Les hedge funds et les investisseurs institutionnels traditionnels se tournent de plus en plus vers les total return futures (TRFs) pour s’exposer au marché du repo lié à un indice sous-jacent tel que l’EURO STOXX 50© Index. Antoine Deix [1], Senior Equity Derivatives Strategist chez BNP Paribas, explique comment ces acteurs des marchés font actuellement usage des TRFs, les avantages qu’elles en tirent par rapport aux swaps (TRS) ou aux futures indiciels, et comment il voit l’environnement évoluer l’an prochain.
Quelles sont les principales différences entre les TRFs, les TRS et les futures classiques ?
Antoine Deix : Les futures EURO STOXX 50© comme les total return futures EURO STOXX 50© permettent de s’exposer à la performance de l’indice EURO STOXX 50© sous-jacent. Les futures étant côtés, ils jouissent d’une liquidité et d’une transparence élevées. Il s’agit de contrats fongibles et compensés par une chambre de compensation, ce qui atténue le risque de contrepartie. Ils présentent aussi le grand avantage de faciliter le « netting » des marges initiales.
Les TRS sont négociés de gré à gré, ils offrent un accès aux échéances à long terme permettant aux intervenants de fixer les écarts de financement à long terme et de supprimer le risque de « rolls » trimestriel. Par rapport aux futures EURO STOXX 50©, , les TRS sont axés sur le rendement total et donc éliminent le risque d’exposition aux dividendes présent dans les futures EURO STOXX 50©.
Les TRFs profitent des meilleurs atouts de ces deux types d’instruments. Ils revêtent les mêmes caractéristiques que les TRS mais, comme ils sont cotés, ils présentent les mêmes avantages que les futures EURO STOXX 50©. Il s’agit d’une solution cotée permettant la compensation des marges initiales, la fixation des écarts de financement à long terme ainsi que la suppression des risques de « rolls » trimestriel et des risques associés aux dividendes.
Comment les gérants d’actifs et les hedge funds utilisent-ils les TRFs aujourd’hui et qu’est-ce qui les motive à en faire usage ?
Antoine Deix : Les investisseurs institutionnels, tels que les gérants de fonds et les fonds de pension, ainsi que les hedge funds se focalisent sur la négociation des écarts calendaires pour capter l’alpha attendu de la structure à terme inversée sur le repo.
La structure à terme des TRFs est orientée à la hausse, essentiellement suivant l’inverse de la structure à terme sur le repo. Les flux ayant un impact sur la partie courte de la courbe repo diffèrent de ceux qui influent sur la partie longue de la courbe. Ce phénomène crée une opportunité de génération d’alpha en donnant lieu à un écart calendaire entre les échéances à court et à long terme. Les investisseurs institutionnels et les hedge funds s’efforcent de capter cet alpha induit par les écarts calendaires sur la structure à terme de repo des TRF.
On s’attendait initialement à ce que les hedge funds se focalisent sur l’écart calendaire, tandis que les gérants d’actifs traditionnels seraient plus actifs au niveau du remplacement de bêta et des titres. Les deux se sont néanmoins montrés assez actifs en privilegiant la génération d’alpha par des arbitrages d’écarts calendaires. Nous continuons de penser que les TRF présentent d’autres avantages pour les investisseurs institutionnels tels que le remplacement du bêta par des TRF à court terme (1 an) ou l’optimisation de la couverture des portefeuilles grâce à des TRF directionnels plus long terme.
Quels sont les avantages que les entreprises peuvent s’attendre à obtenir en recourant aux TRFs ?
Antoine Deix : Les avantages liés à l’utilisation des TRF EURO STOXX 50© par rapport aux contrats à terme EURO STOXX 50© résident dans l’élimination du risque lié aux dividendes et du risque de roll trimestriel dans la mesure où le repo à court terme peut s’avérer volatile en fonction des conditions et de la performance des marchés. Les TRFs permettent également aux investisseurs de fixer le spread de financement à long terme.
L’avantage lié à l’utilisation de TRFs par rapport aux TRS a trait aux avantages associés à l’utilisation d’un produit coté tel que les futures, incluant la compensation des marges initiales
Outre les avantages apportés par les spécificités du produit, les TRFs permettent, grâce à l’écart calendaire, d’isoler le paramètre du repo et la génération d’alpha – ce que vous pouvez obtenir du portage de l’écart des spread de financement et du « roll down » attendu sur la courbe des TRFs.
Concernant les hedge funds, pouvez-vous en dire un peu plus sur l’utilisation de ces instruments pour générer de l’alpha ?
Antoine Deix : En examinant la structure à terme du repo, on constate que le repo à court terme peut s’avérer volatile, car il est tributaire de la performance des marchés, de l’évolution de la réglementation et de la disponibilité du collatéral. En parallèle, l’extrémité longue de la courbe est impactée par l’émission de produits structurés et la distorsion des portefeuilles de produits exotiques.
Les produits structurés les plus courants sont des produits autocallable. Le client final vendra un Put Down and In à l’échéance du produit et Up-and-Out à chaque date d’anniversaire du produit. En vendant ces produits, les desks dédié aux produits structurés obtiennent une position short de forward dans leur portefeuille et doivent racheter ou répliquer ces forwards pour couvrir cette exposition. Comme pour les dividendes, cela crée une pression de vente sur les échéances de moyen à long terme des taux de repo et donc fait augmenter les spreads des TRFs. La duration moyenne de l’émission de produits autocallable en termes d’impact sur la courbe de repo est comprise entre quatre et cinq ans.
Un repli marqué des marchés devrait faire monter les repo court terme, car il stimulera la demande de ventes d’actions physiques et de collatéral. Ce phénomène entraîne un rebond du repo court terme, qui tirera les TRFs à court terme à la baisse. En parallèle, un net recul des marchés augmentera l’exposition forward des desks dédiés aux produits exotiques, exerçant alors une pression de vente sur les repo d’échéances de moyen à long terme. Cela fera donc monter les ecarts de financement des TRFs de moyenne à longue échéance. Ainsi, la structure à terme des TRFs sera orientée à la hausse, créant des opportunités pour bénéficier d’écart de spread, et donc de génération d’alpha à partir des écarts de repo et du potentiel retour à la normale de la courbe repo après la période de tension.
Quel est l’actuel processus suivi par les hedge funds pour exécuter ces stratégies ?
Antoine Deix : On peut négocier les TRFs avec un intervenant de deux façons différentes. La première est le Trade at Index Close (TAIC), qui signifie qu’ils se négocient à la clôture et que les intervenants n’échangent pas le delta. Si Toutefois, la manière la plus courante de négocier des TRFs est la négociation au prix du marché (Trade at Market – TAM). C’est pendant les horaires d’ouverture du marché, et non à la clôture, qu’ils se négocient à un prix préconvenu et échangent le delta. C’est le moyen le plus courant de négocier des TRFs, et ce pour deux raisons. Premièrement, lors du remplacement de position en futures par des TRFs, cela permet d’échanger les futures à un prix préconvenu sans risque d’exécution. Deuxièmement, même pour des trade d’écart calendaire, il reste toujours un delta résiduel, très faible, issu de l’écart de taux de repo entre l’échéance à long et à court terme.
Y a-t-il d’autres avantages auxquels on peut s’attendre ?
Antoine Deix : Pour les hedge funds, il s’agit surtout de la façon d’arbitrer la structure à terme du repo. En réalisant un écart calendaire, s’ils prennent une position longue sur des échéances à court terme et une position courte sur des TRFs à long terme, ils compenseront leur exposition à l’indice sous-jacent.
Le fait d’appliquer une stratégie long/court à la structure à terme des TRFs annulera tout simplement la performance de l’indice et les dividendes. Cela neutralisera aussi l’EONIA de sorte qu’il ne restera que l’écart de spread de financement entre les deux échéances.
En vendant à découvert des échéances à long terme qui dont les écarts de financement peuvent être influés par les flux issus de produits structurés et en achetant les échéances à court terme susceptibles d’être tirées à la baisse en cas de tensions sur les marchés du fait d’une remontée des taux de repo , les investisseurs examinent comment bénéficier du portage positif de l’écart de spread entre les deux échéances et comment peut-être aussi bénéficier du retour à la normale de la courbe.
Comment envisagez-vous l’évolution des TRFs en 2019 ?
Antoine Deix : De nouvelles réglementations comme le règlement EMIR (European Market Infrastructure Regulation) ont accentué la « futurisation » du marché en faisant évoluer la négociation de gré à gré vers des solutions listées. L’encours pour les TRFs EURO STOXX 50© représente plus de 810.000 contrats. Cela équivaut à un montant notionnel d’environ26 milliards d’euros, et le volume négocié en 2018 correspond à plus 1.7 million de contrats, soit un montant notionnel supérieur à61 milliards d’euros.
Nous pensons que les volumes vont doubler l’an prochain avec un transfert total des volumes de gré à gré vers des contrats listés. L’arbitrage des écarts calendaires explique en grande partie le volume des produits jusqu’à présent, et nous pensons que le futur remplacement de l’exposition aux actions et contrats à terme par l’exposition aux TRFs pourrait constituer le prochain gros facteur de croissance des volumes. Cette hausse pourrait provenir essentiellement d’investisseurs institutionnels tels que les gérants d’actifs et les fonds de pension, qui pourraient bénéficier de la dislocation de la structure à terme du repo et du verrouillage des spreads de financement et des taux de repo sur les échéances plus longues.
Comme nous l’avons observé pendant le développement des futures sur dividendes, la croissance des encours et des volumes de TRFs pourrait venir de la cotation des TRFs sur de nouveaux indices autres que l’EURO STOXX 50© Index, voire sur des valeurs individuelles. Cette situation pourrait amener les TRFs à devenir une classe d’actifs à part entière.