Next Finance English Flag Drapeau Francais
Emploi Formation Rechercher

Philippe Aurain : « Nous avons adopté une approche de type LDI afin de servir notre passif de façon sûre »

Modification de l’horizon de gestion, Allocation stratégique, Modèle de type LDI, Investissements classiques et alternatifs, Philippe Aurain, CIO du Fonds de Réserve pour les Retraites [1] fait le bilan de la gestion du fonds…

Next-Finance : Dans quel contexte a été pensé le Fonds des Réserves pour les Retraites (FRR) ?
Philippe Aurain : Le FRR a été pensé à la fin des années 90, début des années 2000 pour lisser les besoins du régime général des retraites du secteur privé qui, pour des raisons démographiques, risquait d’être en déséquilibre entre 2020 et 2040.
Alors que le système était encore en excédent sur un certain nombre de ses sous-ensembles (notamment la CNAV et le conseil d’orientation vieillesse), la stratégie était de capter ces excédents, les mettre en réserve et les utiliser le jour où la démographie rendrait le système déséquilibré. En sus, ces excédents devaient être complétés par le produit des privatisations des années 2000.

Vous aviez un horizon long, a-t-il été modifié par la crise ?
Oui, nous avions un horizon long, 2020-2040, et une situation excédentaire qui nous permettait de constituer des réserves. La crise, a d’abord eu un impact très négatif sur les performances du FRR (-25% de rendement en 2008), heureusement nous avions un peu d’avance, nous ne nous sommes pas affolés, et nous avons pu rebondir. Depuis la création du FRR, sauf en 2008, les performances ont toujours été acceptables.
Par contre, la crise a eu d’importantes conséquences sur le régime général, vu qu’elle a entraîné une diminution des contributions, et a avancé de près de 10 ans le déséquilibre du système, en 2010 au lieu de 2020 !
Le régime avait été conçu en 2005, de façon à être en excédent jusqu’en 2018, c’est bien la crise qui en a changé l’équilibre. Le gouvernement a alors effectué une importante réforme mi 2010. Une réforme paramétrique, qui change un certain nombre de points essentiels, l’âge du droit à la retraite, qui passera à 65 ans en 2018, l’âge des droits complets qui passera à 67 ans, les modalités de contributions, notamment pour les fonctionnaires, le mode d’action du FRR, ainsi que d’autres réformes fiscales.
Concernant le FRR, son horizon a été réduit et son passif a été précisé. Son bénéficiaire, qui précédemment était la CNAV au sens large, à qui on devait des flux sur un échéancier non déterminé jusqu’en 2040, a été modifié. Là, le bénéficiaire est dorénavant la CADES suivant un échéancier extrêmement précis, qui a commencé en 2011 (vu que les déséquilibres sont avérés) et qui s’élèvent à 2.1 milliards d’euros entre 2011 et 2024.
En 2024, en fonction des performances du FRR, un surplus - un flux terminal- sera reversé à la CADES. Le FRR s’arrêtera en 2024, date de la fin supposée de la CADES. Avant nous étions sur un horizon très long, avec un passif flou, maintenant nous sommes sur un horizon plus court, avec un passif très précis. Cela a des conséquences importantes au niveau de notre gestion d’actifs. Auparavant, l’allocation stratégique visait une allocation optimale en 2040 sous certains paramètres de risque. Aujourd’hui, l’objectif du FRR est de servir son passif de manière sûre. En 2010, dans un contexte que nous anticipions hyper volatil pour la décennie suivante, afin de servir notre passif de façon sûre, nous avons changé notre style de gestion, et avons adopté une approche de type LDI qui consiste à utiliser une partie du portefeuille pour couvrir les obligations du passif et une partie du portefeuille pour générer une rémunération excédentaire.

Comment cela s’est-il concrétisé ?
Le 13 décembre 2010, le conseil de surveillance a validé la nouvelle allocation stratégique qui se définit de la manière suivante, 60% du portefeuille est dédié à la couverture du passif et 40% à la recherche de performances complémentaires. Ces poids peuvent varier en fonction de la performance des poches au cours du temps, et nous nous posons la question une fois par an, lors de la revue des grands paramètres d’allocation, s’il faut rebalancer le portefeuille. Si la conclusion est négative, nous laissons dériver le portefeuille. Ces 60% d’actifs de couverture permettent de couvrir environ 85% du passif.

Pourquoi pas 100% du passif ?
En réalité nous nous disons que même en cas de marchés très défavorables, nous ne perdrons pas 100% de notre poche de performance. Il y aura toujours une valeur résiduelle de cette poche.

Comment avez-vous calibré les 85% ?
Nous l’avons fait avec des stress tests très sévères sur la poche de performance, de telle sorte que nous nous assurons que dans le pire des cas, nous pourrons couvrir les 15% restant du passif. Le stress test en question est une perte de 66% de tous les actifs de performances. C’est un stress test assez exceptionnel, immédiat et non sur un an. Cela correspond à peu près au pire scénario de crise, mais entre le pont haut et le point bas. Historiquement, il n’y a pas de scénario où l’on ne peut pas payer le passif, l’histoire peut se réinventer, mais avec ce modèle, la couverture du passif est robuste mais aussi très flexible.
Nous voulions un modèle qui nous permette d’avoir une très grande sécurité du passif mais aussi une plus grande flexibilité dans la gestion des cycles financiers. Nous avons constaté que ces dernières années, les cycles financiers ont été très prononcés, et que nous avions beaucoup de volatilité.

Quelle est votre interprétation de cette violence des cycles financiers ?
Une interprétation possible est que la création de monnaie a été très importante ces dernières années et se déplace d’actifs financiers en actifs financiers. Nous anticipons que cette création monétaire va continuer dans le futur et donc cette volatilité des actifs financiers aussi.
Sur la poche de couverture, il n’y a pas cette problématique, vu qu’il s’agit de la couverture, par contre, sur la poche de performance, qui représente 40% de notre actif, nous avons un surplus important, il faut qu’on puisse gérer nos cycles. Et donc le modèle de gestion proposé et retenu est un modèle de gestion flexible avec un objectif de rendement absolu (6% annualisé). Nous sommes sortis du modèle benchmarké qui ne permettait pas de gérer les cycles sur la poche de performance.

Comment cela s’est comporté sur 2011 ?
A ce jour, le modèle a montré sa robustesse. En 2011, l’ensemble de l’actif a dégagé une performance de 0.37%, ce qui se compare à un Eurostoxx50 à -14.5% sur la même période. Les 2 poches se sont comportées différemment. Nous avons perdu un peu plus sur la poche de performance (-5.9% en 2011) et gagné (+4.5% en 2011) sur la poche de couverture. Une des sources de robustesse, c’est ce hedge naturel entre les actifs dits de couverture et ceux de performance. Le fly to quality nous a bénéficié sur la poche de couverture. Nous avons -5.9% et non pas -14.5% sur la poche de performance, car nous l’avons bien diversifiée et nous avons su réduire le risque au bon moment. La flexibilité a joué, entre juin et décembre, nous avons été sous pondérés en actifs risqués.

Sur la poche de performance, il y a une totale flexibilité, est-ce qu’à contrario, l’allocation de la poche de couverture est totalement figée ?
Elle est construite en adossement de flux à 50%, via des OAT, et donc totalement figée à 50%. Pour les 50% restants de la poche de couverture, une moitié est investie sur du crédit (Investment Grade), et l’autre, sur des obligations internationales. La partie adossement est intangible, et peut être augmentée.

Vous avez une petite poche investie en infrastructure. On observe actuellement de gros mouvements d’institutionnels anglo-saxons vers ce type d’actifs et plus généralement vers les actifs non financiers, est-ce une allocation que vous comptez renforcer ?
Non, nos positions en infrastructure, de l’ordre de 50 millions d’euros et de 200 millions d’euros dans du Private Equity, sont un héritage de l’ancien modèle. A l’époque, nous avions un horizon de 30-40 ans, avec seulement 14 ans aujourd’hui, ça devient beaucoup plus difficile de nous lancer dans des actifs non cotés. Il peut être intéressant de capter de la prime d’illiquidité, mais il nous faudrait alors des actifs non cotés qui ont un horizon de 4 à 5 ans, alors que l’immense majorité possède un horizon de 10 à 15 ans, un peu trop long par rapport à notre besoin.

Vous avez une allocation commodities mais également une allocation inflation, n’y a-t-il pas une redondance ?
La partie commodities, logée dans notre poche de performance, sert à la protection à long terme du pouvoir d’achat de nos bénéficiaires, qui sont des retraités. Nos retraités risquent de payer leur essence beaucoup plus chère dans quelques années, il s’agit ici, de les couvrir. C’est un bon hedge contre l’inflation, en particulier l’inflation commodities, c’est tautologique mais cela fait sens.
C’est aussi un hedge contre l’hyper inflation, notamment si nous avons une pénurie d’essence, ce qui peut arriver si nous avons une croissance très forte dans le monde, ou pour des raisons géopolitiques.
Une autre raison d’investir dans les commodities, est que cet actif est diversifiant, même s’il a tendance à se recoreller comme tous les actifs risqués dans les cas de risque systémique. Néanmoins, il a tendance à diminuer la volatilité du portefeuille.
Voilà 3 bonnes raisons d’investir sur les commodities. Néanmoins, nous essayons de le faire de façon responsable, c’est-à-dire sans participer à la spéculation. Nous prenons en compte un certain nombre de précaution. Nous traitons essentiellement via des swaps sur indice de matières premières classiques. Nous investissons donc de façon passive et non active, c’est-à-dire sans levier, et même si les experts n’ont jamais pu démontrer la relation entre l’investissement financier en commodities et le prix spot des matières premières, par principe de précaution, nous évitons d’investir dans les indices de matières premières agricoles. Si jamais un jour, la relation entre les deux était démontrée, nous ne voudrions pas contribuer à rendre plus difficile l’accès à l’alimentation d’un certain nombre de populations.

Une autre grosse thématique est l’investissement sur les marchés émergents, que ce soit via les actions marchés émergents, via les obligations en devise locale, etc…
Un fonds à horizon 14 ans, devait prendre en compte les grands changements de paradigme du monde, et en particulier la montée en puissance des pays émergents, sur le plan économique et financier. Il doit donc être pondéré de façon significative à cette croissance là, et nous l’avons fait via la dette émergente et les actions émergentes.
Sur les actions émergentes, nous le faisons de deux manières, soit avec des fonds investis dans des entreprises locales, soit avec des mandats qui visent à sélectionner des entreprises de pays développés, exposées à la croissance des pays émergents, c’est d’ailleurs un appel d’offre que nous avons récemment lancé.
Pour la dette émergente, nous sommes investis sur les papiers d’émetteurs locaux, dont 70% d’obligations en monnaie locale et 30% en dollars.

Quid de l’effet cyclique de l’investissement dans les pays émergents ?
Nous gérons le cycle comme nous le faisons sur les pays développés. Surtout pour les actions, cela dépend de notre analyse de la dynamique mondiale et locale. Moins sur les obligations où le marché est beaucoup moins volatil.

Quid des fonds à volatilité cible sur ce type de marché ? Cela ne semble pas être trop l’approche des institutionnels de votre type…
En ce qui nous concerne, nous en ferons probablement un tout petit peu, mais nous ne savons pas encore sous quelle forme. Probablement pas sous forme de produits structurés, mais plutôt sous forme de fonds à volatilité constante.
Mais ce qu’il faut comprendre, c’est qu’à partir du moment où on gère cette poche de performance, elle intègre cette problématique de volatilité constante. La gestion du cycle vise à maitriser le risque et à l’encadrer dans un intervalle qui soit acceptable, notre gestion dynamique est déjà une réplique d’un produit structuré. Elle intègre déjà un peu cette approche.

Et l’approche gestion alternative ? Elle est manifestement absente de votre allocation, pourquoi ?
Jusqu’à maintenant nous avions un horizon très long qui ne rendait pas forcément utile d’avoir des hedge funds. Il n’est pas exclu que nous ayons un jour une de ces stratégies même si ce n’est pas tout à fait d’actualité aujourd’hui.

La plupart des gérants alternatifs que nous rencontrons semblent contraints de se rabattre sur les institutionnels anglo-saxons, accusant les institutionnels français de frilosité…
Nous, nous voulons comprendre ce que nous achetons.
Nous souhaitons augmenter lentement notre périmètre d’investissement, mais surtout, nous voulons à chaque fois bien maîtriser ce que nous prenons en portefeuille, avoir les inventaires, regarder ligne par ligne. Nous voulons bien prendre des risques, mais nous souhaitons avant tout comprendre les risques que nous prenons. Si nous investissons un jour dans des hedge funds, nous aurons besoin d’une totale transparence.

Votre passif est en euros, comment gérez-vous au niveau global votre risque de change ?
Nous couvrons l’essentiel de notre risque de change, c’est-à-dire 100% sur la poche de couverture et 80% sur la poche de performance sauf le risque associé aux pays émergents, car nous considérons qu’un des attraits de ces actifs est constitué par l’augmentation de valeurs de la devise.

Réfléchissez-vous à des allocations alternatives du type obligations catastrophes ?
Parmi les actifs alternatifs, les Cats Bonds, nous intéressent beaucoup, ils pourraient être une voie de diversification, ils seraient logés dans la poche de performance. Il n’est pas exclu que nous en fassions dans le futur.

Quid de l’ISR ? Etes-vous un Investisseur Responsable (IR) ?
Oui, nous avons une identité d’investisseurs responsables (IR), qui se décline dans beaucoup de directions. Nous le faisons via un guide des droits de vote, 90% de nos gérants actions votent, nous participons à de nombreuses initiatives internationales, nous sommes membre fondateur des PRI, nous soutenons l’initiative sur la transparence dans les industries extractives. Nous demandons à nos gérants des reportings sur l’ISR et nous avions une poche ISR qui est arrivée à son terme, et nous avons relancé un appel d’offres suivant deux modalités, la première vise à sélectionner les processus « best in class » et le second vise à faire des fonds de fonds thématiques. A côté de cela, nous demandons à nos gérants de justifier de l’intérêt extra financier d’investir dans telle ou telle société.
Nous avons également un overlay externe qui analyse tous les titres que nous détenons en portefeuille et qui regarde où il y a des problèmes : Nous avons une politique d’engagement envers les sociétés qui ont des comportements non satisfaisants vis-à-vis des droits de l’homme.

Mais n’y a-t-il pas une contradiction entre le fait d’être investisseur IR et le fait d’être un peu plus réactif, notamment en cas de changement de cycle ? Vous n’accompagnez pas les entreprises sur le long terme…
Non cela fait partie des grands à priori sur l’ISR, autant une économie a besoin de financement long, autant je ne vois pas le lien entre la durée d’investissement et l’ISR. Ce qui est important dans l’ISR, c’est qu’on investit dans des titres dont on connait le modèle financier et le modèle social, au sens très large. On est à l’aise avec les externalités générées par cette entreprise. Que pour des raisons financières, on garde cette entreprise pendant 3 ans ou 6 ans, je ne vois pas en quoi c’est ISR. Notre responsabilité est fiduciaire vis-à-vis de nos ayant droits. Etre responsable c’est savoir dans quoi on investit et non pas la durée dans ce dans quoi on investit. C’est un argument qui est souvent assez repris, mais je n’ai jamais vu quelqu’un qui fondait vraiment la justification entre la durée d’investissement et l’ISR.

Parlez d’investissement responsable a-t-il encore du sens lorsqu’on fait des allers retours sur un titre d’une société ? Ou même du trading haute fréquence ?
Pour un investisseur institutionnel, cela n’a pas vraiment de sens, encore que pour ceux qui font du hedge fund, ce qui n’est pas notre cas, et du trading très haute fréquence, cela ne me choque pas. Est-ce que ces traders Haute Fréquence ont une utilité sociale ? Telle est la question. On ne peut pas avoir qu’un seul type d’investisseurs sur le marché, si on n’a que des investisseurs de long terme, le prix de la liquidité va être exorbitant. Il faut des apporteurs de liquidité, qui sont soit des arbitragistes, des market makers, soit des traders HF. La question suivante est de savoir s’il y a des abus créés par tel ou tel type d’acteurs. Mais l’existence en elle-même de ces acteurs est utile aux marchés, après c’est une question de mesure et de bonnes pratiques.
Opposer la durée, et la nature de l’investisseur, à des valeurs morales n’a pas de sens du point de vue de l’efficience des marchés. L’investisseur de long terme a besoin de payer son passif, et lorsqu’il sort de son investissement il a besoin de liquidité : Il faut donc un apporteur de liquidité, et ce n’est pas immoral que celui-ci essaie d’en tirer profit. Tout cela a du sens du point de vue du marché. C’est au régulateur de surveiller les abus et d’éviter que les excès ne déséquilibrent les marchés.
Il faut être vigilent, car par ce genre d’anathèmes, il serait dangereux que les solutions retenues soient couteuses pour les investisseurs de long terme qui ont besoin de liquidité et d’un coût limité d’accès aux marchés. Ce ne sont pas les investisseurs de long terme entre eux qui permettront d’avoir de la liquidité.

Next Finance Mai 2012

Notes

[1] L’interview a été réalisée avant son départ du FRR fin mars 2012. Philippe Aurain est aujourd’hui Directeur Général de Fédéris Gestion d’Actifs

Tags


Partager

Facebook Facebook Twitter Twitter Viadeo Viadeo LinkedIn LinkedIn

Commentaire
Publicité
Dans la même rubrique
Rubriques