Les actifs physiques, notamment les infrastructures et l’immobilier, ont un rôle essentiel à jouer dans la transition vers une économie plus durable et un monde plus écologique. Lorsqu’ils financent ces actifs, les investisseurs attachent une très grande importance à ces problématiques et la prise en compte des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) devient une des obligations fondamentales d’un gérant d’actifs envers ses clients.
À l’horizon 2030, la population mondiale devrait atteindre 8 milliards d’habitants, dont 60 % de citadins. Pour pouvoir répondre aux besoins de notre génération, sans parler de ceux de nos enfants, et accompagner la croissance urbaine, il faut investir massivement dans les bâtiments, les transports, les réseaux de données et l’approvisionnement en énergie. Les logements à forte densité et la gestion économe des ressources deviendront donc des priorités absolues.
Au-delà des villes, les Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies ne pourront être atteints sans revoir en profondeur l’approche d’investissement dans les infrastructures et l’immobilier. Alors que le développement des infrastructures constitue l’un des 17 ODD, au moins 6 autres objectifs ne pourront être atteints sans investissements significatifs dans les actifs réels.
En se limitant aux politiques environnementales actuelles (qui, en l’état, ne suffiront pas à nous maintenir dans la limite de 1,5 degré), l’Agence internationale de l’énergie [1] chiffre les investissements nécessaires dans le secteur de l’énergie à 60 000 milliards de dollars à l’horizon 2040.
Plus de la moitié (55 %) concernent les actifs réels, notamment la production d’énergie renouvelable, les réseaux de distribution d’électricité, les transports et les bâtiments.
En dehors de leur importance environnementale, les actifs réels jouent aussi un rôle fondamental dans le fonctionnement même d’une société. Les efforts en vue de déterminer leur vraie valeur s’intensifient : designers, planificateurs, ingénieurs, consultants, spécialistes techniques, chercheurs et investisseurs, tous s’y attèlent. Toutefois, les communautés évaluent la valeur de différentes manières, mais si l’on n’en saisit pas les subtilités, les paramètres de prise de décision peuvent être limités.
Arguments financiers
Alors que rares sont ceux qui remettraient en cause les bienfaits de la construction d’une école ou d’un hôpital pour la société, sans gestion soucieuse de son impact sur la collectivité et l’environnement, ce même bâtiment peut être relativement mal perçu par la communauté.
Le secteur de l’investissement joue un rôle essentiel à ce niveau, dans la mesure où il peut exercer une influence significative sur la manière dont ces actifs sont construits et exploités. Mais le processus d’évaluation des projets est complexe car il implique de prendre en considération des facteurs potentiellement contradictoires : création d’emplois et amélioration des services d’un côté, mais répercussions sur les écosystèmes locaux d’un autre côté. Une fois mis en place, même des facteurs tels que la mesure de l’efficacité énergétique, qui semblent simples de prime abord, peuvent dépendre de la manière dont les coûts sont partagés et de la possibilité ou non de regrouper des données précises. [2]
Indifféremment des projets, les facteurs ESG jouent un rôle très important dans la prise de décision en matière d’investissement. Et les autorités réglementaires s’apprêtent à le reconnaitre. Par exemple, la Commission européenne propose d’amender plusieurs directives financières (MiFID, OPCVM et AIFM) afin d’intégrer les facteurs ESG dans les processus d’investissement et de gestion du risque.
Toutefois, la sensibilité aux questions ESG n’est pas seulement liée à la réduction du risque. La gestion ESG « positive » a aussi pour ambition d’optimiser les rendements. Mais à la différence des actions cotées en bourse, les actifs réels sont généralement détenus en privé, d’où la difficulté de montrer la mesure dans laquelle une sélection ESG positive crée de la valeur. En général, il est plus simple de démontrer l’impact positif des facteurs environnementaux que celui des aspects sociaux et de gouvernance.
Le problème des données
Sur le marché, les investisseurs disposent d’indicateurs de référence établis et d’outils pour refléter leurs préférences ESG et guider leurs stratégies d’investissement. De nombreux fournisseurs de données ESG, notamment MSCI et FTSE Russell, leur proposent ces outils.
Mais alors que cette diversité de l’offre permet d’obtenir beaucoup d’informations sur les entreprises cotées, elle complique la situation car les fournisseurs utilisent des méthodologies différentes. Ainsi, le constructeur automobile Tesla a été noté positivement par un fournisseur ESG, mais négativement par un autre.
Sur les actifs non cotés toutefois, la communication d’informations ESG est plus limitée.
Les grands gérants de fonds et investisseurs encouragent le développement de notations et d’indicateurs de référence pour le secteur, tels que le Global Real Estate Sustainability Benchmark (GREB) pour l’immobilier et les infrastructures.
Mais alors que l’intention est la même (comparer la performance ESG), les facteurs pris en compte dans l’évaluation des actifs réels sont bien différents. Ceci reflète en partie le niveau des informations mises à la disposition des détenteurs d’infrastructures et d’immobilier qui peuvent être assez précises eu égard à l’impact environnemental, mais plus limitées au niveau des effectifs et du conseil d’administration. Ainsi, les mesures de la « gouvernance » peuvent être différentes pour un véhicule de titrisation privé détenant des actifs et une grande entreprise cotée en bourse. Généralement, l’analyse de l’aspect social se concentre sur la gestion des ressources humaines pour les entreprises publiques et sur le dialogue avec les parties externes, notamment la communauté et les locataires pour les installations privées.
Les mesures d’impact limitées ne doivent pas dissuader les investisseurs
Les enquêtes sont un excellent moyen d’obtenir des données ESG pertinentes. Et même si le taux de participation aux enquêtes ESG augmente, une grande partie de l’univers d’investissement des actifs réels reste non couverte. Le problème est en partie lié aux ressources. Alors que les grandes entreprises et sociétés de gestion disposent des capacités nécessaires pour publier des informations, les projets plus modestes (par exemple, un parc éolien) manquent souvent de personnel et de temps pour établir des rapports ESG détaillés.
Cette restriction peut expliquer pourquoi la sélection négative est l’approche la plus souvent adoptée par les investisseurs en actifs réels dans les stratégies ESG. Mais toute médaille a son revers : les exclusions peuvent également déboucher sur le transfert de la propriété d’actifs « sensibles » sur le plan ESG à des investisseurs susceptibles d’être moins préoccupés par les enjeux ESG que par les rendements financiers à court terme. Cet « aléa moral » peut être évité en abordant les nouveaux investissements sous l’angle des mesures que le détenteur peut prendre pour améliorer l’impact ou la performance ESG.
L’impact des actifs réels peut se mesurer facilement en termes de CO2 ou de consommation d’eau, mais les infrastructures et les bâtiments ont également des répercussions sur la santé, le bien-être et le développement de leurs utilisateurs et de la communauté qu’ils desservent. Et même si les investisseurs en actifs réels peuvent vraiment faire la différence en intégrant les critères ESG, la mesure de cet impact reste une science inexacte.
Mais au final, le manque de valeurs précises ne doit pas être un frein à l’investissement d’impact. Au fil du temps, un consensus devrait se former sur les meilleurs outils permettant de mesurer les impacts les plus difficiles à saisir.
D’ici là, les stratégies d’investissement thématique et l’intégration ESG offrent déjà aux investisseurs l’opportunité de sélectionner des fonds et des gérants dont les préférences d’investissement correspondent aux leurs.