. Autre bonne surprise, le rythme de la vaccination s’accélère également en Turquie.
Il n’empêche que la plupart des grands pays émergents ont pris du retard dans la course à la vaccination. Au 20 février, l’Inde et le Mexique n’avaient administré une première dose qu’à environ 1 % de leur population et le Brésil à seulement 3 %. Même la Chine et la Russie (les deux seuls pays émergents à avoir développé leurs propres vaccins) sont à la traîne, bien que les données datent respectivement du 9 et du 10 février.
Les problèmes rencontrés jusqu’à présent dans le déploiement des vaccins sont surtout liés à l’offre. Le Brésil a, par exemple, démarré sa campagne de vaccination en janvier après avoir été livré par Sinovac (Chine) et Oxford/AstraZeneca (dont les doses sont fabriquées en Inde). Mais le pays a dû provisoirement interrompre la distribution en début de mois, faute de nouvelles livraisons.
De tels retards ne sont pas vraiment surprenants. La plupart des marchés émergents dépendent en effet des importations pour leurs vaccins, alors que les pays plus riches accumulent leurs stocks. Dans un même temps, les fabricants ne sont pas parvenus à produire autant que prévu en raison des difficultés à mettre en place de nouvelles lignes de production.
Vaccins : une arme de « soft power »
Les pénuries devraient se résorber grâce à l’optimisation des processus de fabrication et à l’arrivée de nouveaux vaccins. Toutefois, certains marchés émergents restent mieux placés que d’autres et, malgré les propos rassurants tenus par les responsables européens, le nationalisme vaccinal continuera de peser sur l’approvisionnement des pays qui dépendent des importations.
Comme le montrent les cartes ci-dessous, la Chine et la Russie tentent actuellement de combler les vides créés par les accumulations de stocks dans les pays développés. Ces livraisons pourraient être utilisées comme une arme de « soft power » pour étendre leur influence en Afrique, en Amérique latine et dans certaines régions d’Asie.
Certains pays émergents comme le Brésil et l’Égypte seront autorisés à fabriquer eux-mêmes des vaccins, ce qui pourrait aider à accélérer le rythme des vaccinations dans les prochains mois. D’autres grands pays émergents comme le Mexique continueront toutefois de dépendre des importations et resteront donc exposés aux risques de ruptures d’approvisionnement et de ralentissement du déploiement des vaccins.
Les pays en retard dans la vaccination sont-ils condamnés à sous-performer ?
Toutes choses étant égales par ailleurs, les marchés émergents en retard dans le déploiement des vaccins prendront plus de temps à rouvrir leurs économies et risquent donc de sous-performer. Un constat qui doit cependant être nuancé. La Chine et d’autres régions d’Asie qui ont réussi à maîtriser la pandémie ont été en mesure de lever une grande partie de leurs mesures de restriction et se sont donc relativement bien comportées.
À l’autre bout du spectre, le rythme des nouvelles infections a ralenti en Inde et en Afrique du Sud, malgré une mauvaise gestion de la pandémie et la lenteur du déploiement des vaccins. Cela laisse supposer qu’une certaine forme d’immunité collective pourrait avoir été atteinte et que ces marchés pourraient évoluer beaucoup mieux que prévu.
En conclusion, si le déploiement des vaccins sur les marchés émergents doit être suivi de près, ce n’est pas le seul facteur qui déterminera la possibilité d’une reprise macroéconomique cette année.