Next-Finance : Vous avez fondé la société de gestion Rivoli Fund Management avec votre associé Vincent Gleyze en 1996. Quel bilan faites-vous de l’évolution de la gestion alternative depuis cette époque ?
Thaddée Tyl : La gestion alternative a débuté dans les années 40-50, elle est restée marginale pendant un certain temps. Les vrais développements sont apparus à la fin des années 80, il s’agissait alors surtout de petits hedge funds, des petites boutiques avec des encours modestes, non régulés, off-shore, et peu transparents. Elles initiaient essentiellement des stratégies Global Macro, des paris directionnels sur les marchés actions, obligataires et les devises. Un des grands emblèmes de cette époque est le Quantum fund géré par Georges Soros, qui a défrayé la chronique en s’attaquant à la livre sterling. Au cours des années 90, la gestion alternative a définitivement pris son envol avec une explosion des encours. Début 2000, on parlait de 2.000 milliards de dollars d’actifs pour la gestion alternative.
Aussi, une classification s’est opérée avec 2 principaux styles de gestion très marqués, l’Arbitrage, qui consiste à acheter des actifs sous-évalués et vendre des actifs surévalués, en principe sans exposition au marché, et la Gestion Directionnelle, dans laquelle rentrent les stratégies Global Macro, qui consistent à prendre des positions à la hausse ou à la baisse sur une classe d’actifs. La crise des subprimes et ses conséquences depuis 2008 ont mis un terme brutal à cette ascension des encours.
Peut-on faire une nette distinction entre les fonds alternatifs qui ont bien marché d’une part, et ceux qui ont plutôt échoué ?
Oui et c’est essentiel, car traditionnellement lorsqu’on évoque l’univers de la gestion alternative, on a tendance à penser que c’est un milieu homogène. Ce qui s’est produit en 2007, a soulevé toute une série de problèmes sur certains segments de la gestion alternative. Il y a notamment la gestion de fonds de hedge funds qui a révélé une corrélation très forte aux marchés actions, une sorte de « béta caché », en rupture de contrat avec ce qui avait été vendu aux investisseurs. Ces fonds de hedge funds censés apporter une alternative à la gestion classique, notamment lors des périodes de violente baisse des marchés, ont eux-mêmes plongé durant la crise. Il y a également une autre catégorie de hedge funds, ceux investis sur des supports illiquides, tels que le Crédit Arbitrage, les Convertibles Arbitrage ou les distressed funds, qui ont subi de nombreuses fermetures de fonds.
Et à côté de cela, il y a toute une partie de la gestion alternative qui elle, est réellement dé-corrélée des marchés et qu’on peut caractériser par sa liquidité ; la « gestion alternative liquide », qui a très bien traversé la crise 2007- 2008, avec d’excellents rendements. Elle a fait ses preuves et se développe de plus en plus.
Ces stratégies liquides, sont souvent implémentées via des algorithmes complexes de trading, des arbitrages statistiques, et au final, les investisseurs ont souvent l’impression d’avoir affaire à des boîtes noires...
En effet, cette partie de la gestion quantitative - la gestion dite systématique - qui a bien traversé la crise, est assistée à des degrés plus ou moins importants par des systèmes informatiques, des systèmes d’aide à la décision, souvent considérés à tort comme des boîtes noires. Une notion qui renvoie à la méconnaissance des caractéristiques de cette gestion ou bien à la difficulté d’appréhender son fonctionnement.
Mais ne faisons pas d’amalgames, car cela voudrait dire que la gestion non systématique est nécessairement transparente. Pourtant personne ne saurait dire pourquoi un gérant long-only investit dans un titre ou dans un autre. Les réponses aux questions à ce sujet peuvent être surprenantes. Poussé dans ses derniers retranchements, un gérant long-only est capable de vous dire « parce que je le sens ». Ce n’est pas de la transparence.
Nous, Rivoli Fund Management, sommes spécialisés dans la gestion systématique. Nous prenons le temps d’expliquer aux investisseurs comment fonctionnent nos systèmes et quels en sont les principes. Nos systèmes sont effet fondés sur des mathématiques, des statistiques, des programmes informatiques et tout le monde n’a pas envie de s’y plonger ; c’est certes sophistiqué, mais c’est transparent. En aucun cas, nous ne disons aux investisseurs « c’est confidentiel ». Nous poussons même l’exercice de la transparence au-delà de l’explication des techniques de gestion en divulguant les positions que nous détenons. Lorsqu’un investisseur nous interpelle sur les positions de notre fonds Equity qui intervient sur les actions européennes, nous les lui donnons. Il s’agit, grâce au traitement statistique des données, d’un univers d’investissement de 700 à 800 titres.
Vous avez ouvert vos fonds aux particuliers...
Oui, nous avons dans notre gamme 2 types de produits, d’une part des produits destinés à des professionnels et d’autre part des fonds coordonnés UCITS III que nous ouvrons aux particuliers.
Quelle est la valeur ajoutée d’une gestion quantitative dans le portefeuille d’un particulier ?
La diversification est la première des valeurs ajoutées. Le portefeuille d’un particulier est généralement constitué d’actions, d’obligations et de monétaire. En analysant ces différentes classes d’actifs, on observe que les actions, censées être le meilleur placement sur le long terme, ont un rendement de - 30 à - 40 % sur 10 ans. Cela ne veut pas dire que nous recommandons aux investisseurs de ne pas investir leur argent en actions. En revanche nous les invitons à diversifier bien d’avantage.
Les obligations, elles, ont eu des performances très élevées car les taux d’intérêt n’ont pas arrêté de baisser depuis quasiment le début des années 80. Les placements obligataires sur 20 ans sont actuellement les meilleurs placements. Le seront-ils encore dans les années à venir ? Pas nécessairement. Avec des taux à long terme à 0%, 1% ou 2%, les placements obligataires ont beaucoup à perdre avec une remontée des taux. Si personne n’en connait le timing, tout le monde s’accorde néanmoins à dire que cela se produira dans les 5 à 10 prochaines années. Il faut se souvenir que nous avons connu des taux de l’ordre de 10 à 15% dans de nombreux pays sur des périodes extrêmement longues, des années 70 aux années 80...donc concernant les obligations il y a un fort potentiel à la baisse. Conseiller à un investisseur de tout mettre en obligataire est inopportun.
Le troisième type de placement est le monétaire. Personne n’est ravi de gagner 10 ou 20 centimes par an ; Certes il n’y a pas de risque en capital, et pour un investisseur qui compte récupérer son argent à très court terme, il lui faut investir dans du monétaire. Mais pour un horizon à long terme, ce n’est pas un placement pertinent.
Ce que je suggère aux particuliers, c’est non pas d’abandonner les supports actions, obligations ou monétaires, mais de réduire leur part respective dans leur portefeuille pour y intégrer un placement en fonds liquides, diversifiants, et alternatifs. Des fonds qui ne sont pas liés à l’évolution des marchés actions ou obligations, typiquement des fonds issus de la gestion quantitative telle que nous la pratiquons ici chez Rivoli Fund Management.
L’atout majeur de notre gestion, c’est qu’elle tient ses promesses en terme de ratio performance / risque, notamment en périodes de crise. Et cela nous semble de nature à convenir à tout investisseur cherchant à diversifier ses placements. A titre d’exemple, Rivoli Finance, gamme de fonds coordonnés UCITS III, contient un fonds obligataire qui a réalisé en 2008 sa meilleure année +16,4%, il était en baisse de -4,2% en 2009 et cette année il est en progression de près de 11%. Elle contient un second fonds, le fonds Equity qui fait des arbitrages sur des actions européennes, et qui a réalisé, +8,77% en 2008, + 8,1% en 2009 et +15,7% depuis le début de l’année.
Au niveau de la comparaison entre les fonds, les investisseurs semblent souvent perdus, car ils ne savent comparer les performances des fonds alternatifs...On a parfois des gérants qui vont chercher à battre un indice, d’autres à battre l’éonia capitalisé...Qu’est ce qui selon vous doit guider l’investisseur au-delà de la performance annuelle ?
Premièrement, c’est de regarder quel est le benchmark du fonds. Un fonds qui a pour benchmark de faire mieux qu’un indice composé de 50% d’obligataire et de 50% d’Eurostoxx 50, n’est pas un fonds alternatif, c’est un fonds qui essaiera de faire mieux qu’un placement diversifié obligataires et actions ! Il en aura les avantages et les inconvénients tout en étant moins diversifiant qu’un placement alternatif. A contrario, les fonds qui sont de vrais fonds alternatifs, auront comme objectif de faire mieux que le marché monétaire.
Deuxièmement, l’investisseur doit analyser la volatilité du fonds, même si ce n’est pas toujours suffisant, elle donne une indication du risque pris. Ainsi, lors de l’analyse des performances, il faut porter attention non pas à la performance absolue mais au ratio de Sharpe, la performance relative au risque pris, notamment en période de baisse.
Autre point critique, l’analyse sur des périodes longues. Un des défauts majeurs des investisseurs, et c’est humain, est de regarder les performances sur des périodes courtes. Observer une performance sur une période d’un an est très insuffisant, ce qui est important c’est de l’effectuer sur 3, 5 ou 10 ans et plus généralement sur les périodes les plus longues possibles. Sur un an, il est toujours possible de rencontrer un gérant qui a eu de la chance. Sur 5 ans c’est plus difficile, il est donc essentiel de regarder les ratios sur des périodes plus longues. En ce moment, il est particulièrement aisé de faire des comparaisons car sur les 5 dernières années, on a connu à la fois des périodes de hausse, des périodes de baisse, des périodes de crise et des périodes de forte croissance. Un gérant qui a su délivrer des performances régulières dans toutes ces configurations, peut raisonnablement continuer à le faire. En revanche, quelqu’un sans Track record, qui a eu des performances absolument étourdissantes cette année, saura-t-il encore les reproduire l’année prochaine ?
Et enfin, il est très important d’avoir une vision de la société de gestion et des équipes de gestion. Est-ce que les gérants sont dans le métier depuis longtemps ? Les équipes sont-elles stables ?
Les investisseurs portent aussi une attention particulière à la taille de la société de gestion, et de leur point de vue, les petites structures souffrent souvent de la faiblesse de leurs effectifs et d’une probabilité plus forte de mise en faillite. Quel est le risque réel que prend un investisseur en investissant dans une petite société de gestion comme la vôtre ?
Nous, nous plaidons résolument pour les petites sociétés de gestion. Car, qui dit petite société de gestion, dit souvent société de gestion entrepreneuriale ; ce sont les fondateurs de la société de gestion qui en sont les propriétaires et les principaux associés, comme c’est le cas chez Rivoli. Et en général, leur gestion est plus prudente.
Attention, vous pouvez toujours avoir affaire à des gérants qui ont envie de faire des « coups » et prennent d’énormes risques. Mais investir dans une petite société de gestion comme la nôtre, opérationnelle depuis 14 ans, délivrant d’excellentes performances pour l’ensemble de ses fonds, dépassant les 400 millions d’euros en encours et qui, malgré les crises successives, n’a jamais rencontré de problèmes de liquidité ou de fermeture de fonds, je trouve cela plutôt sécurisant.
Certes il n’y a jamais de certitude, mais si j’étais un observateur externe, je serai beaucoup plus enclin à investir dans ce type de structure où le capital est détenu par des personnes physiques, que dans des fonds détenus par des grands groupes.
Qu’en est-il quant à la stabilité des équipes de gestion et du savoir-faire chez Rivoli Fund Management ?
Beaucoup d’investisseurs nous posent cette question. Notre équipe de gestion est la même depuis 15 ans. Par contre, je vous mets au défi de trouver un fonds dans un grand groupe bancaire qui a le même gérant sur cette période ; selon moi, il n’y en a pas !
La stabilité se trouve dans les petites structures, pas dans les grands groupes. Et cela se traduit aussi dans les performances. Les rendements des fonds des grands groupes bancaires sont médiocres ; évidemment sur le très grand nombre de fonds qu’ils détiennent, quelques-uns tirent leur épingle du jeu. Nous, au contraire, n’avons aucun client en moins-value et tous nos fonds, excepté le fonds monétaire dynamique, affichent cette année des performances à 2 chiffres.
Comment se matérialise la politique de risques chez Rivoli Fund Management ?
Nous avons un comité des risques qui se réunit tous les lundis. Dans le cadre de notre gestion quantitative systématique, c’est le système informatique, que nous avons conçu et mis en œuvre, qui gère les risques de façon automatique, avec à côté, le gérant et le comité des risques qui assurent la supervision. Nous n’allons jamais prendre de risques inconsidérés sur un fonds. Je suis propriétaire de cette société en compagnie de Vincent Gleyze et de 4 autres salariés également actionnaires et nous sommes investis à titre personnel dans les fonds que nous gérons : comme garantie des risques, c’est appréciable ! Quand vous êtes gérant salarié d’un grand groupe, si votre fonds fait une performance catastrophique, vous ne risquez rien. Au pire, votre avenir ne sera plus dans la société de gestion. Nous, si nous ne maîtrisons pas les risques et qu’un de nos fonds s’écroule, alors nous perdons 15 années de labeur et toute une partie de notre patrimoine.
Au niveau de la réglementation en cours, l’Allemagne a interdit le short selling, vous qui mettez en place de nombreuses stratégies long/short, est-ce que cela vous inquiète ?
Attention, il faut être très précis lorsque l’on parle d’interdiction du short selling, ce n’est pas le fait d’avoir des positions vendeuses qui est interdit, c’est le naked short, c’est-à-dire la vente de titres qu’on n’a pas empruntés au préalable, qui est interdite. De surcroit, l’interdiction ne vaut que pour le territoire allemand. Concrètement, si Deustche Bank avait envie d’utiliser cette technique, il lui suffirait de passer par son antenne de Londres. En réalité cela ne change pas grand-chose.
En revanche, ce qui va être mis en place au niveau européen, c’est non pas une interdiction mais une obligation de transparence. Les autorités européennes vont demander au gérant, lorsque celui-ci possède des positions vendeuses sur un ou plusieurs titres, de les dévoiler à partir d’un certain seuil. Cela évitera des abus, aussi bien sur le short selling, que sur des positions acheteuses excessives, des positions de squeeze. Le contrôle des marchés dans leur ensemble est une très bonne chose. Il est nécessaire qu’il y ait transparence, à la fois du côté acheteur et du côté vendeur.
Nous, nous sommes basés en France, pas dans les Iles Caïman et tous nos fonds sont régulés, par l’AMF en France, la CFTC aux Etats-Unis, et par l’IFSRA en Irlande. Nous sommes heureux de ces contrôles car c’est un gage de sécurité pour les investisseurs.
Il y a quelques sociétés de gestion quantitative comme la vôtre en France, qui semblent souffrir d’un déficit de notoriété notamment vis-à-vis des gros fonds quantitatifs américains tels que DE Shaw ou Renaissance Tech par exemple, à quoi attribuez-vous cette situation ?
Il y a plusieurs raisons à cela. En France, monter une petite société de gestion, quantitative ou pas, est extrêmement difficile. Car les institutionnels censés figurer parmi les premiers soutiens des petites sociétés de gestion entrepreneuriales, sont particulièrement frileux. Si vous avez de très petits actifs, et que vous allez voir une caisse de retraite, la réponse sera « nous ne sommes pas intéressés, car il y a un risque ». Alors qu’en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, si vous montez une société de gestion et avez un tout petit peu de crédibilité, un certain nombre d’institutionnels -gérant des milliards de dollars- vous fera confiance, et consacrera un montant limité - 5 à 10 millions de dollars- pour vous permettre de démarrer et de tisser des liens. Ce comportement n’existe pas en France, et de ce fait, c’est beaucoup plus compliqué. Qui dit aussi petite société de gestion, dit société de gestion moins visible. C’est la durée qui fait éclater le savoir-faire. Nous, Rivoli Fund Management, avons commencé à décoller il y a seulement deux ans. Avant, nous étions un peu dans l’ombre et avions peu de moyens à consacrer au budget marketing et communication.
Dans la phase de croissance que vous connaissez actuellement, faites vous attention aux encours maximaux que vous êtes en capacité d’absorber et de gérer ?
Lorsque nous rencontrons des investisseurs professionnels, ils nous interrogent sur les caractéristiques du fonds, ses encours et bien entendu, sur sa capacité maximale. Donc, nous avons en permanence cette dernière question à l’esprit. Dès qu’un gérant de fonds adopte une méthode de gestion originale, quantitative ou pas, il y a toujours un seuil d’encours sous gestion qu’il ne doit pas dépasser faute de devenir trop gros par rapport au marché.
A titre d’exemple notre fonds Equity, qui gère 120 millions d’euros, ne pourra croître que jusqu’à 300 millions d’euros compte tenu de son univers d’investissement actuel, le marché actions de la zone euro. Aussi, nous investissons lourdement afin de pouvoir traiter dans les 2 prochains mois les actions japonaises. Cette étape nous permettra de doubler la capacité de gestion de ce fonds. Ensuite, nous nous attaquerons aux actions américaines. Dès lors, nous n’aurons plus les moyens d’étendre d’avantage la capacité du fonds, estimée à un milliard et demi d’euros. Si nous devions parvenir à ce stade, nous informerions alors les investisseurs de la fermeture du fonds Equity aux nouvelles souscriptions.
Sur les 10 dernières années, toutes les sociétés de gestion qui ont initialement délivré de très bonnes performances mais qui n’ont pas, par la suite, été attentives à la progression de leurs encours, ont connu de sérieux déboires.
En guise de conclusion, quels sont vos perspectives à moyen terme pour Rivoli Fund Management ?
Nous allons développer l’existant avec notre fonds Equity qui marche très bien. Nous pensons faire croître ses encours jusqu’aux limites précitées. Nous avons également un fonds alternatif positionné sur l’obligataire, d’une capacité très importante de l’ordre de 4 ou 5 milliards d’euros, qui traite les obligations allemandes, américaines et japonaises via les futures. C’est un fonds qui recèle un important potentiel, compte tenu des opportunités que nous allons rencontrer sur les marchés obligataires dans les années à venir.
Nous proposons également un fonds diversifié, Rivoli Capital, dont l’encours est encore modeste - 22 millions d’euros - compte tenu de sa création plus récente. Il intervient sur tous les marchés financiers, actions, changes, taux d’intérêt, et marchés obligataires et a pour objectif de battre également le marché monétaire. Nous avons concentré nos efforts commerciaux sur nos fonds actions et obligations, qui ont récolté 200 millions d’euros de souscriptions cette année, faisant ainsi doubler nos actifs sous gestion à 460 millions d’euros. Nous allons intensifier notre action marketing et commerciale en 2011 pour la promotion de Rivoli Capital.