Le premier quart de l’année 2011 s’achève et l’on est en droit de se réinterroger quant à une allocation d’actifs aussi sécurisée que possible sur les marchés financiers
Pour ma part, je considère qu’il faut savoir agir sur les marchés en cohérence avec ce que l’on écrit, avec ce que l’on argumente et avec ce que l’on pense (surtout quand des convictions fortes sont au rendez vous)
l’analyse et la compréhension des fondamentaux macroéconomiques et microéconomiques sont aujourd’hui presque anecdotiques comparées aux enjeux des risques structurels nouveaux pour anticiper et couvrir ses investissements et optimiser la gestion de son bilan.Mory Doré
Ainsi, durant ce premier trimestre 2011, mes prises de décision sur les marchés m’auront conduit
A vendre les grandes capitalisations boursières occidentales (principalement les actions des secteurs banque, assurance…) tout en conservant encore un peu les valeurs à très hauts dividendes ou des actions susceptibles de faire l’objet de situations spéciales
A vendre également mes obligations d’état (pas celles des PIGS puisque je n’en avais pas) des pays jugés, à tort ou à raison, les plus sûrs du point de vue de la solvabilité budgétaire (OAT française, Bund allemand, Gilt UK, Treasury US, ….)
A ne pas revenir tout de suite sur les actifs émergents même si en valeur relative ceux-ci devraient surperformer les actifs taux, actions et devises des zones géographiques OCDE. On va en reparler
A conserver l’obligataire corporate défensif qu’il soit noté en catégorie investment grade (donc jusqu’à BBB-) ou qu’il soit noté en catégorie spéculative grade
A poursuivre le renforcement sur les actifs réels (immobilier, actifs tangibles..) et actifs financiers profitant de la baisse de taux d’intérêt réels et/ou de la hausse des taux d’inflation :
- obligations indexées inflation rigoureusement sélectionnées dès maintenant
- puis matières premières dans une optique d’investissement socialement responsable et non dans un but purement spéculatif ;
- et enfin demain actifs émergents
Vendre simultanément les actions et les obligations d’état revient à se couvrir contre des risques de stagflation économique (coexistence du ralentissement économique et de l’inflation). Mais pas seulement puisque cela revient également à se protéger contre la survenance de quatre risques structurels nouveaux.
RISQUES LIES AU DURCISSEMENT DES RÉGLEMENTATIONS PRUDENTIELLES
Il y a premièrement les risques liés au durcissement des réglementations prudentielles (Bale III pour les banques même si le calendrier de mise en place est étalé dans le temps ; Solvency II pour le monde de l’assurance). Nous écrivons depuis longtemps que ces évolutions à venir vont pénaliser durablement les performances des marchés actions : faiblesse anticipée de la demande d’actions par les investisseurs institutionnels car ces actifs seront trop fortement consommateurs de fonds propres ; et de l’autre coté, hausse anticipée de l’offre et donc des émissions d’actions (dans le secteur bancasssurance mais pas seulement) liées à des besoins de plus en plus importants de recapitalisation.
Il faut surveiller l’évolution du prix des matières premières agricoles, indicateur avancé des risques sociaux et politiques dans le monde émergent...et également l’évolution du prix des matières premières énergétiques, pour l'évaluation des risques de stagflation structurelle dans les pays occidentauxMory Doré
RISQUES GÉOPOLITIQUES
Il y a deuxièmement les risques géopolitiques liés aux mouvements de révolte et aux aspirations populaires au Moyen Orient aujourd’hui, en Afrique au sud du Sahara demain. Ces mouvements ne sont pas passagers car ils traduisent la remise en cause de modèles de développement économique et de systèmes politiques autocratiques dans un contexte de forte hausse des prix alimentaires. Cette instabilité géopolitique qui touche des zones pétrolières fait naturellement craindre des risques de stagflation forts en Occident : inflation importée sans pour autant provoquer pour l’instant des effets de second tour via des hausses de salaires, prélèvement sur le pouvoir d’achat des consommateurs de nature à peser sur le PIB.
Il ne faut malheureusement pas sous-estimer les risques de crise alimentaire dans certaines économies émergentes. Ce risque existe particulièrement dans les pays qui ne disposent pas d’un approvisionnement efficace en céréales et pour lesquels le poids de l’alimentation dans l’inflation est très important.
Certaines statistiques puisées ici ou là dans des publications OCDE ou FMI sont en effet effrayantes. En effet le poids de l’alimentation dans l’indice des prix de certains pays émergents est tout simplement hallucinant
- En Afrique par exemple, ce poids est de 56% en Egypte (66% en incluant les prix énergétiques), de 36% en Tunisie (43% en incluant les prix énergétiques) et de 44% en Algérie
- Parmi les pays d’Asie les plus pauvres, on note un poids de 40% au Pakistan et de 58% au Bangladesh
- Les émeutes de la faim risquent de ne pas épargner les pays les plus avancés parmi les émergents d’Asie. Le poids de l’alimentation dans les CPI (consumer price index) de certains de ces pays est significatif : 33% en Chine, 26% à Hong Kong ; 26% à Taiwan, 46 % en Inde, 31% en Malaisie, 50% aux Philippines
De quoi surveiller de près l’évolution du prix des matières premières agricoles, devenu un véritable indicateur avancé des risques sociaux et politiques dans le monde émergent. Sans oublier de suivre également l’évolution du prix des matières premières énergétiques, qui permettra d’évaluer les risques de stagflation structurelle dans les pays occidentaux.
Si l’on sait à peu près évaluer les besoins d’émissions liés aux tombées d’emprunts des pays périphériques de la zone Euro, on ne sait pas estimer précisément quels seraient les besoins de ces états pour recapitaliser leurs systèmes bancairesMory Doré
RISQUE D’IMPLOSION DE LA ZONE EURO
Il y a troisièmement les risques d’implosion de la zone Euro (nous sommes en train de finaliser une étude détaillée sur ce sujet) Certes nous assistons à la mise en place de mécanismes et institutions plus ou moins crédibles de sauvetage des pays les plus fragiles budgétairement de la zone : renforcement du fonds européen de stabilité financière (FESF) , accompagnement du FMI , création d’un véritable fonds monétaire européen qui viendra se substituer au FESF à partir de juin 2013 et qui sera baptisé Mécanisme européen de stabilité financière (MESF).
Le problème, c’est que si l’on sait à peu près évaluer les besoins d’émissions liés aux tombées d’emprunts des pays périphériques de la zone Euro, on ne sait pas estimer précisément quels seraient les besoins de ces états pour recapitaliser leurs systèmes bancaires.
Et puis au-delà de ces évaluations, force est de reconnaître que la mise en place de ces fonds de secours ne permet de régler que le problème de liquidité de ces états sur les trois exercices à venir entre 2011 et 2013, mais en aucun cas le problème structurel qui est celui de la crise de solvabilité structurelle (elle-même liée à la spécialisation sectorielle de pays qui ne pourront, en l’état, jamais dégager d’excédents commerciaux).
On pense naturellement à la dramatique conjoncture japonaise...mais on doit aussi penser à des évolutions structurelles fortes quant au changement de modèle économique en Asie émergente en général et en Chine en particulierMory Doré
RISQUES LIÉES AU COMPORTEMENT D’ÉPARGNE DES INVESTISSEURS ASIATIQUES
Il y a quatrièmement les risques liés au comportement d’épargne des investisseurs asiatiques et c’est sans doute le risque le plus préoccupant quant à l’équilibre du système financier international
On pense naturellement à la dramatique conjoncture japonaise. On sait, d’après les sources officielles du ministère japonais des finances, que fin 2009 les investissements nets japonais à l’étranger étaient évalués à 3000 Milliards de dollars dont 1300 Milliards de dollars d’Investissements en actifs financiers. Plus de 90 % des investissements de portefeuille réalisés en 2010 concernaient des obligations corporate ou souveraines, et parmi ces flux nouveaux, les achats de souverains US se taillaient la part du lion avec un total de près de 160 Milliards de dollars. On comprend dès lors les risques énormes qui pèsent sur le marché obligataire US si l’épargne japonaise devait être rapatriée significativement pour faire face à des besoins de reconstruction encore très mal évalués. Après les réallocations prévues par la gestion obligataire la plus crédible du monde, celle des équipes de PIMCO et de son patron Bill Gross, ceci ne peut que renforcer les risques de krach obligataire aux Etats Unis et corrélativement sur les marchés obligataires UK et France-Allemagne.
Mais on doit aussi penser à des évolutions structurelles fortes quant au changement de modèle économique en Asie émergente en général et en Chine en particulier. Certes, nous n’attendons pas demain un changement de régime de changes en Chine si bien que la situation d’accumulation de réserves de change consistant à émettre de la monnaie pour la vendre contre dollar et euro en achetant des titres d’état libellés dans ces devises pourrait se poursuivre quelque temps et donc retarder la remontée des rendements longs. Mais l’on sait qu’il faut commencer à anticiper sérieusement le remplacement du modèle de croissance chinoise basé sur les exportations (donc sur l’accumulation de réserves de changes) par un modèle basé sur la croissance domestique ; et quand ces jours viendront, les rapatriements de capitaux de la Chine et de l’Asie émergente accentueront ce violent réajustement à la hausse des taux longs de part et d’autre de l’Atlantique… Il me semble que ces jours ne sont plus si lointains.
Alors les fondamentaux dans tout cela servent-ils encore à anticiper autant que faire se peut les grandes tendances directionnelles ? On pense aux fondamentaux macroéconomiques : les révisions de PIB, les indices de confiance type PMI en Europe et ISM aux US , les statistiques de créations d’emploi ou de ventes de détail, indicateurs avancés de l’état de la consommation et donc des perspectives de croissance ; et l’on pense également aux fondamentaux microéconomiques avec les perspectives d’earnings des entreprises
Au risque de choquer économistes apprentis et confirmés , l’analyse et la compréhension de ces fondamentaux sont aujourd’hui presque anecdotiques comparées aux enjeux des risques structurels décrits ci-dessus pour anticiper et couvrir ses investissements et optimiser la gestion de son bilan.
Tout au plus l’analyse de ces fondamentaux peut permettre de prendre des paris de trading court terme. Par ailleurs, cette analyse ne pourrait permettre d’envisager des stratégies d’investissement et de couverture à moyen et long terme qu’à la condition que celle-ci impacte significativement la politique monétaire des banques centrales. Or l’on sait aujourd’hui que celle-ci ne sera ajustée qu’à la marge en zone Euro par la BCE (un ou deux relèvements de 0.25% du REPO avant de se rendre compte au début de l’été vraisemblablement que c’était une absurdité) ; on sait également que les banques centrales anglo-saxonnes FED et BOE devraient maintenir un statu quo monétaire prolongé en dépit des statistiques de pseudo-robustesse de la conjoncture US et de pseudo-tensions inflationnistes UK.
Tout ceci milite pour des paris forts et marqués de repentifcation ou/et de fin d’aplatissement des courbes de taux. Notamment en zone Euro avec l’achat des maturités 2 ans (trop fortement pénalisées ces dernières semaines par des anticipations exagérées de durcissement monétaire de la BCE) et la vente des maturités 10 ans (afin de se protéger des prémices de krach obligataire)
On ne saurait terminer ce papier sans tirer des enseignements en termes de paris directionnels à moyen terme sur les devises
- Naturellement, il faut anticiper une faiblesse structurelle des « grandes » devises que sont le dollar, l’euro et le sterling vis-à-vis de nombreuses monnaies émergentes
- Il faut aussi parier sur un maintien de la vigueur de devises telles que le Franc suisse (aversion au risque et maintien de primes de risques géopolitiques) et le Yen (risques persistants de rapatriements de l’épargne nippone)
- Dans un contexte d’appréciation structurelle du prix des matières premières, les devises dites commodities devraient naturellement se renforcer (on pense aux trois dollars : australien, canadien et néo-zélandais) contre dollar US même si aujourd’hui il vaut mieux attendre une correction technique de ces devises compte tenu de leur parcours haussier récent
Les « grandes » devises que sont le dollar, l’euro et le sterling sont amenées à s’affaiblir pour des raisons différentes : le dollar par anticipation d’une perte de son statut de monnaie de réserve et de la difficulté de plus en plus grande qu’il y aura à financer les déficits US ; le sterling pour des raisons d’affaiblissement durable de l’économie britannique et là aussi de difficulté à financer les déficits commerciaux structurels ; l’euro enfin compte tenu des risques réels de remise en cause du fonctionnement de la zone tel qu’il existe aujourd’hui. La question est donc de savoir comment ces devises vont varier entre elles
- l’observation des déficits courants et surtout de leur financement est plutôt baissier pour des devises comme le dollar et le sterling mais probablement plus baissier sterling puisque cette devise n’a pas de statut de monnaie internationale comme peut l’avoir encore le dollar. Nous anticipons un retour de la parité GBP/USD dans la zone 1.50-1.53 d’ici le début de l’été (ancien plus bas de fin 2010) contre 1.59-1.63 aujourd’hui
- Malgré le maintien d’une politique monétaire plus accommodante aussi bien aux Etats-Unis qu’en zone Euro, nous restons franchement baissiers sur la parité €/USD puisque la prime de risque sur les dettes périphériques de la zone € persistera et s’intensifiera. Notre objectif se situe sur un retour dans la zone 1.26-1.30 (plus bas de fin août 2010 et début janvier 2011) d’ici le début de l’été 2011