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Loïc Féry : "Paris peut devenir le centre financier de référence"

Fondateur et CEO de Chenavari, Loïc Féry retrace les quinze premières années de sa société de gestion basée à Londres, et ne cache pas que Paris est redevenu une place hautement stratégique depuis le Brexit.

Next Finance : Chenavari a été créé il y a 15 ans. Quel bilan faites-vous et comment décrivez-vous votre activité aujourd’hui ?

Loïc Féry : L’asset management, c’est comme le vin : c’est dans la durée qu’on mesure la cohérence et la consistance des procédures d’investissement. Sur les sociétés de gestion, le "death rate" est très élevé les premières années. La probabilité de passer cinq ans doit être de 50%, et d’à peine 10% au bout de dix ans. Chenavari fait aujourd’hui partie des sociétés reconnues en Europe pour leur savoir-faire sur tous les métiers du crédit. Nous avons choisi de n’intervenir que sur les marchés en Europe, sans aller aux Etats-Unis ou en Asie. Mais nous sommes présents sur tout le continuum de liquidités de crédits : des instruments les plus liquides tels que les indices, les produits dérivés de crédit, en passant par les leveraged loans et les marchés de dette privée. Nous détenons également des participations dans des sociétés de crédits à la consommation ou de prêts hypothécaires ce qui s’assimile à du private equity dans les métiers du crédit.

Nos performances ont été très bonnes lors des premières années, ce qui nous a aidé à asseoir notre développement. Quinze ans plus tard, nous sommes plus forts grâce à des process plus rodés et une équipe stable. Nous sommes un spécialiste du fixed income alternatif, pas un hedge fund. Nous comptons parmi nos clients des fonds de retraite, des fonds souverains, des family office, des acteurs institutionnels de la banque et de l’assurance. Nous avons plus de 350 investisseurs institutionnels dans le monde.

Dans votre premier entretien donné à Next-Finance, en 2010, vous disiez que "la résolution des problèmes de solvabilité de certains états ne [serait] pas simple". Cela s’est confirmé les années suivantes, et aujourd’hui encore. Comment avez-vous adapté votre modèle pendant ces années ?

L’environnement de 2011 - 2012 était assez similaire à celui d’aujourd’hui.

Les Etats ont des problèmes de dettes, avec des conséquences sur les marchés, ce qui nous amène à évaluer si les obligations de ces états sont intéressantes. C’était le cas de celles de l’Espagne, du Portugal ou de la Grèce, il y a dix ans. Nous avons d’ailleurs été l’un des plus gros investisseurs en Grèce lors de la longue récession, dès la première année. Nous avons été un acteur important pour refinancer son économie, ainsi que l’un des partenaires principaux de la cinquième banque grecque, et avons aussi contribué au redémarrage des activités d’armateurs après la crise. Notre logique était de ne faire aucun investissement sur les bateaux lorsqu’ils étaient très chers. C’est lorsque ces actifs ont perdu 75% de leur valeur que nous avons pu octroyer des prêts. C’est la logique de la valeur relative.

Aujourd’hui, la finance sort d’un cycle d’ultra liquidités qui a duré cinq ou six ans, et qui était plus un cycle equity qu’un cycle crédit. On va probablement assister à un repricing de l’equity. Cela devrait être favorable aux gérants en fixed income, et donc très intéressant pour un acteur comme Chenavari.

Aujourd'hui, la finance sort d'un cycle d'ultra liquidités qui a duré cinq ou six ans, et qui était plus un cycle equity qu'un cycle crédit. On va probablement assister à un repricing de l'equity. Cela devrait être favorable aux gérants en fixed income, et donc très intéressant pour un acteur comme Chenavari.
Loïc Féry, Fondateur et CEO de Chenavari

La crise de la dette souveraine concernait des pays européens de taille intermédiaire il y a dix ans. Aujourd’hui, des questions se posent sur le Royaume-Uni. Cela change-t-il quelque chose dans votre approche globale ?

La situation au Royaume-Uni est la conséquence des choix du Royaume Uni. Il a choisi son destin en sortant de l’Europe. Le pays a ensuite connu une crise de leadership. Dans le contexte post-Covid, le Brexit a créé un facteur supplémentaire de dislocation des chaînes d’approvisionnement, avec une pression inflationniste très forte.

Des pans entiers de la City vont se relocaliser en Europe. Cela risque d’aller plus mal avant d’aller mieux. Le prix des obligations d’Etat britannique pourrait continuer de descendre.

Londres est-il toujours le cœur européen de la finance ?

Non. Le Brexit a changé cet état de fait, à moins que la City devienne le Singapour européen, ce qui impliquerait une trajectoire très différente de celle qui a été prise. II y a un exode très marqué, et Paris a une carte à jouer.

Il y a encore des obstacles logistiques importants à Paris, mais la voir devenir le nouveau centre financier européen serait juste. Les grandes écoles françaises sont très représentées dans les métiers de la finance. La légitimité est évidente. Cela dit, il y a une problématique d’accueil, en matière d’écoles, par exemple, ou de charges sociales. Il y a aussi le dumping des pays voisins. Tant qu’on n’aura pas cette intégration au niveau européen, avec des conditions égales entre pays, certaines évolutions seront lentes. Mais Paris a une bonne chance de devenir un centre financier mondial de référence, au moins pour la gestion d’actifs.

Vous avez créé Chenavari en 2007, en pleine crise financière. Au fil des nombreuses tempêtes des quinze dernières années, avez-vous mis en place des méthodes que vous ne connaissiez pas ou que vous n’imaginiez pas appliquer un jour ?

Nous nous efforçons de faire nos investissements avec des process systématiques, mais aussi un esprit critique et ouvert. Ce n’est pas parce qu’on travaille deux mois sur un deal qu’on le fera à tout prix. On a adopté à la théorie du pre-mortem, développée par le psychologue et économiste Daniel Kahneman. A savoir qu’avant de faire une transaction, on essaie d’imaginer à l’avance qu’elle ne fonctionnera pas, afin de comprendre les raisons de cet échec virtuel, et ne pas commettre les erreurs pendant le processus, s’il est mené. Cela nous amène à envisager toutes les raisons qu’on n’aurait pas envisagées si on avait seulement visualisé le succès final. Cette logique est au cœur de ce qu’un investisseur comme nous doit faire. Avec ce principe, un analyste de cinq ans d’expérience peut challenger un analyste de 25 ans de métier.

Cela permet aussi de ne pas se laisser trop influencer par le bruit, ou par des biais. Un paquebot de 5 milliards de dollars sous gestion n’est pas la même chose que celui de 50 millions des débuts. Ce n’est pas plus difficile, mais différent. Il faut avoir un cap, et à partir de ce cap, identifier les valeurs relatives, puis déployer le capital. Et savoir changer de cap par fortes tempêtes.

Un paquebot de 5 milliards de dollars sous gestion n'est pas la même chose que celui de 50 millions des débuts. Ce n'est pas plus difficile, mais différent.
Loïc Féry, Fondateur et CEO de Chenavari

A titre personnel, vous êtes par ailleurs, depuis 2009, le propriétaire du Football Club de Lorient, dont la cote de sympathie est l’une des plus élevées du football français. En quoi ce rôle a-t-il influencé l’exercice de votre métier principal ?

Il existe beaucoup de similitudes entre ce qu’on fait à Chenavari et un sport collectif. Il faut être le meilleur possible tous les jours. Les gérants de portefeuille sont des compétiteurs à part entière. Ils voient leurs performances, puis celles de leurs concurrents. Cela ne ment pas, c’est comme le score d’un match. Les gérants de portefeuille ne sont pas des stars médiatisées comme les footballeurs, mais dans leur domaine, ils sont très observés.

Il y a aussi une dimension humaine comparable, puisqu’il s’agit de faire vivre des talents ensemble, pour leur permettre de donner le meilleur d’eux-mêmes. Ce degré d’exigence implique une éthique, une discipline.

Le football fait vivre des émotions uniques. Mais ce que j’ai préféré, c’est faire remonter Lorient de Ligue 2 en Ligue 1. Cela nous a pris trois ans. Nous sommes restés en L2 les deux années où nous avions le plus gros budget, puis sommes finalement remontés l’année où nous avions un budget inférieur. C’est une remontée qui a beaucoup de sens.

JH , Next Finance Décembre 2022

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